Dans son ouvrage « Le capitalisme est-il moral ? », André Comte-Sponville examine les dimensions éthiques et morales du capitalisme en introduisant la théorie des ordres. Il propose une distinction fondamentale entre quatre sphères de l’activité humaine, ou quatre ordres : économique, politique, moral et de l’amour. Ces ordres se distinguent par leur finalité. Cette segmentation permet de mieux comprendre comment les différents domaines de la vie sociale et économique interagissent, tout en suivant des logiques propres.

L’ordre économique
Objectif : création de richesse
L’ordre économique a pour objectif principal la création et la distribution de la richesse. Il est régi par les principes de marché, de concurrence, de l’offre et de la demande, et de la recherche du profit. Cette sphère se caractérise par une logique utilitariste, où l’efficacité et la maximisation des ressources sont primordiales. Chaque acteur économique prend donc ses décisions en fonction de leur rentabilité et de leurs conséquences économiques.
Une logique pragmatique
La logique de l’ordre économique est essentiellement pragmatique. Elle se concentre sur les résultats matériels et financiers des actions entreprises. Des indicateurs économiques tels que le profit, la croissance du PIB, et la productivité mesurent le succès dans cette sphère. La rationalité économique implique souvent des choix calculés pour optimiser les ressources et minimiser les coûts.
Prenons l’exemple d’une entreprise. Dans l’ordre économique, le principal objectif de cette entreprise est de générer des profits pour ses actionnaires. Les décisions prises par la direction de l’entreprise sont donc basées sur des analyses coûts-avantages. Elles cherchent alors à maximiser les revenus tout en minimisant les dépenses.
Cependant, l’ordre économique doit interagir avec les autres ordres pour maintenir une société équilibrée. Par exemple, sans une régulation politique appropriée, les entreprises pourraient chercher à maximiser les profits au détriment de l’éthique ou de la justice sociale.
L’Ordre Politique selon André Comte-Sponville dans « Le capitalisme est-il moral »
Maintenir l’ordre social
L’ordre politique vise à instaurer et maintenir la justice et l’ordre social. Il fonctionne selon des principes de loi, de réglementation et de gouvernance. Son rôle est de garantir que les libertés individuelles sont respectées tout en assurant le bien commun. L’ordre politique cherche à équilibrer les intérêts individuels et collectifs par le biais de processus démocratiques et de cadres juridiques.
une Logique normative
La logique de l’ordre politique est normative et repose sur des valeurs telles que la justice, l’égalité et la légalité. Les décisions politiques doivent refléter ces principes. Le cadre législatif régule les comportements, notamment ceux des acteurs économiques. L’ordre politique peut donc intervenir pour corriger les défaillances du marché, protéger les droits des citoyens et garantir une distribution équitable des ressources.
La législation sur le salaire minimum représente un exemple typique de l’ordre politique. Cette loi est instaurée pour protéger les travailleurs de l’exploitation et garantir qu’ils reçoivent une rémunération équitable pour leur travail. Elle illustre comment l’ordre politique peut intervenir dans l’ordre économique pour corriger des déséquilibres et promouvoir la justice sociale.
La création de lois, et l’application de la justice sont d’autres exemples de la façon dont l’ordre politique fonctionne. Ces processus assurent que la gouvernance est exercée de manière transparente et que les droits des individus sont protégés.
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L’Ordre Moral
éthique et valeurs
L’ordre moral concerne les comportements éthiques et les valeurs humaines. Il est gouverné par des principes de bienveillance, d’honnêteté, de compassion et d’intégrité. Cet ordre encourage les actions qui sont moralement bonnes. Il promeut en outre le bien-être humain et le respect des autres.
un ordre fondé sur l’éthique
La logique de l’ordre moral est éthique. Elle s’intéresse à la qualité morale des actions plutôt qu’à leurs conséquences économiques ou politiques. Elle s’appuie sur des normes morales et des valeurs qui transcendent les bénéfices matériels. Dans cet ordre, les individus et les institutions sont ainsi encouragés à agir en fonction de ce qui est moralement juste, indépendamment des gains économiques ou des impératifs légaux.
L’engagement philanthropique des entreprises ou des individus constitue un exemple de l’ordre moral. Ainsi, une entreprise peut décider de donner une partie de ses profits à des œuvres caritatives. Cela ne lui apporte un bénéfice économique (direct…), mais répond à une exigence ou une impulsion morale.
L’Ordre de l’Amour
au coeur des relations humaines
L’ordre de l’amour est axé sur les relations affectives et interpersonnelles, guidées par des sentiments d’affection, de compassion et de bienveillance. Cet ordre ne cherche ni l’efficacité économique, ni la justice politique, ni même l’adhésion stricte à des normes morales abstraites. Son objectif principal est le bien-être des individus à travers des relations authentiques et profondément humaines. Cependant, André Comte-Sponville le développe un peu moins que les autres.
un ordre intime
La logique de l’ordre de l’amour est basée sur les émotions et les liens personnels. Contrairement aux autres ordres, qui peuvent parfois être impersonnels ou formels, l’ordre de l’amour est intrinsèquement personnel et intime. En effet, il transcende les calculs rationnels et les règles formelles pour favoriser des connexions humaines profondes.
Les relations familiales et amicales sont un exemple de l’ordre de l’amour. En effet, les soins qu’un parent prodigue à son enfant ne sont pas motivés par des considérations économiques ou politiques. Elles le sont par un amour inconditionnel. De même, l’aide apportée à un ami en difficulté repose sur une connexion affective plutôt que sur un sens du devoir moral ou une obligation légale.
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Interaction entre les Ordres selon André Comte-Sponville dans « Le capitalisme est-il moral »
Ces quatre ordres ne fonctionnent pas de manière isolée ; ils interagissent constamment. Il existe à la fois des complémentarités et des tensions entre eux. Ainsi, l’ordre économique a besoin de l’ordre politique pour réguler et créer un environnement stable et prévisible, où les affaires peuvent prospérer. L’ordre politique doit aussi freiner les excès de l’ordre économique pour protéger les droits des citoyens et assurer une distribution équitable des ressources.
L’ordre moral joue un rôle crucial en influençant les comportements au sein des deux autres ordres. Il rappelle aux individus et aux institutions les valeurs éthiques qui devraient guider leurs actions. Cependant, des tensions peuvent naître lorsque des pratiques économiques rentables sont moralement discutables, ou lorsque des décisions politiques justes sur le plan légal sont contestées sur le plan éthique.
Enfin, l’ordre de l’amour apporte une dimension humaine essentielle qui peut enrichir et humaniser les autres sphères. La compassion et un souci de bien-être, typiques de l’ordre de l’amour, peuvent inspirer des politiques publiques. Par exemple, des entreprises peuvent adopter des pratiques plus humaines et éthiques inspirées par des valeurs affectives.
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Pour conclure, la théorie des ordres d’André Comte-Sponville dans Le capitalisme est-il moral offre une perspective nuancée sur la façon dont différentes sphères de l’activité humaine interagissent. L’ordre économique, axé sur la création de richesse, l’ordre politique, centré sur la justice et la gouvernance, l’ordre moral, fondé sur les valeurs éthiques, et l’ordre de l’amour, orienté vers les relations affectives et la bienveillance, sont tous essentiels pour une société équilibrée et juste.
Comprendre et respecter les logiques propres à chaque ordre permet de mieux naviguer les défis complexes de notre monde. Les crises et les conflits émergent souvent lorsque l’un de ces ordres domine excessivement ou est négligé. Par conséquent, une coopération harmonieuse entre ces quatre ordres est nécessaire pour promouvoir le bien-être général et le progrès durable.
André Comte-Sponville nous invite ainsi à réfléchir non seulement aux mécanismes de fonctionnement de chaque ordre, mais aussi aux valeurs et principes qui devraient guider nos actions au sein de ces sphères interconnectées. Cette approche peut servir de guide pour aborder les questions morales et éthiques dans le contexte du capitalisme et de la vie sociale contemporaine, tout en maintenant une place pour les relations humaines authentiques et bienveillantes au cœur de notre existence et de notre bonheur.
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