La France vit-elle au-dessus de ses moyens ?

La France vit-elle au-dessus de ses moyens ? En 2024, la dette française atteint plus de 3100 milliards d’euros, 110 % du PIB. Elle continue à croître, et est devenue en enjeu politique. Est-elle soutenable ? Comment en sortir ? Et par dessus tout, que signifient concrètement ces ordres de grandeurs abstraits ?

La France vit-elle au dessus de ses moyens ?

Un déficit structurel

Le budget de la France (comptes publics) est composé de trois parties : le budget de l’État, celui de la Sécurité sociale et celui des administrations publiques locales. En toute rigueur il faut y ajouter une quatrième composante, les organismes divers d’administration centrale (Météo France, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique… etc.). Le total dépasse les 1600 Mds d’euros (684 pour le budget de l’État, 640 pour la sécu, 280 pour les collectivités locales).

Or, ces dépenses sont bien inférieures aux recettes perçues. On parle de déficit public. Le déficit public public est la différence entre les recettes et les dépenses des administrations publiques (État, collectivités locales, sécurité sociale), pour une année. En 2024, le déficit public français a atteint 5,1 % du PIB, soit 150 Mds d’euros. La France doit donc emprunter sur les marchés pour combler le déficit, ce qui creuse la dette.

Le problème est que ce déficit est structurel. Il se répète d’année en année, depuis les années 70 !

Par conséquent, la dette se creuse.

La soutenabilité de la dette : la France vit-elle au-dessus de ses moyens ?

Aujourd’hui, la dette française atteint 3160 Mds d’euros, soit 110,7 % du PIB. La France a besoin de s’endetter, non pour investir dans l’avenir, mais pour fonctionner au quotidien. La France vit-elle au-dessus de ses moyens ? Oui.

Le montant de la dette en elle-même ne pose pas problème. Par exemple, la dette du Japon atteint 220 % du PIB. Mais elle est largement détenue par des institutions japonaises.

En revanche, elle impose un certain nombre de contraintes.

Une contrainte budgétaire

Sur le plan budgétaire pour commencer. La charge de la dette est le montant du budget de l’État consacré à rembourser les emprunts. Ces fonds ne sont donc pas employables sur d’autres missions. Or, cette charge de la dette devrait augmenter de manière significative dans les années à venir. En 2024, la charge de la dette est d’environs 50 Mds d’euros. C’est déjà un budget de la défense d’il y a quelques années. Mais elle pourrait atteindre 74 Mds en 2027 !

La France a pu par le passé emprunter à des taux très bas, voire négatifs. Mais dès que les intérêts augmentent, la charge de la dette suit le mouvement, avec quelques années de retard.

Perte de liberté d’action politique

Au niveau politique ensuite, elle permet aux détenteurs du capital de faire pression sur les politiques menées. En effet, si la France a besoin d’emprunter, alors elle est dépendante envers les marchés, qui décident du taux auquel Paris s’endette. Or, les choix politiques hexagonaux vont peser sur les marchés. La perspective d’une victoire du Nouveau Front Populaire aux élections législatives de 2024 effrayait les marchés. Alors même que le déficit français hérité du Président Sarkozy avait commencé à se réduire sous François Hollande.

Dans Du temps acheté, Wolfgang Streeck note que la dette met les États dans la main des marchés. Elle limite de fait l’étendue des politiques envisageables, ce qui contribue à « stériliser » la démocratie.


Enfin, la dette met les États dans l’incertitude du lendemain. Les taux d’intérêt sont définis de manière complexe. Ils dépendent largement de facteurs psychologiques, non rationnels, et d’acteurs privés comme les agences de notation. Comme en 2022 – 2023, les conséquences d’une crise, par définition imprévue, peuvent obérer la capacité de l’État à s’endetter à taux bas. In fine, c’est la confiance dans la capacité d’un État à rembourser sa dette qui détermine le taux d’intérêt. S’il est visible que la confiance dans la dette française s’érode au fur et à mesure de la baisse de sa notation, les chocs majeurs demeurent difficilement identifiables.

Il apparaît donc souhaitable de réduire la dette, pour retrouver une liberté d’action budgétaire et politique.

Quelles solutions pour réduire la dette ?

La France vit donc au-dessus de ses moyens. La dette française pourrait perdre son caractère soutenable à plus ou moins brève échéance. L’état français possède cependant un certain nombre de leviers pour la réduire.

Réduire les dépenses publiques, la fausse bonne idée ?

Le premier, le plus évident, est la réduction des dépenses publiques. Si la France est obligée de s’endetter, c’est qu’elle dépense trop. Il suffirait de dépenser moins ! Toutefois, une réduction excessive de la dépense publique pourrait s’avérer contre-productive. En effet, la dépense publique possède un effet entraînant sur la création de richesse. À court terme, un effort d’investissement public crée une politique de l’offre. Les entreprises répondent aux commandes publiques, et créent des infrastructures ou produisent des services payés par l’argent public.

À plus long terme, les entreprises ont besoin d’employés bien formés, d’infrastructures publiques, de sécurité, de coups de pouce financiers aussi pour réussir. Réduire les dépenses au moyen d’une politique d’austérité pourrait avoir pour conséquence la chute de la richesse produite… et l’augmentation de la dette.

Est-il encore possible d’augmenter les impôts ?

Le deuxième, l’augmentation des impôts. Le taux d’imposition en France est déjà très élevé, d’autant qu’à un certain niveau les impôts sur les entreprises peuvent s’avérer contre-productifs en matière de création, et donc de captation de richesse. Il reste cependant des marges de manœuvre, notamment sur les ultrariches qui sont moins imposés que la classe moyenne (ou ce qu’il en reste, lire aussi Christophe Guilluy, No society. La classe moyenne a-t-elle disparu ?). Toutefois, même en mettant davantage les plus fortunés à contribution, les gains financiers devraient être symboliques tant la population concernée est réduite.

Dans l’absolu, si la fiscalité peut faire partie de la solution à la dette, elle ne saura la résorber seule. Pour rappel, le déficit public en 2024 est de 150 Mds d’euros. Pour le combler, il faudrait multiplier l’impôt sur le revenu ou la TVA par 2,5 !

Réduire la datte par la croissance

Le troisième levier est la croissance. Si la dette se mesure en points de PIB, alors il n’y a qu’à augmenter le PIB pour en réduire le poids, et générer davantage de ressources fiscales. Là encore, il existe plusieurs approches.

Tout d’abord, la relance par l’investissement public. L’État s’endette pour passer des commandes aux entreprises privées, qui croissent et vont à leur tour passer commande à leurs fournisseurs, embaucher… et in fine payer plus d’impôts ce qui permettra de réduire la dette. La dette crée de la croissance qui annule la dette. Un cercle vertueux, mais qui doit être initié par plus d’endettement.

Une autre approche est de favoriser les investissements étrangers tout en assouplissant le marché du travail, pour rendre l’hexagone plus attractif. L’objectif est de restaurer la confiance des détenteurs du capital, qui hésiteront moins à investir en France et à y créer de la richesse. Problème, cette approche se concrétise au détriment des plus démunis, qui sont par ailleurs les premières victimes de la réduction de la dépense publique.

Laisser filer l’inflation

Autre solution, laisser l’inflation augmenter pour diminuer mécaniquement la valeur de la dette. En effet, lorsque les prix montent, les revenus fiscaux augmentent grâce à des bases imposables plus élevées, tandis que la valeur des dettes contractées à taux fixe diminue en termes réels. Cela crée une opportunité pour les États de réduire leur ratio dette/PIB sans recourir à des politiques d’austérité drastiques. De plus, l’inflation favorise les emprunteurs au détriment des créanciers, redistribuant ainsi une partie de la richesse.

C’est ainsi que les dettes des deux guerres mondiales ont été épongées. De 1945 à 1975, de nombreux pays européens, confrontés à des niveaux élevés d’endettement, ont laissé l’inflation s’installer. En France, par exemple, l’inflation moyenne de cette période, combinée à une forte croissance économique, a permis de réduire considérablement la charge réelle de la dette publique. Ce « désendettement par l’inflation » s’est avéré efficace sans nécessiter de mesures d’austérité sévères.

Cependant, cette stratégie n’est pas sans risque. Une inflation incontrôlée peut entraîner une perte de pouvoir d’achat pour les ménages, surtout pour les plus modestes. De plus, elle peut miner la confiance des investisseurs. Cela peut entraîner une hausse des taux d’intérêt et ainsi rendre les emprunts futurs plus coûteux.

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À la question La France vit-elle au-dessus de ses moyens ?, force est de répondre par l’affirmative. Les dépenses sont structurellement supérieures aux recettes. L’endettement donne l’illusion que cet écart est indolore. Mais le prix de cette illusion est la réduction de la liberté d’action politique.

Des solutions existent pourtant, mais il n’est pas impossible que dans un avenir plus ou moins proche la sortie de l’illusion soit brutale.

Lire aussi La théorie des ordres selon André Comte-Sponville dans « Le capitalisme est-il moral ».

Christophe Guilluy, No society. La classe moyenne a-t-elle disparu ?

Dans No society, Christophe Guilluy poursuit l’élaboration de sa grande idée : les classes moyennes auraient disparu.

Christophe Guilluy, No society. La classe moyenne a-t-elle disparu ?

La thèse de l’ouvrage, paru en 2018, est la suivante : les classes moyennes occidentales ont bien disparu, victime d’un phénomène de relégation économique, spacial et culturel. La classe dominante, la « bourgeoisie cool » des métropoles s’est quand à elle retranchée dans les métropoles. Elle exerce sa domination politique en invisibilisant la majorité de la population, des classes moyennes devenues classes populaires. La classe dominante entend n’avoir plus aucun lien avec elles, même au prix de la sécession. Elle utilise sa capacité à produire le discours dominant pour décrédibiliser les revendications des classes populaires (protection sociale et culturelle) pour des raisons morales. Toutefois, ce système de domination est en train d’échouer. Les classes populaires parviennent à imposer leurs thèmes dans le débat politique. Face à elle, le projet des élites métropolitaines a-culturelles est économiquement, socialement et culturellement suicidaire.

Ce phénomène n’est pas spécifiquement français. Il s’observe des États-Unis à l’Allemagne en passant par les pays nordiques.

La relégation économique et spatiale des classes moyennes selon Christophe Guilluy dans No society.

Les classes moyennes occidentales ont été victimes depuis les années 70 – 80 d’une double relégation : économique et spatiale.

Relégation économique

Elles sont les grandes perdantes de la mondialisation. Les emplois industriels qui assuraient leur rang économique, mais aussi politique, ont largement disparu. Il en est résulté un appauvrissement des ouvriers, mais aussi de tous ceux que leur salaire faisait vivre. Il s’agit des restaurateurs, magasins des centres villes des petites villes de province, employés, petits cols blancs… etc.

N.B. J’ai été frappé en visitant Cherbourg de voir à quoi pouvaient ressembler cette France des petites villes industrielles. L’industrie navale s’y maintenant, les salaires y sont relativement élevés et le centre ville est très vivant sans être inaccessible.

La création d’emploi s’est concentrée dans les métropoles, dans des secteurs soit très qualifiés (tech, digital…), ou sous-qualifiés (nettoyage, livraison, employés de maison). Cela a donné naissance à une élite métropolitaine. Un « bourgeois cool » de Paris aura plus en commun avec un habitant de Barcelone qu’avec un calaisien.

Guilluy, No society. La classe moyenne a-t-elle disparu ? L'éléphant de Branko Milanovic
L’éléphant de Branko Milanovic. Le graphique représente la répartition de la croissance du revenu mondial entre 1988 et 2008. Les classes moyennes occidentales ont vu leur revenu baisser ou croitre moins vite que le reste du monde.

Lire aussi : faut-il réindustrialiser la France ?

LA Relégation spatiale

Les territoires autrefois industriels sont donc devenus moins attractifs, et les anciennes classes moyennes, appauvries, n’ont pas les moyens de les quitter. Elles se retrouvent donc fixées, sédentarisée par la forces des choses économique dans des territoires en déshérence. Elles ne peuvent plus se loger dans les métropoles et sont donc privées d’accès aux territoires qui comptent, reléguées au rang de loosers, incapables de s’adapter à la mondialisation.

Les banlieues des métropoles ne sont pas une option en raison des pratiques d’évitement liées à l’insécurité physique et culturelle. Le minoritaire ne peut pas préjuger de la bienveillance de la majorité et va donc chercher un territoire dans lequel il sera majoritaire. En effet, les classes moyennes ont perdu leur rôle de prescripteur culturel vis à vis des nouveaux arrivants.

Les classes moyennes ont perdu leur rôle de prescripteur culturel

En leur retirant leur intégration économique et en tenant sur elles un discours méprisant, les classes dominantes ont retiré aux classes autrefois moyennes, aujourd’hui populaires, leur rôle de prescripteur culturel.

Les classes populaires ont ainsi cessé de constituer un modèle pour les nouveaux arrivants. Qui voudrait ressembler à un looser, présenté dans les médias dominants comme un raciste arriéré et assisté ? Or, il est plus facile d’accepter l’autre lorsqu’on est prescripteur culturel, c’est à dire lorsque ses valeurs sont celles qu’il faut imiter. Majoritaires dans le pays, l’influence culturelle des classes populaire devient marginale.

Enfin, les classes dominantes ont réussi à remplacer la question sociale par la question sociétale. L’important n’est plus l’intégration économique des classes populaire mais l’inclusion des minorités culturelles. La légitimité des luttes sociales étant amoindrie par la relégation culturelle des classes populaires, elles ne représentent plus une menace pour les classes dirigeantes.


Sur ce sujet, lire Le néolibéralisme progressiste selon Nancy Fraser.

Quelles sont les conséquences politiques de la disparition de la classe moyenne ?

La disparition des classes moyennes laisse la place au multiculturalisme

Selon Christophe Guilluy dans No society, le multiculturalisme s’installe dans le vide laissé par les classes moyennes disparues. Les nouveaux arrivants préfèrent conserver leur capital social et culturel que d’adopter les codes et les valeurs d’un groupe ainsi maltraité. Les différentes cultures vivant côte à côte forment ce que Christophue Guilluy appelle la « société relative ».

Les classes dominantes ont appauvri les anciennes classes moyennes et provoqué la montée des populismes. Elles font alors le pari de miser sur le soutien politique des minorités. Elles mettent en avant un prétendu risque de fascisme ou de guerre civile pour poursuivre la délégitimation des enjeux portés par les classes populaires.

Montée du populisme

Le vote dit « populiste » est la principale conséquence politique de la disparition de la classe moyenne. Les déclassés contestent un ordre politico-économique qui les défavorisent, aux plans économique et culturel. Ainsi, le vote RN en France n’est pas le fait d’un mouvement de colère ponctuel ou des fake news. C’est donc un mouvement « tectonique ».


Lire aussi Comprendre La France périphérique de Christophe Guilluy en moins de 5 minutes.

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Selon Christophe Guilluy dans No society, les classes moyennes occidentales ont bien disparu à cause des politiques libérales. Cette disparition est un phénomène majeur, qui est à l’origine de la fragmentation de nos sociétés et de la vague populiste.

Cependant, le modèle d’une élite métropolitaine a-culturelle est largement contesté par des classes populaires qui sentent que le rapport de force est en train de basculer en leur faveur. Cela pourrait provoquer à l’avenir un nouveau changement de paradigme.


Pour aller plus loin :

Chrisophe Guilluy, La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires.

Chrisophe Guilluy, Fractures françaises

LUTTE DES RACES CONTRE LUTTE DES CLASSE. METTRE FIN AU RACISME SYSTÉMIQUE SANS CHANGER LE SYSTÈME ?

Chrisophe Guilluy, Le crépuscule de la France d’en haut 

La lutte des classes en France aujourd’hui.

À quoi sert la culture ? La culture dans Fahrenheit 451

Fahrenheit 451, œuvre phare de Ray Bradbury, prend place dans un monde d’où les livres sont bannis. Le personnage principal, Guy Montag, est pompier. Mais dans ce futur proche, les pompiers n’éteignent plus les incendies : ils brûlent les livres, pour le bien commun. Mais un jour, Montag va rencontrer Clarisse, une jeune femme différente, qui va lui ouvrir les portes d’un nouvel univers. La culture est donc un thème central du roman. Quelle est sa place selon Ray Bradbury ? A quoi sert la culture ?

Fahrenheit 451, à quoi sert la culture

Pour le résumé complet, c’est ici (à venir). Ceux qui auront parcouru l’ouvrage apprécieront l’ironie d’en proposer une synthèse. Attention, l’intégralité de l’intrigue est révélée. Vous pouvez aussi visionner l’adaptation de François Truffaut.

Pourquoi brûle-t-on les livres ?

Après une intervention particulièrement éprouvante, Montag sent naître en lui des doutes sur sa mission. Il reçoit alors la visite de son supérieur, le capitaine Beatty. Celui-ci lui avoue à demi-mot avoir lu, beaucoup lu. Il lui explique pourquoi la société a interdit les livres.

Au commencement, nul oukase, nul ordre venu d’en haut. Un mouvement beaucoup plus complexe a mené au bannissement.

Massification de la culture

Tout débute avec le phénomène de massification de la culture, qui provoque un nivellement par le bas, une simplification des productions. La recherche de la distraction, faible succédané de bonheur, a de plus imposé un rythme toujours plus dense, des sensations toujours plus fortes. Les œuvres de l’esprit en arrivent à ressembler à une « vaste soupe », faite d’impression vagues et de spectacle.

Ne pas blesser

Une littérature élitiste aurait pu survivre, mais c’était sans compter sur la forme socio-économique qu’avait prise le monde de la production intellectuelle. La fin de l’écriture a commencé le jour où l’on a porté trop d’attention aux sentiments des différents groupes qui composent la société. Afin de ne pas se priver d’une partie du marché, les acteurs économiques de la culture ont « lissé » les publications pour n’offenser personne. Les livres qui dérangeaient ont tout simplement perdu droit de cité.

Il en a résulté que les œuvres de l’esprit étaient devenues « un aimable salmigondis de tapioca à la vanille », qui n’avait plus rien à dire. Et qui n’a plus rien dit. C’est donc la place centrale de la recherche du profit qui a tué les livres, trop complexes, trop blessants pour continuer à faire de l’argent. Étonnante description de la cancel culture avant l’heure. Toute ressemblance avec une situation contemporaine ne serait que pure coïncidence…

C’est seulement ensuite que le pouvoir politique s’est engouffré dans la brèche. Il a reconverti les pompiers, au chômage technique parce que toutes les maisons étaient désormais ignifugées, et leur a demandé d’assurer à la société la tranquillité de l’esprit, et de brûler ces livres porteurs de querelles. Il facilitait par là le contrôle de la population.

Qu’y a-t-il dans les livres ?

Les pompiers brûlent les livres, soit. Mais les ouvrages de papiers ne sont qu’un symbole brandi par Bradbury. Faber, un ancien professeur d’anglais, aide Montag à dépasser l’objet-livre.

« Ce n’est pas de livres que vous avez besoin, mais de ce qu’il y avait autrefois dans les livres. […] Cela, prenez-le ou vous pouvez le trouver, dans les vieux disques, les vieux films, les vieux amis ; cherchez-le dans la nature et dans vous-même. » 

Pour que la magie opère, le support importe peu. Mais à quelles conditions l’objet de culture se différencie-t-il de la « vaste soupe » servie sur les « murs écrans » du pavillon de Montag ?

Il a besoin de trois ingrédients : « Un, […] la qualité de l’information. Deux : le loisir de l’assimiler. Et trois : le droit d’accomplir des actions fondées sur ce que nous apprend de l’interaction des deux autres éléments. »

Les trois ingrédients de la culture

Un livre n’atteint pas nécessairement son objectif parce qu’il est un livre. Il doit révéler le réel, le rendre visible, même lorsqu’il prend la forme du roman, de l’œuvre d’art.

« Les bons écrivains touchent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’effleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches. »

Ce contenu dépend donc directement du talent de l’auteur, mais également, comme expliqué par Beatty un peu plus haut, des conditions socio-économiques de réception de l’œuvre.

Ensuite, pour produire son effet, le bon livre a besoin d’un lecteur qui ait le loisir d’assimiler son contenu. Le temps de le lire, bien sûr, mais aussi la disposition d’esprit nécessaire pour passer du temps dans l’ouvrage et discuter avec lui.

Enfin, la culture est inutile sans la liberté politique d’agir. La culture n’est pas que connaissance théorique. Elle fonde l’action. Or, ni Montag ni Faber ne possèdent de prise sur leur vie.

À quoi sert la culture

Mais à quoi sert donc cette culture ? Les personnages mettent plusieurs fois en avant son inutilité. Le fait que les livres ne sont jamais d’accord entre eux. Qu’ils présentent des héros et des péripéties qui n’ont jamais existé. Ces ouvrages ne racontent « rien que l’on puisse enseigner ou croire ». La culture est par conséquent le lieu de l’imagination, du débat et du doute. De l’inutilité immédiate. Tout le contraire des connaissances utilitaires que les enfants du monde de Montag reçoivent à l’école.

Beatty révèle que leur société valorise certains savoirs, mais uniquement des connaissances factuelles. Maîtriser une masse de faits donne alors aux gens « l’impression de savoir penser ». Mais en réalité, ils en sont devenus incapables. Tous les personnages semblent aussi vides que leur conversation, interchangeables, ni morts, ni vivants, à l’image du limier, chien robot programmé pour tuer. Ils ignorent tout du monde, jusqu’à la guerre qui va éclater et ravager leur cité. 

Quête de sens

Clarisse est l’un des seuls protagonistes vraiment vivants que l’on rencontre au début du roman. Elle parvient à observer le monde autour d’elle, dans le détail. Elle tranche avec ses concitoyens, qui, comme nous, en ont perdu l’aptitude. Où réside son secret ? Elle se place dans une perspective opposée à celle du reste de la société. Elle cherche à comprendre le pourquoi et non le comment.

Cette quête du pourquoi permet de relier les choses entre elles, de leur donner du sens. C’est ce sens qui manque cruellement dans le monde de Montag. Le contenu des livres « cousent les pièces et les morceaux de l’univers pour nous en faire un vêtement ». Ils mettent les faits en perspective et les agencent les uns par rapport aux autres. Le réel reprend de l’intérêt, et la vie toute sa saveur.

« Je ne parle pas des choses, avait dit Faber. Je parle du sens des choses. La, je sais que je suis vivant ».

Connaissance du monde

Plus prosaïquement, les livres servent aussi à obtenir la connaissance du monde. Aucun des protagonistes n’est capable d’expliquer pourquoi la guerre menace, ni même à quoi ressemble ce qui se trouve au-delà des murs de la cité. La culture permet d’aller plus loin que de l’expérience individuelle instantanée. Elle aide à « sortir de la caverne » et à développer une pensée personnelle.

La culture ne se veut pas immédiatement utile. Elle ne sert qu’à mieux comprendre le monde en donnant de la profondeur à ses perceptions.


Lire aussi Amin Maalouf, qu’est-ce que l’identité


Le sable et le tamis

Très vite, Montag se retrouve cependant confronté à un problème. Il se trouve incapable de retenir ce qu’il lit. Les mots ressemblent à du sable qui se déverse dans le tamis de son cerveau. Sans doute n’a-t-il pas consulté notre article… Cette interrogation est loin d’être anodine. Qui peut dire ce qu’il reste de ses lectures ? Les réflexions de Montag posent la question de la méthode, de l’état d’esprit avec lequel aborder la culture. La culture, comment ça marche ?

À la fin du roman, Montag rejoint un groupe de marginaux qui s’efforcent de sauvegarder les acquis de l’humanité en retenant un livre ou une partie d’une œuvre par cœur. Il y gagne un peu de sagesse et commence à percevoir le « mode d’emploi » de la culture.

Culture, vie et observation

Finalement, le contenu précis d’un livre importe peu. Ce qui compte, c’est la façon dont il nourrit la vie, dont il permet l’observation, la conscience du monde. Dans l’ouvrage, observation, vie et culture se trouvent inextricablement mêlées.

« Montag considéra le fleuve. Nous nous laisserons guider par le fleuve. Il considéra l’ancienne voie ferrée. Ou nous suivrons les rails. Ou nous marcherons sur les autoroutes maintenant, et nous aurons le temps d’emmagasiner des choses. Et un jour, quand elles seront décantées en nous, elles ressurgiront par nos mains et nos bouches. Et bon nombre d’entre elles seront erronées, mais il y en aura toujours assez de valables. Nous allons nous mettre en marche aujourd’hui et voir le monde, voir comment il va et parle autour de nous, à quoi il ressemble vraiment. Désormais, je veux tout voir. Et même si rien ne sera moi au moment où je l’intérioriserai, au bout d’un certain temps tout s’amalgamera en moi et sera moi. »

Observation du monde et « lente fermentation des mots » se nourrissent l’une l’autre, dans le temps long. Le seul effort nécessaire est de commencer à lire.

Mais comme pour un concours il faut bien citer les œuvres, vous trouverez notre article ici.

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À quoi sert la culture ? Une société qui bannit les livres est donc une société qui perd la capacité à observer et comprendre le monde dans sa complexité. Elle cesse de vivre pour se contenter d’exister, redoutant l’inactivité qui révèlerait son vide profond, craignant de sentir passer le temps.

Mais la culture s’avère-t-elle un bouclier suffisant contre la barbarie ? Loin de là. L’humanité qui disposait des livres les a laissés brûler. Le professeur Faber, qui possède une grande sagesse, fait aussi preuve d’une grande lâcheté. La culture est nécessaire à la vie, mais seule elle ne préserve pas de l’abîme.

« Les livres sont faits pour nous rappeler quels ânes, quels imbéciles nous sommes ».


Lire aussi Fernand Braudel, qu’est ce qu’une civilisation ?

Le néolibéralisme progressiste selon Nancy Fraser

Dans un article de 2017, Nancy Fraser, philosophe américaine, développe le concept de « néolibéralisme progressiste ».

Le néolibéralisme progressiste, Nancy Fraser

Sa thèse pourrait se résumer ainsi. Pour faire accepter les inégalités sociales qu’il provoque, le néolibéralisme a besoin d’une façade séduisante. Les luttes sociétales, indolores pour son modèle de répartition de la richesse, la lui fournissent. Toutefois, ces avancées ne bénéficient en réalités qu’aux membres des minorités qui appartiennent déjà à la classe dominante.

L’article ci-dessous est une synthèse de la première partie du texte de Nancy Fraser que vous retrouverez ici.

Reconnaissance et répartition

Depuis le XXe siècle, le capitalisme a assis son autorité sur deux aspects complémentaires de la justice : la répartition et la reconnaissance.

La répartition consiste en la manière dont la société va redistribuer la richesse et les biens qu’elle produit. Elle entraîne une structure spécifique de la communauté humaine. Elle possède donc une incidence sur la division de la société en classes sociales.

La reconnaissance, quant à elle, organise les statuts sociaux. Elle détermine à qui doivent aller les marques de respect, les sentiments d’inclusion ou de fierté.

Le néolibéralisme progressiste

Le néolibéralisme progressiste est l’alliance improbable de courants sociétaux libéraux, tels que le féminisme, l’antiracisme ou le combat pour les droits des LGBTQIA+, avec les forces du capitalisme financiarisé.

Il combine donc un programme économique (répartition) fondé sur davantage de concentration de richesse entre les mains d’une élite déjà établie, au détriment des classes moyennes et populaires, avec une extension des droits des minorités.

Le progressisme sociétal (reconnaissance) rend acceptable un renforcement de la domination des élites économique. Il la légitime. La manœuvre consiste à donner à cette politique économique brutale une apparence qui suscite l’adhésion, voire avant-gardiste. 

Cependant, cette promesse d’émancipation sociétale demeure superficielle. Les injonctions environnementales ne mènent qu’au marché du carbone. En France, on pourrait dire que le féminisme n’aboutit qu’à l’écriture inclusive. Ne peuvent briser le « plafond de verre » que les membres des minorités qui possèdent un important capital culturel, social et économique. Bref, ceux qui appartiennent déjà à la classe dominante. Et « tous les autres se retrouvent coincés à la cave ».


Pour comprendre comment les élites économiques sont gagnées par le progressisme sociétal, lire notre article, La Cancel Culture.

Hégémonie du néolibéralisme progressiste

La répartition s’opère donc selon le paradigme néolibéral, et la reconnaissance se fonde sur le progressisme sociétal. Cette composition permet au néolibéralisme progressiste d’accéder à l’hégémonie.

L’hégémonie est un concept introduit par le philosophe italien Antonio Gramsci. La classe dominante assoit son pouvoir en faisant passer sa vision du monde comme la seule raisonnable. Elle détermine ainsi ce qui relève du « bon sens ».

Elle va de pair avec l’organisation d’un « bloc hégémonique ». Il s’agit d’une coalition disparate de forces sociales à travers laquelle la classe dominante exerce son pouvoir.

De cette façon, les détracteurs du néolibéralisme progressiste se retrouvent tout naturellement délégitimés de deux façons. S’ils combattent le néolibéralisme, ils se voient taxés de populisme. S’ils s’opposent au progressisme sociétal, les tenants du néolibéralisme peuvent les qualifier de racistes. Et du fait de la proximité des deux courants, la critique du néolibéralisme devient une critique du progressisme. La boucle est bouclée et les adversaires du néolibéralisme muselés, renvoyés aux marges du débat public.

Cependant, cette hégémonie n’aura qu’un temps. En effet, le néolibéralisme progressiste convient bien aux élites urbaines éduquées et bien intégrées aux flux économiques. En revanche, elle laisse sur le carreau le reste de la population, victime des politiques d’austérité ou mal connectées aux métropoles. Les succès de Trump aux États-Unis ou de l’extrême droite en Europe montrent que ce modèle se lézarde déjà.


Sur ce sujet, lire aussi La France périphérique

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Le néolibéralisme progressiste constitue donc un paradigme selon lequel l’aggravation des inégalités économiques est masquée derrière le paravent des luttes sociétales. Ces dernières demeurent indolores pour les élites financières, et donnent sa légitimité à un système de redistribution qui sans cela se révèlerait inacceptable.

On commettrait néanmoins un contresens en concluant que Nancy Fraser rejette la nécessité des débats sociétaux. Elle est elle-même engagée dans le courant féministe. Elle déplore que ces luttes, sous leur forme « néolibéraliste progressiste », ne bénéficient qu’aux minorités qui appartiennent déjà à la classe dominante. En effet, selon elle, les inégalités de reconnaissance trouvent leur source dans l’organisation économique capitaliste. Elle prône donc en réalité une alliance entre progressistes et anticapitalisme (qu’elle nomme « populisme ») afin de limiter les inégalités sociales tout en faisant progresser les combats sociétaux.

La fin de l’hégémonie « néolibérale progressiste » s’avère peut-être finalement la cause profonde de la mutation politique qui affecte l’Occident. La question n’est pas seulement de savoir quel système de répartition – distribution remplacera le néolibéralisme progressiste, et à quel horizon. Il s’agit surtout de pouvoir faire face aux « monstres » qui naîtront dans la transition.

« L’ancien monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »

Antonio Gramsci

Pour une thèse proche, lire notre article Lutte des classes ou lutte des races.

Cette courte synthèse n’a pour but que de vous inciter à lire l’article complet, ici. Il développe ces concepts et les applique à la politique américaine pour mieux la comprendre.

Qu’est-ce que l’identité ? Amin Maalouf, les identités meurtrières

Qu’est-ce que l’identité ? Amin Maalouf, les identités meurtrières.
Les armes et la toge.

Qu’est-ce que l’identité ? Dans Les identités meurtrières, le romancier Amin Maalouf nous livre son analyse. Il s’emploie à comprendre pourquoi, partout dans le monde, des gens tuent au nom de leur identité. 

Qu'est-ce que l'identité ? Amin Maalouf les identités meurtrières. Les armes et la toge.

L’identité comme somme des sentiments d’appartenance

Alors, qu’est-ce que l’identité ? C’est ce qui fait que je ne suis identique à personne d’autre. Elle est constituée de différents sentiments d’appartenance dont la combinaison est unique. Ce sont par exemple la classe, la couleur de peau, la religion, la langue, la nationalité, le pays de naissance… L’individu ressent ces sentiments d’appartenance distincts comme un tout.

Nous devons en outre composer avec un héritage double. L’héritage vertical est celui de nos aïeux. Nos familles, nos proches, nous transmettent des habitudes, des traditions. L’héritage horizontal est celui de nos contemporains. Nous vivons dans une époque qui possède son mode de vie et sa vision du monde propre. C’est cet héritage qui s’avère le plus significatif dans nos comportements.

L’identité n’est pas innée, mais acquise. Elle « se construit et se transforme tout au long de l’existence ». Par exemple, naître noir n’a pas le même sens en Zambie ou aux États-Unis. La religion n’aura pas la même importance dans son identité si l’on grandit en France, en Irak ou en Inde. L’influence d’autrui revêt donc une importance clef dans le développement de l’identité.

Cette influence s’avère en effet au fondement de la perception des sentiments d’appartenance et de leur hiérarchisation. Leur origine se trouve dans les blessures causées par les différences soulignées par autrui. On a tendance à se reconnaître dans la plus attaquée de ses appartenances.

Néanmoins, la hiérarchie des sentiments d’appartenance peut évoluer dans le temps. Celui qui dans les années 80 se disait avant tout Yougoslave a pu dans les années 90 se sentir d’abord musulman. De nos jours, il se réclamerait davantage de la nation bosniaque.


Lire aussi, Qu’est-ce qu’une civilisation, selon Fernand Braudel.

Religion et identité

Aujourd’hui, sur la planète entière, et particulièrement dans le monde arabe, hommes et femmes se focalisent sur leur appartenance religieuse.

La religion comble en réalité deux besoins : le besoin de spiritualité et le besoin d’appartenance. Mais, pour beaucoup la foi constitue le cœur de l’identité.

Cela s’explique par la fin des modèles communistes en Europe et nationalistes dans le monde arabe, mais aussi par le fait que l’Occident doute de lui-même.

Le paradigme religieux reste donc aujourd’hui la seule offre politique crédible dans le monde arabe. De là, la confession devient comme une évidence le composant clef de l’identité. Ce retour du religieux est pourtant un phénomène historiquement borné, causé par des facteurs essentiellement politiques.

Conception « tribale » de l’identité et identités meurtrières

Il peut être tentant de considérer qu’une appartenance domine toutes les autres et s’impose comme l’identité. Cependant, ramener un individu à une identité essentielle réduit les relations avec les autres au « nous » face au « eux ». Ceux qui souhaitent tenir compte de tous les sentiments d’appartenance sont alors considérés comme des traîtres ou des tièdes.

Lorsque cette identité « tribale » est attaquée, la solidarité s’installe parmi ceux qui partagent ce sentiment d’appartenance. La conviction de se trouver en légitime défense s’implante alors dans des communautés où seuls les chefs les plus déterminés peuvent se faire entendre. C’est le mécanisme qui mène à la violence identitaire, aux identités meurtrières.

Mondialisation et identité

Ces rapports identitaires sont exacerbés par la mondialisation. Elle se caractérise par une circulation des connaissances plus rapide que leur création. L’humanité se dirige donc vers une société globalisée de moins en moins différenciée. Nous avons de plus en plus de choses en commun : cela nous pousse à affirmer notre diversité.

De plus, elle s’accompagne d’une angoisse face aux changements brusques. Le recours à la valorisation de l’identité est une réponse à cette angoisse. En somme, plus une société aura confiance en soi et sera dynamique, plus elle se montrera capable de s’ouvrir à l’autre. Plus elle se sentira en danger, plus elle se protègera grâce au réflexe identitaire.

Dans ce cadre, le rapport au progrès des sociétés non occidentales favorise un tel réflexe de repli. En effet, la modernité est associée à l’Occident conquérant. L’accepter revient à abandonner un peu de son identité, comme les savoir-faire ancestraux. Quand la modernité porte la marque de l’autre, l’archaïsme devient un étendard.

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Finalement, qu’est-ce que l’identité ? L’identité d’un individu réside dans la somme de ses sentiments d’appartenance. Ces sentiments sont acquis et non innés. La mondialisation les exacerbe, en réaction à une uniformisation sociétale et au rythme soutenu de la diffusion de nouvelles connaissances.

Réduire l’identité à une appartenance essentielle est un mécanisme qui apporte des gains politiques forts, mais qui se révèle particulièrement dangereux. Seule l’acceptation de l’autre dans toutes les dimensions de son identité permettra le dialogue, et par là la critique.

Lire aussi La cancel Culture.

Valeur d’usage, valeur d’échange chez Marx

Chez Marx, dans Le capital, une marchandise possède une valeur d’usage et une valeur d’échange.

Chez Marx, dans Le capital, une marchandise possède une valeur d’usage et une valeur d’échange.

Chez Marx, dans Le capital, une marchandise possède une valeur d’usage et une valeur d’échange.

La valeur d’usage

La valeur d’usage représente l’utilité de l’objet par rapport à la satisfaction d’un besoin. Ces besoins peuvent être physiologiques ou moins essentiels, peu importe. La chaise sert à s’asseoir, la nourriture à survivre, un diamant à marquer sa distinction sociale. La valeur d’usage positionne la marchandise au regard du besoin qu’elle comble.

La valeur d’échange selon Marx

Pour Marx, contrairement à la valeur d’usage, la valeur d’échange place la marchandise dans son rapport aux autres marchandises. X kilos de farine ont la même valeur que Y kilos de fer. Mais dans ce cas, qu’est-ce qui détermine cette valeur d’échange ? Il ne peut s’agir que d’une chose que les deux marchandises possèdent en commun. Cet étalon est la quantité de travail humain qu’elles contiennent, c’est-à-dire qui a permis leur création.

Le travail humain au cœur de la valeur d’échange

Ce travail humain est mesuré en temps. Plus le temps nécessaire pour fabriquer une marchandise se révèle important, plus sa valeur d’échange est élevée. L’introduction d’une force productive supérieure, par exemple grâce à la mécanisation, entraîne par conséquent une baisse de la valeur d’échange.

Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les prix (c’est un raccourci, la valeur d’échange n’est pas tout à fait synonyme de prix) des marchandises produites industriellement avec le coût de celles fabriquées par des artisans. C’est donc le temps de travail socialement nécessaire à sa réalisation qui détermine la valeur d’échange d’une marchandise.

NDA Valeur d’usage et valeur d’échange n’ont pas de lien direct. Cependant, la valeur d’usage ressurgit parfois dans les prix, lors de crises, pénuries ou épidémies, comme l’indique la courbe des prix du gel hydroalcoolique entre 2020 et 2021.

Enfin, une chose peut ne demander aucun travail humain, mais posséder une valeur d’usage. Il en va ainsi de l’air, ou le sol. De même, un objet peut contenir du travail humain sans pour autant détenir une valeur d’échange, par exemple s’il répond à un besoin strictement personnel. Dans les deux cas, les objets considérés ne sont pas stricto sensu des marchandises.

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Valeur d’usage et valeur d’échange sont deux notions clef dans le Capital. La valeur d’usage représente donc l’utilité d’un objet au regard de la satisfaction d’un besoin. La valeur d’échange positionne la marchandise par rapport aux autres marchandises. C’est la quantité de travail humain socialement nécessaire pour produire une marchandise qui détermine sa valeur d’échange. Cette quantité de travail se mesure en temps.

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Voir aussi La lutte des classes en France aujourd’hui.

Méthode pour mémoriser un livre

Mémoriser un livre relève souvent du défi. Rien de plus insupportable que de se rendre compte que l’on a tout oublié d’un livre à peine refermé !

Voici une petite méthode tout à fait empirique pour retenir ce qu’on lit. Elle présente une alternative un peu plus ludique aux fiches classiques. Évidemment, on ne mémorisera pas tout le livre, mais on assimilera ce qui nous parait valoir la peine d’être su.

Le principe est d’utiliser des techniques qui vont faciliter la compréhension des informations, puis leur mémorisation. Enfin, il s’agira de graver ces informations dans notre mémoire sur le plus long terme.

Mémoriser un livre

Lire le livre (et le comprendre)

Lire le livre un carnet à la main (ou son téléphone). Noter et reformuler avec ses mots à soi les idées que l’on souhaite retenir. Faire de même pour l’idée principale de chaque chapitre ou partie.

C’est une lecture active. La reformulation permet de mieux comprendre ce qu’on lit, et de commencer le travail de mémorisation. En effet, on n’assimile pas ce que l’on ne comprend pas, ou que l’on ne cherche pas à retenir.

En fin de lecture, tenter une synthèse de l’ouvrage pour en déterminer l’idée force. Par exemple pour De la Guerre, l’idée la plus riche est que la guerre est soumise à la politique.

Formuler des questions

Le défi est ensuite de mémoriser le livre. Quelques jours après la fin de la lecture, revenir sur ses notes. Pour chaque idée, imaginer une question dont la réponse sera l’idée à retenir. Il est possible de répertorier ces questions dans un fichier de traitement de texte.

Reprenons notre exemple de Clausewitz :

Q : quelle est l’idée la plus riche de De la guerre ?

R : la guerre est soumise à la politique.

Pour approfondir la mémorisation, la réponse peut aussi devenir une question.

Q : pourquoi la guerre est-elle soumise à la politique ?

R : parce qu’elle a pour fin un but politique décidé par le pouvoir politique.

L’objectif de ces questions est de pouvoir se les reposer à intervalles réguliers. Ainsi, l’information se gravera dans la mémoire de long terme.

On peut les réviser toutes les semaines ou tous les mois. Cependant, le plus pratique reste d’utiliser un logiciel prévu à cet effet.

Utiliser un logiciel de mémorisation pour mémoriser un livre

Les logiciels de mémorisation sont des applications qui ont pour but de faciliter la rétention des informations. Ceux qui vont nous intéresser fonctionnent grâce à un système de questions-réponses, comme Anki ou Quizlet.

Leur principal atout est qu’ils sont téléchargeables sur smartphone. Donc exit la programmation des séances de révision, que l’on tient une semaine avant de les reléguer aux oubliettes avec tout ce que l’on avait cru apprendre. À la place, on reçoit des notifications. On n’a rien à faire, et c’est pour ça que ça marche !

Ainsi, il est plus facile de consentir un effort de prise de notes lors de la lecture du livre. On sait qu’elles ne seront pas perdues.

Comment fonctionne un logiciel de mémorisation ?

Il suffit d’enregistrer ses questions et leurs réponses dans le système. Ensuite, le programme gère lui-même le rythme de révision. Il choisit l’intervalle dans lequel il va vous présenter à nouveau une question. Cet intervalle s’étend si la réponse s’avère systématiquement bonne, se rétracte si elle se montre dure à mémoriser.

Les armes et la toge propose des paquets Anki. Le logiciel est gratuit. Mais il existe bien d’autres applications de ce genre !

Chaque paquet Anki est composé de Flashcards. Ces Flashcards servent simplement de support à vos questions-réponses. L’application pose une question, et vous évaluez si votre réponse est correcte, facile ou difficile, ou si vous souhaitez que le logiciel vous repropose la carte rapidement.

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Le but de notre méthode est de positionner l’effort sur la compréhension des informations et non sur la mise en place de révisions rébarbatives.

Nous combinons la mise en forme des informations à retenir sous la forme de questions et l’utilisation d’un logiciel de mémorisation. Cela permet de mieux comprendre et de mieux retenir sur le long terme, avec moins d’efforts à fournir sur la partie qui pèche toujours, la révision.

Qu’est-ce qu’une civilisation ?

Qu'est-ce qu'une civilisation ? Réponse de Fernand Braudel.

Dans Grammaire des civilisations (1987), le grand historien Fernand Braudel (1902 – 1985) approfondit les concepts de culture et de civilisation.

Qu'est-ce qu'une civilisation ? Réponse de Fernand Braudel.

Civilisation et sciences sociales

Pour Fernand Braudel, une civilisation, c’est un espace, une société, une économie et une mentalité collective.

« Les civilisations sont des espaces »

L’espace est la « scène » de la pièce de théâtre. Une civilisation acquiert certaines de ses caractéristiques par sa réponse au défi posé par la nature. Elle choisit les meilleures solutions pour se loger, se vêtir, se nourrir. Par exemple, exploiter des rizières ou des champs de blé crée un certain nombre de contraintes qui façonnent les civilisations.

Cet espace est par conséquent aménagé. « Le milieu à la fois naturel et fabriqué pour l’homme n’emprisonne pas tout à l’avance dans un déterminisme étroit ». Le milieu, c’est donc des avantages donnés, mais aussi acquis.

« Les civilisations sont des sociétés »

Les notions de société et de civilisation sont entremêlées, et presque identiques. Toutefois, cette dernière suppose des « espaces chronologiques » plus vastes.

Ainsi, une des caractéristiques de la civilisation occidentale aujourd’hui est sa société industrielle. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans cette optique sociologique, la relation ville/campagne est une des clefs de lecture des civilisations. Par exemple, le monde musulman a très tôt produit des villes brillantes, mais peu connectées avec les campagnes.

De plus, toute civilisation possède une vision du monde ; or, celle-ci est directement liée à la société, puisqu’elle est le fruit des tensions sociales dominantes.

« Les civilisations sont des économies »

Braudel comprend « économie » au sens d’économie politique. Il y inclut les enjeux technologiques et démographiques.

En effet, le rapport à la technique d’une civilisation pourrait être le produit de sa démographie. Ainsi, après la peste noire en Europe, le manque d’homme aurait stimulé l’inventivité technique. À l’inverse, la Chine, qui a toujours bénéficié d’une population très nombreuse, ou la Grèce antique, qui recourrait à l’esclavage, n’ont pas connu ces progrès des techniques malgré des civilisations brillantes.

En outre, une civilisation s’exprime dans la façon dont elle valorise ses surplus économiques, par l’art ou le luxe. Une économie, c’est une certaine manière de redistribuer les richesses, et donc une diffusion plus ou moins large de l’art, de la culture, de la philosophie et de la science. L’étendue de cette diffusion influera sur les aspects que prendra l’esthétique ou la philosophie. Par exemple au XVIIe siècle, l’art se concentrait autour des grandes cours ; au XIXe, il s’est répandu dans la bourgeoisie qui en a adapté les formes.

D’une façon plus générale, Braudel considère que c’est dans la vie intellectuelle de ses classes les plus pauvres qu’une civilisation se laisse lire le plus. « Le rez-de-chaussée d’une civilisation, c’est souvent son plan de vérité ».

« Les civilisations sont des mentalités collectives »

Cette notion de mentalité collective caractérise tout ce qui pour un peuple va de soi.

C’est la psychologie collective dominante qui « dicte les attitudes, oriente les choix, enracine les préjugés ». Elle est « le fruit d’un héritage lointain ».

À cet égard, la religion possède une importance clef, en définissant une éthique, en réglant les rapports à la vie et à la mort, mais aussi en assignant à chacun un rôle dans la société.

Il n’existe aucune frontière entre civilisations qui soit réellement imperméable. Les biens culturels s’échangent au même titre que les marchandises. Mais ces mentalités collectives sont « ce que les civilisations ont de moins communicable les unes à l’égard des autres ».  

Cependant, à y regarder de plus près, la notion de civilisation n’est pas statique.


Lire aussi Les peuples ont-ils encore le droit de disposer d’eux-mêmes ?

La civilisation, une notion historique

Premièrement, le mot « civilisation » possède une histoire.

Au singulier

Dans son sens contemporain, il apparaît au XVIIIe siècle. Il désigne l’opposé de la barbarie.

Mais cette notion de civilisation possède deux étages : les œuvres de l’esprit, mais aussi les accomplissements concrets. « Apporter la civilisation », c’était à la fois imposer la vision du monde occidental et ses réalisations techniques, le christianisme comme les chemins de fer. Le besoin d’un autre mot s’est donc fait sentir. Ce fut la « culture ».

En France, le terme « culture » évoque essentiellement une forme personnelle de vie de l’esprit, tandis que la « civilisation » renvoie aux valeurs collectives. En Allemagne, Kultur se réfère à des idéaux, des valeurs, alors que Zivilisation se comprend comme un ensemble de techniques et de pratiques.

Au pluriel

Mais au XIXe siècle, le terme de civilisation passe au pluriel. La civilisation s’efface au profit des civilisations, des ensembles humains, comme la civilisation occidentale ou chinoise. Nous avons déjà expliqué sur quels critères s’identifient les civilisations. Mais elles se définissent aussi en sous-ensembles. Chaque dénominateur commun peut encore se décliner. Il existe au sein de la civilisation occidentale une civilisation française, américaine, espagnole, des toits de briques aux toits d’ardoises, du blé, du riz…

Les civilisations sont des continuités historiques

Ensuite, une civilisation n’est pas qu’un espace, une société, une économie et une mentalité collective prise à un moment particulier. On ne peut véritablement saisir son essence que dans sa dynamique historique.

Selon Braudel, c’est même là que l’on va pouvoir s’approcher au plus près de l’âme d’une civilisation. « L’histoire d’une civilisation […] est la recherche, parmi les coordonnées anciennes, de celles qui restent valables aujourd’hui encore ». Elles se manifestent à travers des faits de civilisation : le succès d’un livre, un progrès technique, une mode… Ces « faits » sont souvent éphémères, mais certains noms semblent défier l’histoire : Aristote, Descartes, Marx, Bouddha, Jésus, Mahomet… Ce sont eux qui peuvent nous guider vers les coordonnées toujours actives, vers ce qui ne varie pas, ou peu.

Outre ces « faits de civilisation » qui bravent le temps, ce sont leurs « refus d’emprunter » qui mènent au cœur des civilisations. Dans la longue durée, elles partagent entre elles de nombreuses caractéristiques : l’occident a diffusé sa société industrielle au monde entier ; en Asie, le bouddhisme s’est répandu dans des régions à la culture bien différente. Mais parfois, certaines greffes ne prennent pas. Elles sont rejetées après un processus plus ou moins long. Il en est ainsi de la Réforme dans les pays latins, ou du marxisme chez les Anglo-saxons. Ces refus demeurent rares, mais révélateurs, car ce qu’ils repoussent remet en question leurs structures profondes.

Ces rejets peuvent aussi être internes, lorsqu’une civilisation se débarrasse de ce qui ne lui correspond plus. Ainsi, si la folie avait droit de cité au moyen âge, les progrès du rationalisme conduisent peu à peu à l’enfermement des fous.

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Pour Fernand Braudel, une civilisation c’est donc un espace, une société, une économie, une mentalité collective considérées dans leur continuité historique. Son essence se trouve dans ce qu’elle a de permanent sur le temps long, et elle se révèle dans ce qu’elle refuse d’emprunter aux autres civilisations.

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« Une civilisation donnée, ce n’est donc ni une économie donnée, ni une société donnée, mais ce qui, à travers des séries d’économies, des séries de sociétés, persiste à vivre en ne se laissant qu’à peine et peu à peu infléchir ».

Fernand braudel, grammaire des civilisations

LUTTE DES RACES OU LUTTE DES CLASSES ?

METTRE FIN AU RACISME SYSTÉMIQUE SANS CHANGER LE SYSTÈME ?

Les luttes sociales se transforment-elles en luttes sociétales ? Lutte des races ou lutte des classes ? Comment mettre fin au racisme systémique

La question « raciale » (entendue au sens de l’enfermement des individus dans une identité correspondant à leur couleur de peau) n’a pas attendu le meurtre de George Floyd aux États-Unis, pour s’importer dans le débat français. Cependant, avec le mouvement « Black lives Matter » des expressions comme « privilège blanc » ou « racisme systémique » ont surgi dans le discours médiatique, en même temps qu’augmentait la visibilité des organisations et de la pensée indigéniste ou décolonialiste. Ces expressions peuvent — et c’est leur but — choquer dans un pays qui revendique ne reconnaître que des citoyens sans notion d’origine ou d’appartenance culturelle. Cette thématique fortement mobilisatrice arrive à une époque où l’étude de la lutte des classes s’essouffle. Elle semble même sur le point de l’éclipser.

Alors, la lutte des races est-elle la nouvelle lutte des classes ?

Le remplacement de la thématique de la lutte des classes par celle de la lutte des races est une réalité. Cependant, ces nouvelles luttes ne permettront pas seules de réduire de façon pérenne les inégalités en France. En effet, elles méconnaissent leur structure profonde, qui est principalement liée à l’appartenance à une classe sociale.

Le racisme systémique en France est une réalité

Le racisme systémique est une réalité indéniable et de plus en plus étudiée. Mais cela ne signifie pas que la France soit un pays raciste.

Le racisme en France

Le racisme en France est une réalité bien documentée. De nombreuses études scientifiques et campagnes de testing attestent de sa réalité. Il ne se limite pas au « contrôle au faciès ». Il s’étend en réalité à tous les domaines de la société : accès au logement, aux loisirs, à l’emploi.

Racisme systémique

Ce racisme est dit systémique, mais ce n’est pas parce que la France possède une politique raciste. L’expression racisme systémique, tirée du monde universitaire vers le champ médiatique sans explication est sujette à tous les fantasmes. Elle signifie simplement que même si les individus rejettent massivement le racisme, les discriminations subsistent au niveau collectif, quelle que soit l’intention des acteurs individuels. Le racisme systémique se trouve à la croisée du système de domination basé sur les rapports de production (économie capitaliste dérégulée) et des schémas de représentations sociales (image négative des classes populaires) ou héritées de la période coloniale (stéréotypes racistes).

La lutte des classes concurrencée

La lutte des classes n’est plus la grille de lecture dominante des rapports sociaux. Les mondes universitaires et médiatiques décrivent d’autres types de domination, tout aussi réels que la lutte des classes, mais plus visibles. La multiplication des études dites « intersectionnelles », sur le genre ou « postcoloniales », tend à prouver que la lutte des classes n’est plus la grille d’analyse dominante des rapports sociaux aujourd’hui. Considérer que la lutte sociale doit primer sur les luttes sociétales peut même être considéré comme l’expression de la continuation de la domination raciste par d’autres moyens.

Le racisme en France est donc une réalité scientifiquement établie. Et pourtant, lutter contre ces phénomènes systémiques ne peut passer que par la compréhension de la structure des rapports de domination. Or, cette structure reste dominée par l’appartenance à une classe sociale.


Lire aussi La lutte des classes en France

L’appartenance à une classe sociale reste le déterminant principal des inégalités

Même si les discriminations de genre ou liées à l’origine sont bien réelles, elles sont moins structurantes que celles liées aux classes sociales.

Structure des inégalités

Sans nier l’existence d’autres types de domination et d’inégalités, le principal ressort des inégalités est l’appartenance à une classe sociale. Par exemple, la trajectoire sociale d’une femme noire, vivant en région parisienne, d’origine sénégalaise dont les parents sont diplomates sera plus favorisée que celle d’un homme blanc vivant à Alès dont les parents sont ouvriers. Cela ne veut pas dire que cette femme noire ne sera pas victime de racisme et de sexisme, même de la part de membre de classes sociales dominées ; simplement qu’elle fait partie d’une catégorie socialement dominante.

Capitalisme et racisme systémique

Or, le système capitaliste dérégulé qui structure en grande partie les rapports sociaux est responsable d’une part importante du racisme systémique. La majorité des populations d’origine immigrée fait partie des classes populaires. La difficulté pour ces populations de gravir les échelons des classes sociales est de plus en plus importante. Mais cela est dû prioritairement à la structure des rapports de domination dans une société capitaliste, et secondairement à l’existence d’un racisme (et d’un sexisme) systémique. D’où une association pérenne des populations d’origine immigrée aux caractéristiques et stéréotypes associés aux classes populaires : classe dangereuse, capital financier, scolaire et culturel faible, capital symbolique négatif…

La lutte des classes occultée par l’obsession identitaire

L’obsession identitaire peut occulter ce ressort structurel. Les inégalités de genre, ou liées à la couleur de peau, peuvent être ressenties plus vivement que celles liées au milieu social. Elle sont aussi davantage visibles, parce qu’elles sont moins structurelles, moins intégrées que les inégalités sociales. Qui plus est, les personnes qui en sont victimes manquent « pour des raisons socio-économiques, des ressources qui leur permettraient de diversifier leurs appartenances et leurs affiliations. C’est ce qui explique qu’ils puissent se représenter le monde social de manière binaire et ethnicisée : le “nous” […] versus le “eux” […]. Si l’on veut pousser la lutte contre le racisme jusqu’au bout, il faut aussi combattre cet enfermement identitaire, car il empêche ces jeunes révoltés d’apercevoir que leur existence sociale est profondément déterminée par leur appartenance aux classes populaires » (S. Beaud, G. Noiriel).

Or, si « toutes les enquêtes sociologiques, statistiques ou ethnographiques montrent pourtant que les variables sociales et ethniques agissent toujours de concert et avec des intensités différentes […], on ne peut rien comprendre au monde dans lequel nous vivons si l’on oublie que la classe sociale d’appartenance (mesurée par le volume de capital économique et de capital culturel) reste, quoi qu’on en dise, le facteur déterminant autour duquel s’arriment les autres dimensions de l’identité des personnes. » (S. Beaud, G. Noiriel).

Faire de la couleur de peau ou de l’origine la variable essentielle dans l’organisation sociale et politique, ou la mettre sur le même plan que l’appartenance à une classe sociale revient à lutter contre une conséquence plus que contre la cause structurante des discriminations. Lutter contre le racisme, c’est donc aussi combattre l’enfermement identitaire, car il empêche de saisir les ressorts profonds des inégalités.

Compatibilité entre lutte des classes et luttes des races

Ces deux formes de lutte sont bien sûr loin d’être exclusives, à condition de comprendre la hiérarchisation des dominations. Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas nécessaire de lutter contre le racisme, ou que ce combat doive être secondaire, encore moins qu’il faille délaisser un combat au profit d’un autre. Cela signifie qu’il faut reconnaître que le système capitaliste est à l’origine du racisme systémique. La hiérarchisation des dominations n’impose pas la hiérarchisation des luttes. Au contraire, sur le plan pratique, la construction d’un rapport de force un peu moins défavorable contre les structures de pouvoir acquises aux intérêts du capital impose aux mouvements sociaux et antiracistes de s’unir.

On lutte donc aussi contre le racisme en luttant pour l’égalité sociale — encore qu’une société non capitaliste ne soit pas nécessairement préservée du racisme. En revanche, toute lutte isolée contre le racisme systémique pourrait se révéler vaine si le capitalisme est encore debout dans sa forme actuelle. Un capitalisme antiraciste est un mythe puisqu’il accentue les inégalités sociales, qui défavorisent les populations issues de l’immigration. A l’inverse, les partis de gauche et les organisations syndicales ne peuvent pas passer sous silence les combats antiracistes. Mais comment croire que l’on peut mettre fin au racisme systémique sans changer le système ?

C’est parce qu’elle ne représente pas une véritable menace pour le système de domination capitaliste que la lutte antiraciste peut s’étendre si aisément dans le discours médiatique dominant.

Mettre en scène la lutte des races contre la lutte des classes sert la classe dominante

Paradoxalement, le remplacement de la centralité de l’oppression de classe par la non-hiérarchisation des dominations favorise les intérêts de la classe dominante.

Capitalisme et obsessions identitaires

L’émergence de ces obsessions identitaires n’est pas sans lien avec la fermeture du champ des possibles politique. En effet, une fois le terrain social fermé à la contestation par une politique qui prétend qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme dérégulé, et si aucune opposition n’est capable de proposer un système alternatif crédible, le seul champ de revendication resté ouvert est celui de l’identité. C’est aux prémices de cette révolution que nous assistons aujourd’hui. La lutte sociale étant impossible, elle se transfère sur le champ sociétal.

La lutte des classes dans la lutte des races

Cette bascule est favorable à la classe dominante parce qu’elle divise les classes populaires. Les classes populaires blanches, décrites dans La France périphérique par Christophe Guilluy, sont renvoyées à un statut de privilégiées. Or, dans le pays de la nuit du 4 août et de la Terreur, ce terme de privilège porte une charge de violence considérable. Ce statut est sans rapport avec l’exclusion politique, économique et médiatique qu’elles vivent au jour le jour. Comment pourraient-elles ne pas, dès lors, se redéfinir en opposition de leurs accusateurs, selon les nouveaux termes de débat ?

Bradley Campbell et Jason Mannings ont analysé ce phénomène dans The rise of victimhood culture. Selon eux, la force de la « culture de la victime », dont procède une bonne partie du vocabulaire emblématique du mouvement antiraciste, est de créer une opposition entre bourreaux et victimes. Cette opposition est surtout centrée autour de la couleur de peau. Elle a aussi pour caractéristique de forcer ses opposants à adopter la terminologie victimaire, ou bien à s’inscrire dans les catégories utilisées par leurs accusateurs. Les blancs ne pouvant être, selon ce paradigme, victimes des blancs, il ne leur reste que la place de bourreau. Classes populaires blanches et immigrées sont dans cette logique incapables de s’unir.

Dissolution de la lutte des classes dans la lutte des races

Enfin, c’est le discours médiatique dominant qui forme les esprits et les consciences à accepter cette racialisation des rapports sociaux. En relayant les outils conceptuels qui remplacent la lutte des classes, ou bien en affichant une forme de soutien à la transformation des luttes sociales en luttes sociétales, il impose cette nouvelle norme. Rappelons avec Noam Chomsky que le discours médiatique est intrinsèquement lié à la défense des intérêts de la classe dominante. Il encourage une lutte indolore pour le système de domination capitaliste dérégulé, qui est pourtant à l’origine d’une bonne partie du racisme systémique. Il peut ainsi perdurer grâce à la transformation des luttes sociales en luttes sociétales.

Lire aussi Christophe Guilluy, La France périphérique.

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Les thématiques antiracistes et décolonialistes semblent bien parties pour remplacer la lutte des classes dans les combats contre les inégalités. Loin d’être une américanisation de la société, cette prise de pouvoir représente la neutralisation encouragée par la classe dominante du seul corpus intellectuel capable de déconstruire les dominations produites par le système capitaliste, celle de la lutte des classe.

Néanmoins, force est de constater que les luttes sociales, ou l’étude et la démonstration de l’existence de la lutte des classes par les universitaires dans les années 60 et 70 n’ont pas empêché le capital d’écraser toute opposition par son internationalisation.

Peut-être un autre type de lutte, écologique cette fois, pourra-t-elle, par son urgence, fragiliser les murailles de la forteresse capitaliste et supprimer l’une des causes principales du racisme systémique.

Lire aussi cet excellent article du Monde. Il explique les « 3 mutations du racisme » : biologique, culturel, systémique.

La lutte des classes en France aujourd’hui

La lutte des classes est une réalité en France.

Rompant avec le discours dominant, qui fait de la lutte des classes une grille de lecture démodée inapplicable aux sociétés contemporaines, un de mes vénérables professeurs, Légion d’honneur au collet, nous disait un jour, en substance :

« Vous le savez, je suis idéologiquement loin du parti communiste (et il l’était). Et pourtant, la lutte des classes, j’attends toujours qu’on me prouve qu’elle n’existe pas ».

La lutte des classes structure-t-elle encore les inégalités dans les économies capitalistes, et particulièrement en France ?

La lutte des classes est bien une réalité en France. Cependant, le capital constitue aujourd’hui une classe mondialisée. Cela explique les formes nouvelles de la lutte des classes, mais aussi la difficulté d’appliquer cette grille de lecture héritée de la société industrielle nationale à la société contemporaine.  

Quelques définitions

Qu’est-ce qu’une classe sociale ? De nombreuses approches et définitions existent. Examinons la définition de Marc Bloch de la bourgeoisie.

« J’appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu’en soit l’origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieures aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l’instruction, tantôt reçue dès l’enfance, si la famille est d’établissement ancien, tantôt acquise au cours d’une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif. »

Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, pp.194 — 195.

Nous retiendrons de la classe sociale qu’il s’agit d’un groupe inséré dans une hiérarchie de fait (pas nécessairement de droit), qui s’établit principalement par la place des individus au sein des rapports de production, mais aussi par leur niveau d’instruction et par le comportement qui est attendu d’eux. Elle possède aussi une dimension subjective. Elle prescrit les comportements sociaux.  

Comme elle est une construction visant à représenter un système d’inégalités, la classe sociale est indissociable de la lutte des classes. En fait, ce sont bien davantage les rapports de domination existants qui définissent une classe que des critères comptables.

La lutte des classes en France : la grande disparition

Alors qu’elle continue de représenter une grille de lecture pertinente pour expliquer la dynamique des inégalités en France, la lutte des classes occupe aujourd’hui dans le discours dominant une place marginale. Elle était pourtant conçue comme un phénomène central dans les années 70. Cette disparition possède une signification idéologique.

Une grille de lecture en apparence dépassée

Les classes sociales traditionnelles décrites par Marx, comme la bourgeoisie et la classe ouvrière, étaient pertinentes dans la société industrielle. Aujourd’hui, elles paraissent particulièrement décalées. Comment parler encore de classe ouvrière alors que l’emploi ouvrier ne représente plus que 20 % de la population ? Ou de bourgeoisie alors que le mot fait aujourd’hui référence à une réalité objectivement dépassée ? L’absence de renouvellement de la représentation des classes sociales pourrait laisser penser que cette grille de lecture n’est plus adaptée à une société où le travail est fragmenté.

Le concept de lutte des classes brille par son absence dans le discours légitime

Dans les productions intellectuelles, les médias dominants ou dans le discours politique, le vocabulaire de la lutte des classes disparaît. Cette disparition n’est pas anodine. Supprimer l’outil qui permet de penser les inégalités sociales contribue à faire disparaître la perception de leur caractère systémique. Le contrôle du discours est un moyen d’imposer une idéologie. 

Une répartition des classes pour la société post-industrielle

Pourtant, la lutte des classes reste une grille de lecture pertinente pour expliquer la dynamique des inégalités pour peu qu’on la dépoussière. Dans une note au Manifeste du parti communiste, Marx décrit le prolétariat comme « la classe des ouvriers salariés modernes qui, ne possédant en propre aucun moyen de production, sont contraints de vendre leur force de travail. » (C’est nous qui soulignons.) 

Nous choisissons de séparer la France en deux grandes classes en utilisant cette notion de la vente de la force de travail contrainte. D’un côté, ceux dont les moyens de subsistance dépendent de la vente de leur force de travail (leurs revenus du capital, s’ils existent, ne sont qu’un revenu annexe). De l’autre, ceux dont la vente de la force de travail n’est pas essentielle aux revenus, mais plutôt un impératif social. Il est évident que l’on ne peut se contenter d’une séparation aussi fruste et arbitraire. De nombreuses situations intermédiaires méritent classification. Mais examinons comment cette simple distinction nous éclaire sur les modalités de la lutte des classes en France comme ailleurs.

Si le vocabulaire de la lutte des classes est en voie d’extinction, elle constitue un outil plus pertinent que jamais pour penser la structure des inégalités, pour peu que l’on prenne la peine d’analyser les mutations contemporaines du capital.


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Capital mondial…

Aujourd’hui le capital est une classe organisée mondialement, ce qui lui donne une liberté d’action très large vis-à-vis des États et de leurs politiques nationales.

Le capital comme classe

Le capital n’est pas qu’une accumulation de moyens de production, c’est aussi une classe très discrète, mais agissante. Les détenteurs ou administrateurs du capital forment une classe sociale que l’on peut qualifier de dominante. S’il n’existe pas de structure d’opérations coordonnées du capital, au sens d’un état-major, les différents acteurs qui composent cette classe sont liés par une idéologie commune. Cela donne une grande cohérence à leurs actions.

La classe du capital est mondialisée

La circulation des capitaux, et donc leur répartition sur le globe, est de plus en plus dérégulée. C’est une grande différence avec la structure du capital telle qu’elle existait après-guerre, lorsqu’il était encore fortement organisé sur la base des territoires nationaux.

Concrètement, aujourd’hui des groupes d’investissement qui possèdent des actifs sur toute la planète détiennent une partie des entreprises ou du patrimoine immobilier français. Le caractère transnational du capital lui permet de s’émanciper des tutelles nationales et de mettre les pays en concurrence, pour réaliser son seul et unique but : la maximisation du profit. Ainsi, le capital peut sanctionner toute décision politique inopportune en regard de cet unique critère, par un arrêt des investissements et une relocalisation des capitaux, évidemment préjudiciables aux États. Le capital encadre donc les politiques nationales. La démocratie en est réduite à l’état de droit et au débat public.

Un nouveau paradigme de la lutte des classes

Dans Du temps acheté, Wolfgang Streeck introduit les concepts « d’État débiteur » et « d’État de consolidation » qui explicitent les rapports entre États-nations et capital. Entre les années 70 et 80, les États occidentaux sont passés du modèle de l’« État fiscal », qui dépend des ressources qu’il prélève sur l’activité économique, à « l’État débiteur », qui dépend de sa capacité d’emprunt.

Ayant réussi à imposer son idéologie et menaçant de s’expatrier, le capital obtient des démocraties des réductions massives d’impôts, qui diminuent d’autant leurs recettes et les obligent à emprunter sur les marchés pour se financer. Ainsi, au lieu de confisquer les ressources superflues des plus riches, l’État les place et les rémunère. Dans les années 1990, les représentants du capital, inquiets devant un endettement des États qui fragilise leur solvabilité, obtiennent des allégements des dépenses publiques, particulièrement sur les dépenses sociales. C’est « l’État de consolidation ». Or que finance l’État ? Les revenus directs et indirects des plus pauvres, c’est-à-dire l’illusion de la croissance que devrait d’entretenir le capitalisme pour obtenir l’adhésion des populations. Aujourd’hui, les peuples s’appauvrissent pour rémunérer le capital.

En France, ce paradigme est aisément visible : réduction des dépenses de la sécurité sociale contre flat tax (prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital) et suppression de l’ISF, pacte de stabilité européen pour garantir la solvabilité des États-débiteurs… La classe dominante, elle, lutte.

Face à la suprématie du capital mondial, les classes dominées, organisées sur une base nationale, ont le plus grand mal à opposer une stratégie cohérente.

… contre classes nationales

En effet, les classes organisées au niveau national manquent de cohérence, de force et de leviers d’action pour renverser le rapport de force avec le capital.

Des classes divisées

Les classes susceptibles de s’opposer au capital sont fragmentées, sans conscience de leurs intérêts communs. Selon Christophe Guilluy dans La France périphérique et Fractures françaises, les classes populaires sont divisées entre banlieues connectées aux métropoles et la France périphérique, la France des pavillons confrontée à la raréfaction de l’emploi industriel et des services publics.

De plus, toujours selon cet auteur, la classe moyenne, dont se réclame une grande majorité de Français, ne serait plus qu’une représentation idéologique refuge, sans véritable réalité sociale. Elle masquerait un appauvrissement généralisé des territoires déconnectés des métropoles. Le mouvement des gilets jaunes illustre à la perfection la tension entre représentations collectives et réalité. Ceux que l’on considérait comme des classes moyennes sans difficulté se révèlent faire bel et bien partie des classes populaires, mais considèrent que leurs intérêts sont structurellement différents de ceux des classes populaires des banlieues en miroir desquelles elles se définissent.

Perte des moyens d’action

Les leviers traditionnels d’action des classes populaires qu’étaient les syndicats et le vote de gauche se révèlent inefficaces, voire en réalité inexistants. Le manque de confiance envers les syndicats, et surtout le faible taux de syndicalisation en France empêchent toute bascule du rapport de force entre ceux qui dépendent de leur salaire et ceux qui dépendent du travail des autres.

Le volet politique de la lutte a lui aussi été neutralisé dans les années 90. Le vote communiste n’est plus une option depuis la chute de l’URSS. De plus, d’une façon générale, les partis qui remettent en cause le consensus néolibéral sont très minoritaires. Et pour cause, si le capital encadre la politique des États, alors les politiques sociales ne sont plus une option réaliste. Le politique n’a plus qu’à gérer des identités. Cela explique le taux d’abstention important des classes populaires. Elles ont, à juste titre, l’impression que leur vote ne sert à rien. Cette abstention renforce mécaniquement la représentation nationale des élites économiques. La domination sans partage de La République En Marche à l’Assemblée nationale en est un bon exemple.

Les classes dominées sont en train de perdre la bataille idéologique.

Enfin, le modèle socioéconomique qui est en train d’émerger en France est celui du capitalisme « diversitaire ». Dans ce modèle, le sociétal prime sur social. Concrètement, la lutte des races prime sur la lutte des classes. Or, à l’inverse des combats sociaux, les combats sociétaux sont indolores pour le capital. En effet, ils ne visent pas à une meilleure répartition des richesses, mais à une meilleure reconnaissance des identités dominées. La lutte des classes serait ainsi neutralisée et la position dominante du capital est garantie pour longtemps. 


Lire aussi Christophe Guilluy, La France périphérique.

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La lutte des classes est donc une réalité en France, malgré son effacement du discours légitime ou la difficulté à percevoir un phénomène tiraillé entre organisation mondiale du capital et des classes dominées qui ne se comprennent que dans un cadre national. Considérant la mainmise du capital sur la politique économique des États au moyen de la dette, son contrôle du discours dominant qui fait disparaître tout cadre pour penser sa domination, et enfin son invulnérabilité aux éventuelles politiques de correction qui ne peuvent provenir que d’un cadre national, la domination du capital sur les peuples est aujourd’hui si solide et pérenne qu’elle semble aller de soi.

Toute volonté d’infléchir le rapport entre le capital et le travail doit donc se situer dans une perspective de long terme. Il apparaît que, sauf réussite d’un projet de rééducation idéologique des populations par le discours médiatique dominant, le seul levier d’action encore utilisable est la valeur accordée à la démocratie en Occident. En effet, si la stérilisation du processus démocratique par les détenteurs du capital ne s’est jusqu’ici manifestée que par une abstention accrue, les exigences toujours plus importantes du capital et l’impasse du financement des dépenses sociales ne pourront que combiner le mouvement de paupérisation des populations à un divorce de plus en plus visible entre démocratie et capitalisme. Cela pourrait entraîner des réactions plus ou moins violentes au fur et à mesure que les illusions et les espoirs des peuples d’évanouiront.

Le capital, combien de divisions ?

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Voir aussi La crise de l’autorité