La PMA pour toutes, une révolution sociétale ?

La « PMA pour toute » est un choix politique légitime, puisqu’il résorbe une discrimination liée à l’orientation sexuelle dans l’application d’un droit d’accès à une technique. Cette décision ne crée pas de droit à l’enfant : elle ne risque pas de mener à la GPA.

À l’inverse du « mariage pour tous », l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi bioéthique, dont la mesure phare est la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour toutes les femmes (sous condition d’âge) n’a pas suscité d’opposition durable dans la rue (enfin, c’est vrai qu’avec la COVID, c’est plus compliqué). Pourtant, on a pu entendre dire que l’extension de cette pratique médicale pourrait ouvrir à des changements de société profonds, par exemple mener à l’autorisation de la gestation pour autrui (GPA), voire au transhumanisme. La PMA pour toutes conduit-elle nécessairement à une impasse éthique ?

La « PMA pour toute » est un choix politique légitime, puisqu’il résorbe une discrimination liée à l’orientation sexuelle dans l’application d’un droit d’accès à une technique médicale. Cette décision ne crée pas de droit à l’enfant : elle ne risque pas de mener à la GPA.

PMA (ou assistance médicale à la procréation) : procréation médicalement assistée. Ensemble des pratiques médicales intervenant dans la procréation. Elle repose sur l’insémination artificielle et la fécondation in vitro. Elle est aujourd’hui autorisée uniquement pour les couples hétérosexuels dont l’un des deux partenaires était stérile ou gravement malade.

GPA : gestation pour autrui. Une femme porte et met au monde un enfant pour une autre personne. Cette pratique comporte le danger de la marchandisation du corps.

Transhumanisme : mouvement ou ensemble de techniques visant à améliorer l’être humain et ses capacités grâce à la science.

NDLR : à l’heure nous publions l’article, le projet de loi bioéthique a été adopté par l’Assemblée nationale. Il doit encore passer devant le sénat.

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I. La PMA pour toutes, un choix de société

Elle vise à établir l’égalité dans l’accès à un droit, mais elle est aussi un choix de société.

La PMA existe déjà. 3 % des naissances ont lieu grâce à la PMA. Le questionnement ne porte donc pas sur la PMA en elle-même sur son extension à des femmes seules ou lesbiennes.

La PMA pour toutes est la suite logique du mariage pour tous. Il s’agit d’étendre le droit à l’accès aux techniques de PMA, quelle que soit l’orientation sexuelle, donc sans discrimination, à toutes les femmes.

Le coût de la PMA pour toutes reste modeste. La « PMA pour toutes » devrait être remboursée par la sécurité sociale, mais son coût devrait rester modeste. Il passerait de 200 millions d’euros (coût des PMA en 2019) à 215 millions d’euros.

La question centrale est celle du modèle familial. La PMA pour toutes va permettre aux couples lesbiens ou aux femmes seules d’avoir des enfants autrement que par une adoption toujours difficile. C’est donc le modèle de la famille traditionnelle qui est remis en cause. Nous sommes face à un choix de société.

Si l’extension d’un droit et la résorption des discriminations sont légitimes, certains avancent que la PMA pour toutes est une pente menant nécessairement à la GPA.

II. La PMA pour toutes, un engrenage vers la GPA ?

La PMA pour toutes ne conduit pas nécessairement à la GPA. C’est faire un raccourci illégitime que de lier les deux.

L’argument d’égalité. Il est avancé qu’autoriser la PMA induirait nécessairement qu’à terme, les hommes homosexuels pourraient revendiquer le droit d’avoir des enfants par voie naturelle, donc en ayant recours à la GPA. Or la PMA pour toutes n’introduit pas un « droit à l’enfant ». Elle supprime simplement une discrimination d’accès à des techniques existantes (celle d’aider une femme à concevoir un enfant). On ne peut donc pas se référer au principe d’égalité pour dire que si l’on généralise la PMA, on crée un droit universel à l’enfant.

L’argument juridique. La marchandisation du corps est une limite morale qui risquerait d’être franchie avec la GPA, comme le montre le développement d’un « business des corps » en Ukraine. Or, l’un des principes essentiels du droit français est le principe d’« indisponibilité du corps humain ». Le corps ne peut pas faire l’objet d’une transaction ou d’une convention (donc même en dehors d’un système marchand). Ainsi ce principe fondamental du droit empêche de légaliser la GPA.

Des avancées techniques bien plus problématiques. Aucun de ces 2 arguments ne pourra jouer si les chercheurs mettent au point l’utérus artificiel. Ce type de découverte introduirait une rupture dans les processus biologiques à l’œuvre dans la procréation, mais cela relève d’une autre logique que celle de la PMA qui amorce artificiellement un processus naturel. Dans une moindre mesure, il est déjà possible dans certaines cliniques des États-Unis pratiquant la fécondation in vitro de choisir le sexe de son enfant.

 La PMA pour toutes ne mène donc pas à la GPA. Cependant, si cette pratique interroge, c’est aussi parce qu’elle est une action médicale sur un corps sain.

III. L’action médicale sur les corps sains

La PMA pour toutes pose la question de l’action médicale sur les corps sains. C’est donc la place et le rôle de la médecine dans notre société qu’elle interroge réellement (note méthodologique : toujours chercher la question derrière la question).

La PMA pour toutes change la perspective de la médecine. Le rôle traditionnel de la médecine est de restaurer la santé, ou au moins limiter la souffrance et les symptômes des maladies. La PMA telle qu’elle existe encore respecte cette logique. Pour en bénéficier, l’un des deux membres du couple doit être stérile ou gravement malade. Avec la « PMA pour toutes », on passe au-delà de ce paradigme. On traiterait des corps sains, en provoquant artificiellement un processus biologique qui peut toujours être amorcé naturellement. Cependant, on voit que ce problème se pose tout de même dans une certaine mesure lors du recours à la PMA dans son modèle actuel, lorsque c’est l’homme qui est stérile ou malade.

Dans le cas de la PMA au profit de femmes fertiles, l’intervention médicale pallie en fait un interdit sociétal. Il s’agit simplement d’évacuer la contradiction entre exclusivité sexuelle, désir d’enfant et impossibilité de procréer sans géniteur extérieur au couple. C’est donc un interdit sociétal qu’il s’agit de contourner, et non pas une impossibilité biologique. On peut se demander si c’est le rôle de la médecine que de permettre de contourner de tels interdits.

Si l’action médicale sur les corps sains pose des problèmes philosophiques, la PMA pour toutes a pu être accusée d’être le cheval de troie du transhumanisme.

IV. Vers le transhumanisme ?

La PMA n’a rien à voir avec les transhumanisme, contrairement à d’autres pratiques médicales pourtant bien acceptées.

Dans ces conditions, la PMA, l’action médicale sur les corps sains ne peut en aucun cas être considérée comme le premier pas vers le transhumanisme. Il ne s’agit pas d’améliorer l’homme, ni même de le libérer de ses contraintes biologiques (on ne remet pas en cause le principe de fécondation – gestation), mais de trouver une solution à un problème sociétal.

À bien réfléchir, cette problématique du transhumanisme est pourtant déjà une réalité, mais pas où on l’attendrait. Un autre type d’action sur un corps sain, la chirurgie esthétique, vise, elle, bien à améliorer l’Homme, même si ce n’est que dans son apparence. Elle relève donc déjà du transhumanisme (NDLR : ceci n’est pas une position communément admise). Est-ce là encore de la médecine ? La science doit-elle avoir pour but de libérer l’homme de ses contraintes biologiques ? Telles sont les questions posées.

Si on laisse faire le marché, et que ces procédés sont — comme aujourd’hui — autorisés et réservés par leur coût aux classes dominantes, cela mènerait à une société cauchemardesque dans laquelle des surhommes (des humains améliorés) domineraient « naturellement » les autres. La fin d’un monde. Mais on le voit, plus qu’une question technique, c’est une question politique, dont nous pouvons encore nous emparer. Cela dit, la chirurgie esthétique, elle, ne fait pas débat.

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In fine, la loi sur la « PMA pour toutes » est parfaitement légitime, et ne mène ni à la GPA ni au transhumanisme. La question relève en réalité de trois aspects.

Un aspect sociétal : accepte-t-on de nouveaux types de familles ? Il semble difficile de s’y opposer, en droit comme en fait.

Un aspect éthique : l’action médicale sur un corps sain est-elle acceptable ?

Un aspect philosophique : la médecine doit-elle servir à concilier désir individuel et interdits sociaux ?

Les avancées techniques pourraient mettre d’autres questionnements, beaucoup plus profonds, au centre du débat public lorsqu’elles permettront de mener une grossesse de manière complètement artificielle ou de sélectionner les caractères futurs chez les fœtus.

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Voir aussi La crise de l’autorité.

Pourquoi les hommes combattent selon Martin Van Creveld, en moins de cinq minutes

Pourquoi les hommes se battent-ils ? Dans la transformation de la guerre Martin Van Creveld explique leurs motivations.

Dans La transformation de la guerre, Martin Van Creveld aborde les motivations qui poussent les hommes à se jeter dans la guerre. Ce n’est pas la thèse centrale de l’ouvrage, qui est que les conflits de basse intensité sont l’avenir de la guerre et que la conception occidentale de la guerre, basée sur le modèle trinitaire clausewitzien, est erronée, mais elle m’a paru davantage digne d’intérêt.

Les hommes et la guerre

Les hommes se battent pour quatre raisons principales.

Par amour du danger. Il exerce depuis toujours une grande fascination sur l’homme, qu’il transcende et grandit en le confrontant à sa propre mort.

« Le caractère unique de la guerre réside précisément dans le fait qu’elle a toujours été, et demeure encore la seule activité créatrice qui non seulement permet mais exige l’engagement total de toutes les facultés humaines contre un adversaire aussi fort que soi-même ».

Martin Van Creveld, La transformation de la guerre, p. 214.

La guerre est un jeu avec la mort, le plus fort des jeux. La guerre serait donc… la continuation du sport, compris comme une situation de prise de risque volontaire, par d’autres moyens.

Pour une noble cause. Cette cause peut être mythique ou idéalisée, comme la liberté, la justice, ou une région rendue symbolique par les conflits passés. Cette cause est coupée de la raison, et n’a d’existence que dans l’esprit des hommes.

Pour l’honneur, qui est la seule chose que l’on emporte dans la tombe. Ce sentiment de l’honneur est renforcé par des rites, mais aussi par la symbolique de certaines armes, tenues ou d’objets. On ne compte plus les soldats qui se sont sacrifiés pour sauver leur étendard.

Pour la survie, dans le cadre d’une guerre d’extermination. C’est un des rares cas dans lesquels les motifs individuels et collectifs de la guerre sont identiques.

Les motivations individuelles sont les véritables raisons des guerres

Sans ces motivations individuelles, point de guerre. Selon Van Creveld, ce qui pousse individuellement les hommes à se battre est aussi la cause des guerres.

Le péché originel des stratèges occidentaux est de croire que la guerre permet d’atteindre un but politique abstrait, et de ne pas prendre en compte les motifs de ceux qui se battent. Or, pour ceux-ci la guerre est une fin en soi. Les hommes font aussi la guerre… parce qu’ils aiment ça.

Pourquoi les femmes ne combattent pas

Les hommes, oui, mais les femmes ? Hormis certaines exceptions très locales dans des situations désespérées, la guerre est un exercice presque spécifiquement masculin.

Or, l’absence des femmes ne s’explique ni par la peur du viol ni par une prétendue infériorité physique. Selon Martin Van Creveld, la cause réelle en est la dévalorisation systématique aux yeux des hommes des activités auxquelles les femmes participent. Les hommes donneraient de l’importance à ce qu’ils réalisent, pour sublimer le fait de ne pas pouvoir enfanter : la guerre en est l’exemple par excellence : ils en privent donc les femmes. Si les femmes combattaient sur un pied d’égalité avec les hommes… les jours de la guerre seraient comptés ! Dans ces conditions, la féminisation des armées occidentales s’expliquerait par le fait que ces armées auraient entériné qu’elles ne partiraient plus véritablement en guerre.

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« La guerre est la vie écrite en majuscules »

Martin Van Creveld, La transformation de la guerre

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L’édition utilisée pour cet article est Martin van Creveld, La transformation de la guerre, Monaco, éditions du rocher, 1998.

Voir aussi l’étonnante trinité chez Clausewitz.

Comprendre l’étonnante trinité chez Clausewitz. Et aussi pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon

Selon Clausewitz, la guerre est un caméléon, parce qu'elle procède de l'étonnante trinité.

Dans le premier chapitre du livre Un de De la Guerre, Carl von Clausewitz analyse la guerre pour en élaborer une théorie unique, qui parviendrait à expliquer la diversité de ses formes au sein d’une nature immuable. Dans la pensée de Clausewitz, la nature même de la guerre est de revêtir des formes changeantes, en raison de sa soumission à la politique et parce qu’elle procède de l’étonnante trinité. Si bien qu’il la compare à un caméléon, qui voit son apparence se modifier en fonction de son environnement.

Clausewitz, l'étonnante trinité.

La guerre est l’instrument de la politique

Le premier facteur qui provoque le changement perpétuel de la forme de la guerre est sa soumission à la politique. Elle est la « continuation de la politique par d’autres moyens », comme le veut la formule immortelle.

En effet, si elle est l’instrument de la politique, la forme de la guerre dépendra d’abord du motif du conflit. En fonction de son importance, il sera plus ou moins à même d’exciter ou d’apaiser les passions des deux camps.

Ensuite, la forme que prend la guerre dépend des conditions préexistantes dans lesquelles elle s’insère. Les deux adversaires ne surgissent pas ex nihilo. Ils possèdent déjà des relations politiques, qui vont influencer leurs perceptions mutuelles et donc la forme de la guerre à venir.  

« les guerres doivent être aussi différentes les unes des autres que les motifs qui les font entreprendre et les rapports qui les précèdent »

Carl von Clausewitz, De la guerre, livre I, §27, p. 47.

C’est en analysant ce caractère politique singulier d’une guerre singulière que l’on peut déterminer quelle forme elle prendra. Mais on ne peut y parvenir sans comprendre que la guerre procède également de l’étonnante trinité.

Lire aussi La Friction chez Clausewitz

L’étonnante trinité

Le second facteur de changement dans la forme de la guerre est l’« étonnante trinité », sur l’évocation de laquelle Clausewitz conclut le chapitre I de De la guerre.

La guerre procède à la fois des trois parties distinctes d’une trinité : « instinct naturel aveugle », « libre activité de l’âme » et « acte de raison ».

Elle est la manifestation de « l’instinct naturel aveugle », des sentiments de haine, des passions qu’elle est prompte à embraser. Ces caractéristiques sont associées au peuple.

Mais elle est aussi « libre activité de l’âme », parce qu’elle est soumise au « jeu des probabilités et du hasard », au sein duquel peuvent s’exprimer à divers degrés les vertus guerrières de l’armée et le talent du général.

Enfin, la guerre est un « acte de raison », puisqu’elle est dirigée par la politique. Le gouvernement en détermine rationnellement (enfin, de son point de vue) le but.

Instinct, âme, raison ; peuple, armée, gouvernement ; passions, vertus, intelligence : voici l’étonnante trinité dont procède la guerre chez Clausewitz.

Influence de la trinité sur la forme de la guerre

La guerre doit sa forme aux rapports que possèdent entre eux les éléments de la trinité. Or, chacune de ces variables possède une autorité et une intensité propres à chaque conflit. L’aspect de la guerre se révèle donc perpétuellement changeant.

Prenons l’exemple d’une guerre de cabinet. Son objectif est de se saisir de gages territoriaux lointains afin de les échanger. Elle est menée au moyen d’une armée professionnelle. Elle ne devrait donc pas provoquer d’enthousiasme chez peuple, ni de haine de l’adversaire. En revanche, laver un affront ou reconquérir un territoire perdu au moyen d’une armée de conscrits devrait déchaîner les passions et la violence.

Lettre et esprit de l’« étonnante trinité »

Les trois parties de la trinité ne devraient pas être prises pour strictement séparées dans les faits. Le peuple peut très bien être en armes, ou le général être aussi le gouvernement. Mais leur séparation permet d’identifier la source des ressorts qui vont donner sa forme spécifique à la guerre. C’est là l’intérêt de cette étonnante trinité.

En toute hypothèse, avec nos outils théoriques, nous pourrions aujourd’hui tenter de caractériser l’aspect d’un conflit en analysant la sociologie, la culture et la politique des acteurs. Et cela, même si le peuple et l’armée se confondent, que l’« armée » est irrégulière où que les buts de guerre sont objectivement irrationnels.

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Salutaire rappel sur la réalité de la guerre

C’est la nature de la guerre que d’être toujours changeante dans ses formes. Cela, parce qu’elle obéit à un but politique, prend place dans un contexte spécifique et est conduite sous les auspices d’une combinaison singulière de l’étonnante trinité.

Nous aurions pu nous arrêter là. Cependant, cette simple conclusion, selon laquelle la nature de la guerre est de posséder une forme toujours changeante, amène à une réflexion supplémentaire pour les praticiens.

La guerre que nous conduirons ne sera jamais celle que nous avons étudiée, pour laquelle nous nous sommes préparés et entraînés. Si l’on peut tenter de prévoir la forme qu’elle prendra, ou mieux, inventer cette forme future, cet exercice ne pourra jamais aboutir à conduire la guerre que nous aurons préparée.

De là, la formation des chefs militaires ne doit pas viser à faire appliquer une doctrine, mais bien à être en mesure d’adapter cette doctrine aux conditions réelles, toujours prévues, mais chaque fois inattendues. Pour cela, une seule solution : former son instinct ; et un impératif : disposer de chefs jeunes, dotés de la plasticité intellectuelle nécessaire pour remettre en question leurs certitudes lorsqu’elles se fracasseront sur la réalité. Ce qu’elles ne manqueront pas de faire.

« Nous serons perdus, si nous nous replions sur nous-mêmes ; sauvés, seulement, à condition de travailler durement nos cerveaux, pour mieux savoir et imaginer plus vite. »

Marc Bloch, l’étrange défaite

L’imagination serait-elle la qualité la plus nécessaire à un chef militaire ?

Nicolas Blanchard Farce

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Voir aussi : notre mini-dossier sur Clausewitz.

L’étonnante trinité, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz.

Lire aussi Comprendre pourquoi chez de Gaulle, la culture générale est la véritable école du commandement

Carnage et culture. Comprendre les raisons de la supériorité militaire occidentale selon V. D. Hanson en cinq minutes

Selon Victor Davis Hanson dans Carnage et culture, la supériorité militaire occidentale serait d’origine culturelle.

Dans Carnage et culture, Victor Davis Hanson estime que la supériorité militaire occidentale est d’origine culturelle.

Il ne s’agit pas de démontrer une hypothétique supériorité culturelle occidentale, mais d’expliquer que les raisons de la suprématie militaire de l’Occident se trouvent dans les éléments constitutifs de sa culture.

Nous reprenons ci-dessous ces différents éléments illustrés par les exemples historiques sélectionnés par V.D. Hanson.

Liberté

Les combattants occidentaux sont des hommes libres, et non pas des esclaves. Cette liberté amène une supériorité dans le domaine du moral des troupes, comme pour les Grecs à Salamine en 480 av. J.-C. De plus, elle permet de questionner le chef et de prendre des décisions collégialement. Elle favorise enfin la prise d’initiative.

Bataille décisive

Selon V.D. Hanson, la bataille décisive est apparue au VIIIe siècle av. J.-C., en Grèce, pour régler les conflits entre groupes de petits propriétaires terriens rapidement et à moindre coût. En effet, l’alternative à la bataille est un enchaînement de campagnes de destruction des moyens de subsistance adverses, qui, s’ils se prolongent, empêchent les hommes de retourner à temps aux champs.

Cette recherche de la bataille rangée, frontale et décisive est un facteur de supériorité face à des cultures qui privilégient l’escarmouche, le raid, le pillage et la mobilité, comme à Gaugamelès en 331 av. J.-C. En effet, alors que les Perses ont réussi à percer le dispositif macédonien, ils n’encerclent pas les phalanges pour les détruire, mais se ruent vers le camp ennemi pour le piller. En revanche, une fois Darius hors d’atteinte, et alors même qu’il est déjà vainqueur, Alexandre se retourne contre la cavalerie perse pour l’anéantir.

La recherche occidentale de la bataille rangée conduit cependant à une impasse : au XXe siècle, personne ne souhaite plus affronter les armées occidentales en face, à part d’autres européens, et dans un cas comme dans l’autre la décision n’est ni rapide ni peu coûteuse.

Militarisme civique

Le militarisme civique, avec le modèle du soldat-citoyen, donne une grande résilience à l’Occident, qui peut perdre des armées entières et en lever de nouvelles très rapidement. Par exemple, à Cannes, en 216 av. J.-C., les Carthaginois infligent aux Romains une défaite écrasante. Mais ces derniers réussissent à lever une nouvelle armée grâce à l’extension de l’attribution de la citoyenneté à tous ceux qui servent dans la légion et à la mise en place d’un service militaire.

C’est Rome qui fixe le modèle occidental du citoyen-soldat possédant le droit de vote. La condition du légionnaire est codifiée par écrit dans le droit, dans les domaines de la solde, de la retraite, ou des sanctions.

Note de l’auteur : il est curieux de noter que la bataille de Cannes, idéal-type de la bataille décisive… n’a pas été décisive du tout.

Infanterie

L’Occident donne la primauté donnée à l’infanterie lourde d’hommes libres inspirée de la tradition antique, à la discipline et au collectif. La bataille de Poitiers en 732 illustre son efficacité face au nombre, à la cavalerie et aux prouesses individuelles des musulmans. Elle sera plus tard renforcée par l’usage des armes à feu.

Technologie

Les Occidentaux bénéficient d’une domination technologique qui est rendue possible par leur culture. En effet, si la poudre à canon a été inventée en Chine, ce sont bien les Européens qui ont développé les armes à feu à grande échelle. Ce sont l’organisation économique (capitalisme), politique (liberté) et la tradition intellectuelle (rationalisme) qui autorisent l’adoption et le développement d’une technique.

C’est cette domination technique qui permet à Cortès de s’emparer de Tenochtitlan en 1520-1521 malgré sa très nette infériorité numérique.

Capitalisme

Le capitalisme permet à l’occident de produire des armes très efficacement.

Les Occidentaux remportent la bataille de Lépante en 1571 parce que le capitalisme a permis à Venise de produire à profusion des armes efficaces, en l’occurrence des navires, sans que sa puissance soit tributaire de ses ressources, de la taille de son territoire ou de sa population. Le capitalisme lui-même n’existe que grâce à la liberté politique et au rationalisme.

Discipline

La discipline, qui n’est pas l’obéissance aveugle, est ce qui permet aux hommes de combattre en ordre et de tenir les rangs. Elle n’existe que parce que les relations entre le soldat et le pouvoir politique sont codifiées et acceptées. Pour l’Occident, la discipline est plus importante que la force ou la bravoure personnelle.

À Rorke’s drift, en 1879, c’est leur discipline qui donne la victoire à des Anglais largement en sous nombre.

Individualisme

La foi de l’Occident dans l’individu autorise des adaptations rapides à tous les niveaux. À la bataille de Midway en 1942, la chaîne de commandement américaine fut souple, capable de s’adapter et de faire preuve d’hétérodoxie, alors que les Japonais avaient un plan de conception et d’exécution rigide.

La puissance militaire du Japon, et sa technologie copiée sur l’Occident s’accordait mal avec sa culture, qui ne comprenait ni rationalisme ni liberté, et qui lui rendait difficile toute adaptation rapide.

Autocritique

Les opérations militaires occidentales sont soumises à un audit politique et à un examen public. Cela entretient un sentiment de responsabilité et permet une amélioration perpétuelle, même si paradoxalement ils gênent la conduite de la guerre en cours. Si l’offensive du Têt, en 1968, est repoussée par les Américains qui infligent de fortes pertes au Viêt-Cong, elle montre surtout à l’opinion publique états-unienne que les objectifs fixés sont loin d’être atteints. L’autocritique met à jour une impasse stratégique.  

Et finalement, si l’Amérique perd la guerre, son modèle en sort renforcé dans le monde. Grâce à la culture de la liberté et de l’acceptation de la contradiction, l’Occident conserve le monopole du récit.

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Selon V. D. Hanson dans Carnage et culture, la guerre à l’occidentale ne se fonde donc pas que sur la suprématie technique, mais sur tout un éventail d’institutions sociales, politiques, culturelles, responsables, en système, d’avantages militaires qui vont bien au-delà de la possession d’armes sophistiquées. Le paradigme occidental de la guerre mis en place depuis l’antiquité se caractérise aussi par sa létalité et son absence de rituels.

Finalement, la culture occidentale donne à notre manière de faire la guerre une plus grande résilience et une plus grande capacité de destruction. Elle ne s’accompagne d’aucun avantage sur le plan de la conduite stratégique des opérations. Nous tuons mieux, mais cela ne suffit pas aujourd’hui plus qu’hier pour gagner les guerres.

Loin d’une glorification de notre manière de faire la guerre, c’est cela qu’il nous faut retenir de Carnage et culture.

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Voir aussi Comprendre la montée aux extrêmes chez Clausewitz en cinq minutes.

Comprendre la montée aux extrêmes chez Clausewitz en cinq minutes

Guerre absolue et guerre réelle

La guerre absolue, royaume de la montée aux extrêmes, n’existe donc qu’en théorie. Dans la guerre réelle, plusieurs principes de modération empêchent cette montée aux extrêmes.

Aux livres I et VIII de De la guerre, Clausewitz développe le concept de montée aux extrêmes.

Cet article est le premier d’une série consacrée aux grands thèmes clausewitziens.

Guerre absolue, guerre théorique

Dès l’abord du livre I, Clausewitz propose une définition de la guerre. Elle est « un acte de la force par lequel nous cherchons à contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté ». De là, la mise hors d’état de se défendre de l’ennemi devient un but intermédiaire. C’est la condition pour le plier à notre volonté.

Dans une approche purement logique, Clausewitz montre qu’en théorie cet « acte de force » qu’est la guerre ne peut que monter aux extrêmes. C’est la guerre absolue (pour guerre prise dans l’absolu, dans son principe).

Trois « actions réciproques » permettent la montée aux extrêmes selon Clausewitz.

L’emploi réciproque illimité de la force. Celui qui en fait le plus complet usage possède un avantage sur son ennemi. Ce dernier se voit alors forcé d’en faire autant.

La recherche du renversement de l’adversaire. Chacun des deux camps tente de soumettre l’autre à sa volonté. Il va donc tâcher de réduire son ennemi à l’impuissance. Aucun des deux ne se trouve dès lors en sécurité tant que l’autre n’est pas hors d’état de se défendre.

Le calcul des efforts nécessaires et l’escalade. Chacun des deux adversaires calcule les efforts qui seront nécessaires pour surpasser l’autre. Cela ne peut qu’entrainer une gradation perpétuelle conduisant aux extrêmes.

La montée aux extrêmes, c’est donc un emploi illimité de la force. En raison de ces trois « actions réciproques », dans le monde des idées, le mouvement naturel de la guerre conduit à la montée aux extrêmes.

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Guerre réelle

Cependant, le principe théorique de montée aux extrêmes ne s’applique pas dans la guerre réelle. En effet, il existe dans la guerre réelle des freins à cette montée aux extrêmes.

La guerre réelle ne peut pas monter aux extrêmes

Les belligérants ne sont pas des entités abstraites sorties du néant pour une confrontation instantanée. Ils se connaissent, et sont capables d’estimer la volonté de leur adversaire. Cela introduit un premier principe de modération.

De plus, la guerre possède une durée. Une erreur dans l’estimation de la volonté de l’ennemi peut donc être réparée. Cela introduit une seconde possibilité de modération réciproque. Et même en cas de défaite, le résultat n’est jamais définitif.

Il existe d’autres obstacles à la réalisation de la guerre absolue. Il en va ainsi des faiblesses humaines comme l’indécision ou l’imperfection du jugement ; ou bien de la friction dans la conduite de la guerre par les appareils étatiques. Enfin, des enjeux faibles peuvent décourager la montée aux extrêmes.

La guerre réelle possède des bornes

Les bornes de l’emploi de la force dans la guerre réelle ne vont donc pas être positionnées aux extrêmes. Elles seront déterminées par le calcul, le raisonnement et les probabilités.

Ces bornes seront placées en fonction du but politique. Il exigera pour l’un des efforts plus ou moins importants, et provoquera chez l’autre une volonté de combattre plus ou moins grande.

C’est ce but politique qui déterminera le résultat que l’action militaire devra atteindre.

La guerre absolue, royaume de la montée aux extrêmes, n’existe donc qu’en théorie. Dans la guerre réelle, plusieurs principes de modération empêchent cette montée aux extrêmes. Si Clausewitz reconnait qu’essayer d’éviter l’effusion de sang à la guerre irait contre l’essence de celle-ci, il ne recommande pas pour autant d’introduire l’ascension aux extrêmes de la violence dans la guerre réelle. La montée aux extrêmes n’est qu’un objet théorique qui a vocation à le rester.

Cependant, et c’est là l’utilité de la théorie, ce concept doit être conservé à l’esprit comme la direction naturelle de toute guerre.


Lire aussi Comprendre pourquoi chez de Gaulle, la culture générale est la véritable école du commandement

Le principe de modération dans la guerre

Ceci nous amène à analyser une citation du maître souvent reprise, mais souvent mal comprise :

« ce sera toujours commettre une absurdité que de vouloir introduire un principe de modération à la guerre ».

De la guerre, p. 28

Prise ainsi, elle serait la profession de foi d’un Clausewitz apôtre de la montée aux extrêmes, qui prônerait un emploi maximal de la force sans tenir compte des lois et coutumes de la guerre ou du contexte politique. Le déchainement aveugle de la violence serait le seul moyen de vaincre.

Rien de plus faux, rien de plus criminel contre la pensée du maître. Remettons la citation dans son contexte :

« Si les guerres des peuples civilisés sont beaucoup moins cruelles et dévastatrices que celles des peuples frustes, cela tient à l’état social des premiers et à leurs relations internationales. La guerre subit l’influence de cet état et de ces relations qui la modifient et la tempèrent, mais ces éléments lui restent étrangers, une simple donnée extérieure, de sorte que ce sera toujours commettre une absurdité que de vouloir introduire un principe de modération à la guerre ».

De la guerre, p. 28. C’est nous qui soulignons.

Si la guerre prise en théorie ne connaît pas de principe modérateur et monte naturellement aux extrêmes, la guerre réelle se trouve de fait modérée. Cependant, l’élément modérateur ne provient pas de la nature de la guerre elle-même, mais de son environnement. Il n’en possède pas moins une influence bien réelle. La maxime qui clôt notre citation ne s’applique donc qu’a la guerre absolue. Elle est tout sauf une négation de la modération dans la réalité de la guerre.

Nous nous rapprochons par là d’un des grands thèmes de De la guerre, qui est que la guerre ne doit pas être considérée comme un phénomène autonome, mais comme un phénomène politique soumis à des décisions d’ordre politique. Mais l’aborder ici nous ferait dépasser les cinq minutes…

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Ainsi, s’il place la violence au cœur de la guerre, absolue comme réelle, Clausewitz ne recommande nullement de laisser libre cours à une violence débridée pour remporter la victoire. La montée aux extrêmes est un objet théorique qui n’a pas vocation à s’incarner dans la guerre réelle. Cette dernière est bel et bien marquée par plusieurs limitations extérieures à sa nature.

« Nous sommes ainsi conduits à considérer la guerre non telle qu’elle devrait être d’après son concept, mais telle qu’elle est dans la réalité, c’est-à-dire avec tous les éléments étrangers qui s’y introduisent et la modifient »

Carl Von Clausewitz, De la guerre, Livre VIII

L’édition utilisée pour les citations est Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Ivrea, 2000.

Note de LA RÉDACTION :

Certains auteurs considèrent que la guerre absolue pourrait advenir dans la réalité, comme dans le cas d’une guerre nucléaire. Au livre VIII, Clausewitz indique lui-même que les guerres napoléoniennes ont fait advenir sur terre la guerre absolue.

Toutefois, il nous semble que même dans le cas d’un déchaînement de violence extrême, un certain nombre de freins subsisteraient. Par exemple, en raison de la friction qui surviendrait dans les unités chargées d’anéantir les cités adverses, comme des mésententes, un mauvais fonctionnement du matériel, des hésitations voire des refus d’obéissance. Le fait qu’une guerre puisse prendre une forme apocalyptique ne signifie pas qu’elle serait sans freins.

L’hypothèse selon laquelle la guerre absolue est un idéal (dans le sens théorique de forme pure et parfaite de la guerre) qui servirait de boussole pour comprendre la direction prise par la guerre réelle nous semble la plus riche. Tout simplement, sans cela le concept de guerre absolue n’aurait pas beaucoup d’intérêt.

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Voir notre mini-dossier sur Clausewitz.

La guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

L’ESPACE : PERSPECTIVES STRATÉGIQUES

tour d’horizon des enjeux stratégiques liés à l’espace et à la place qu’y prend la France.

« Nous serons un État spatial puissant, dans une Europe spatiale forte ». Cette déclaration de Florence Parly en 2018 restera surement incantatoire. Elle surprend, tant elle est en décalage avec les difficultés de la France et de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis, à une époque charnière où l’espace, jusqu’ici militarisé mais sanctuarisé, voit s’ouvrir de nouvelles perspectives stratégiques et pourrait bien se transformer en milieu d’affrontement.

En effet, l’espace fut, est, et probablement restera un milieu privilégié pour l’expression de la volonté de puissance. Place à un tour d’horizon des enjeux stratégiques liés à l’espace et à la place qu’y prend la France.

Selon la fédération aéronautique internationale, l’espace commence à 100 km au-dessus du niveau de la mer, au niveau de la Ligne de Karman. À partir de cette limite, l’atmosphère est si peu dense que les surfaces aérodynamiques ne fonctionnent plus. C’est une limite arbitraire.

Si la physionomie des acteurs de la conquête spatiale subit aujourd’hui de profonds changements, le bouleversement majeur à venir pourrait être la transformation de l’espace en milieu conflictuel. Dans ce cadre, la France conserve la volonté de puissance alliée aux moyens limités qui fait qu’elle est la France.

N. B. : l’exploration spatiale (comme la conquête de Mars) ou les perspectives stratégiques de long terme (par exemple l’éventuelle exploitation des ressources lunaires) ne seront abordées que dans la mesure où elles éclairent les tendances contemporaines, non pour elles-mêmes.

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I. Un paysage en mutation.

L’entrée de nouveaux acteurs comme la Chine ou les entreprises privées ne rebat pas complètement les cartes du jeu de pouvoir dans l’espace. Les États-Unis restent, et resteront longtemps, la puissance dominante dans l’espace.

L’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine ou les entreprises privées ne rebat pas complètement les cartes du jeu de pouvoir dans l’espace. Les États-Unis restent, et resteront longtemps, la puissance dominante dans l’espace.

A. La chine, un entrant majeur.

Ces dernières années, la Chine a fait une entrée spectaculaire dans le club des nations spatiales.

La chine possède un programme spatial abouti. Elle dispose de lanceurs (les « Longue Marche ») et de satellites technologiquement avancés. De plus, elle projette de construire une station spatiale aux alentours de 2022. Une fois que la station spatiale internationale ne sera plus opérationnelle, entre 2024 et 2028, la Chine devrait être la seule nation à disposer d’une station orbitale. Toutefois, elle elle restera de petite taille comparée à l’ISS (60 tonnes contre 450).

Ce programme est à vocation d’émancipation nationale et stratégique. Son objectif est tout à la fois de développer des technologies de pointe et de le faire savoir. L’accès à l’espace est perçu comme le signe de la grandeur retrouvée de la Chine. C’est aussi le symbole de sa réussite.

Elle est en passe de devenir le 2e acteur le plus important de l’espace, derrière les États-Unis. Elle dispose du 2e budget le plus important des agences spatiales, à savoir 11 milliards d’euros en 2018, derrière la NASA (National aeronautics and space administration) et devant l’ESA (European space agency). Ainsi, début 2019 elle a conduit la première mission d’exploration de la face cachée de la lune. En 2019, la Chine est le pays qui a le plus effectué de lancements orbitaux (32, devant la Russie, 22, et les États-Unis, 21)

Sa structure politique lui permet une politique suivie et volontariste. Sa stabilité politique lui donne la capacité de mener un programme régulier sur le long terme, prévu entre 1999 et 2045, contrairement aux États-Unis, où la NASA subit les revirements des différents présidents. En effet, alors que Barack Obama souhaitait délaisser la lune, Donald Trump a relancé l’intérêt pour le satellite en proposant d’y renvoyer des astronautes. Cela dit, l’objectif poursuivi est toujours le même : Mars. La nature autoritaire du régime chinois lui permet enfin d’investir massivement pour démontrer la puissance du pays, et de la faire aux dépens de sa population. Rien ne garantit toutefois que la planification soit tenue. La Chine pourrait elle aussi n’être pas exempte de retournements politiques.

L’entrée de la Chine dans le club des grands pays spatiaux n’est qu’une des transformations que ce connaît ce milieu. Elle ne modifie pas autant le modèle d’accès à l’espace que l’émergence des acteurs privés.

B. L’émergence des acteurs privés.

Les États n’ont plus le monopole de l’accès à l’espace, même si les entreprises privées ne possèdent encore qu’une petite place dans l’architecture de l’accès à l’espace.

Des acteurs privés prennent une place de plus en plus importante auprès des États dans l’accès à l’espace. Space X (Elon Musk), Bue Origin (Jeff Bezos) ou United Launch Alliance (Boeing et Lockheed Martin) sont les compagnies les plus célèbres. En 2019, Space X a procédé à 13 lancements, soit 4 de plus qu’Arianespace. Le secteur du transport d’astronautes vers la station spatiale pourrait être porteur puisque les États-Unis dépendent du lanceur Soyouz pour ces missions depuis le retrait des navettes en 2011. En 2019, Space X a ainsi réussi la mise en orbite de Crew Dragon, un vaisseau destiné au transport d’astronautes. La société assure déjà le ravitaillement de l’ISS depuis 2013.

Ces acteurs développent des technologies de pointe. Ainsi, Space X a mis en service un lanceur très populaire, le Falcon 9, et tente de développer une fusée réutilisable. Autre projet, la mise en orbite des satellites du programme Starlink, qui vise à étendre l’internet à haut débit partout sur la terre. Sa mise en place a débuté en 2019. Enfin, en 2020, Space X a été la première entreprise commerciale à envoyer des hommes dans l’espace. Blue Origin quant à elle tente d’inventer le tourisme spatial avec une fusée capable d’atterrir, New Shepard.

Mais ils sont toujours très dépendants des États. Les principaux clients des entreprises spatiales sont les États. De plus, Space X est dépendante du bon vouloir de l’État américain pour ses lancements. En effet, ce dernier met 3 sites à sa disposition, dont la base de Cap Canaveral. Toutefois, ce paradigme pourrait changer. Les entreprises du « big data » sont de plus en plus attirées vers l’espace. En effet, les satellites ont la capacité de faire transiter rapidement les données, et donc de générer d’importants revenus. Ainsi, Elon Musk mise sur la rapidité du transfert d’information par le réseau Starlink pour financer l’intégralité des activités de Space X. 

L’émergence d’acteurs privés est un tournant de l’histoire de la conquête spatiale. À l’inverse, certains acteurs historiques sont à la peine. 

C. L’Europe et la Russie, des acteurs historiques à la peine.

La Russie et l’Europe, acteurs traditionnels du secteur spatial, sont confrontées à de fortes contraintes budgétaires et cherchent un second souffle.

L’Europe est confrontée à des difficultés budgétaires et à des divisions politiques qui freinent son ambition spatiale. L’Agence spatiale européenne dispose certes d’un budget de 6,6 milliards d’euros, mais cela ne représente que 10 % des investissements mondiaux. Le programme phare Galileo ne doit pas masquer le manque d’ambition des Européens. S’ils sont en pointe dans de nombreux domaines, force est de constater que les différentes approches de l’espace ne permettent pas de mettre en place de projet majeur. Ainsi, si l’ESA participe au projet d’avant-poste en orbite lunaire de la NASA, elle ne se donne pas d’objectif enthousiasmant comme le font les Américains ou les Chinois dans la course vers Mars. L’idée de « village lunaire » qu’elle a lancée est très imprécise et ne se concrétise pas.

Toutefois, elle tente de maintenir ses positions. L’Europe a développé le lanceur léger Véga et travaille sur Ariane 6 (prévue en 2021). Dès 2021, elle souhaite se doter d’un véhicule spatial réutilisable, le « space rider ».

La Russie lutte également pour conserver ses acquis. En effet, pionnière de la conquête de l’espace, elle possède des savoir-faire très étendus : 10 % des satellites en orbite sont russes, et certains sont capables de manœuvrer. Roscosmos est doté d’un budget équivalent à 5,5 milliards d’euros, et est dirigé depuis 2008 par Dmitri Rogozine, un proche de Vladimir Poutine. Toutefois, les réformes se succèdent depuis 2010 dans l’organisation du secteur spatial russe. Certains échecs, tel celui de la sonde Phobos-Grunt en 2012, ou l’atterrissage en catastrophe d’une fusée Soyouz en 2018 ont été particulièrement marquants.

Le « ticket d’entrée » de l’espace semble s’être abaissé. Si les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe en sont les acteurs majeurs, de nombreux autres États disposent aujourd’hui de la capacité d’accès à l’espace (Inde, Iran, Corée du Sud et du Nord, Japon, Israël). 55 pays possèdent des satellites.

Malgré leur volontarisme, les acteurs historiques de la conquête spatiale que sont l’Europe et la Russie ne parviennent pas à mobiliser autour de projets véritablement fédérateurs, à l’inverse des États-Unis qui dominent largement l’espace.

D. La prééminence toujours incontestée des États-Unis.

Malgré les bouleversements récents, les États-Unis restent les maitres incontestés de l’espace.

Les États-Unis possèdent une véritable ambition spatiale. Ils souhaitent notamment installer un avant-poste en orbite lunaire pour se lancer à la conquête de Mars. Les Américains sont sans conteste la première puissance spatiale : ils possèdent 800 satellites actifs (50 % du total).

Les États-Unis disposent d’une avance technique considérable. Les Américains sont pionniers dans un grand nombre de domaines. Ils possèdent par exemple un mystérieux drone spatial, le X37-B, sujet de nombreuses spéculations.

Ils vont maintenir cette avance grâce à un effort financier inégalé. 70 % des investissements publics pour l’espace sont le fait des États-Unis. Le budget cumulé, civil et militaire, des activités spatiales américaines est de 40 milliards de dollars par an. L’écart avec les autres acteurs va donc continuer à se creuser.

L’émergence de la Chine et du secteur privé constitue donc la modification principale du « paysage » spatial aujourd’hui. Mais d’un point de vue militaire, le bouleversement majeur dans l’espace est que nous pourrions bien être à l’aube de son arsenalisation.  

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II. L’espace, un nouveau théâtre d’opérations ?

Longtemps considérée comme lointaine, hypothétique et improbable, les conditions sont aujourd’hui réunies pour faire de l’arsenalisation de l’espace une possibilité à court terme.

Longtemps considérée comme lointaine, hypothétique et improbable, les conditions sont aujourd’hui réunies pour faire de l’arsenalisation de l’espace une possibilité à court terme.

A. Différence entre militarisation et arsenalisation

La militarisation de l’espace est un fait établi depuis longtemps, qui diffère de l’arsenalisation que l’on voit poindre aujourd’hui, et que la communauté internationale a tenté d’empêcher.

La militarisation de l’espace est l’utilisation de moyens placés dans l’espace en appui des opérations militaires. Les satellites d’observation et de télécommunication sont des instruments très utilisés qui témoignent de la militarisation de l’espace. Aujourd’hui, les opérations militaires sont même dépendantes de l’espace, pour le renseignement et les télécommunications. Par exemple lors de l’opération Harmattan, les télécommunications entre la métropole et le poste de commandement en mer passaient par satellite.

La militarisation de l’espace est consubstantielle à la conquête spatiale. En effet dès les années 60, pendant la guerre froide, la mise en place de satellites d’observation permettait de surveiller en toute impunité le territoire de l’adversaire.

L’arsenalisation est la mise en place d’armes en orbite, indissociable de la perception de l’espace comme milieu d’affrontement. La communauté internationale a fait plusieurs tentatives pour l’interdire. Par exemple, le traité de 1967 sur l’espace exoatmosphérique comporte des mesures relatives à l’utilisation pacifique de l’espace et interdit la mise en orbite ou le test d’armes nucléaires dans l’espace.

L’espace est donc déjà militarisé, même s’il n’est pas encore un lieu d’affrontement physique ou de positionnement d’armement. L’environnement juridique censé empêcher son arsenalisation est très fragile.

B. Un environnement juridique permissif

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les traités internationaux permettent l’arsenalisation de l’espace.

Le traité international sur l’exploration et l’utilisation de l’espace exoatmosphérique de 1967 permet l’arsenalisation de l’espace. En effet s’il proscrit les armes nucléaires en orbite, il n’interdit pas le placement dans l’espace d’autres types d’armes. Enfin, le transit d’armes nucléaires dans l’espace n’est pas interdit.

Le retrait des États-Unis du traité ABM (pour Anti-Ballistic Missile) de 1972 permet d’envisager l’espace comme une partie du bouclier antimissile américain. En effet, ce traité interdisait formellement le déploiement d’armes ABM dans l’espace.

L’architecture juridique de l’espace permet donc son arsenalisation. Or, le niveau technologique atteint par les puissances spatiales pourrait permettre à court terme l’installation d’armes dans l’espace, et sa transformation en milieu d’affrontement. 

C. À l’aube de ruptures technologiques ?

Les avancées technologiques récentes laissent présager une arsenalisation de l’espace qui pourrait avoir lieu sur le court terme.

La Chine et les États-Unis ont démontré qu’elles avaient des capacités antisatellites. En 2007, la Chine a détruit un de ses satellites météo avec un missile balistique. Les États-Unis ont répliqué en 2008 en détruisant un de leurs satellites d’observation, également grâce à un missile. Le problème est que la destruction d’un satellite génère des milliers de débris qui peuvent endommager les autres objets en orbite (dont la majeure partie est américaine). 

La Russie est proche du développement d’une arme spatiale. Ainsi le SS-28 Sarmat, un missile balistique, qui peut frapper toute cible sur le globe après une orbite presque complète. De plus, certains de ses satellites sont capables de manœuvrer et d’aborder d’autres objets en orbite.

Les États-Unis ont pris une avance considérable. Le programme X37B, un drone spatial, intrigue les observateurs. Il pourrait servir de plateforme de combat. En outre, dans un contexte de retour de l’espace militaire dans la grande stratégie américaine, Donald Trump a décidé de la création de la Space force. Elle regroupe au sein d’un commandement unique les unités militaires américaines qui surveillent l’espace et y agissent. Elle se met en place pas à pas. Washington maintient une présence dans les discussions internationales, tout en investissant dans des projets de recherche qui pourraient aboutir à des armes spatiales ou antisatellites, tout comme le fait la Chine. L’enjeu pour les Américains est surtout la protection de leurs moyens spatiaux. En effet, ce sont ceux qui en possèdent le plus, et qui par voie de conséquence en sont les plus dépendants.

Nous pourrions donc bien être à l’aube de l’arsenalisation de l’espace, et en tout état de cause les grandes puissances se préparent à des affrontements dans ce milieu.

Dans ce terrain de jeu pour titans, quelle place pour la France ?

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III. La France, « un État spatial puissant » ?

La France, « un État spatial puissant » ?

La France dispose d’une capacité spatiale limitée, mais autonome, qui peine toutefois à s’ouvrir de véritables perspectives dans le contexte de l’arsenalisation de l’espace.

A. Les principes

La politique spatiale française repose sur 3 principes : libre accès à l’espace pour une utilisation pacifique ; préservation de la sécurité et de l’intégrité des satellites dans l’espace ; respect du droit à la légitime défense des États.

La France est opposée à l’arsenalisation de l’espace et à toute initiative qui pourrait relancer la course aux armements dans l’espace. Ainsi, elle est partie au traité sur l’espace de 1967 et respecte implicitement le traité ABM de 1972.

Elle privilégie cependant les mesures de confiance et de transparence à un instrument juridique d’interdiction contraignant, aujourd’hui quasiment impossible à mettre en place. Elle maintient ainsi sa présence dans toutes les discussions concernant l’espace aux Nations Unies.

Sur ses principes s’articulent des capacités bien réelles, même si elles ne peuvent égaler celles des États-Unis ou de la Chine.

B. Une capacité CIVILE ET MILITAIRE, limitée, mais autonome.

La France dispose de véritables capacités autonomes, mais limitées dans le domaine spatial militaire.

Les capacités budgétaires de la France sont limitées. La loi de programmation militaire de 2019 a consacré 3,6 milliards d’euros sur 5 ans. La participation française à l’ESA est de 1,3 milliard d’euros en 2020.

Sur le plan militaire, elle dispose toutefois d’une gamme complète de satellites et de la capacité d’appréciation de situation spatiale : satellites d’observation (CSO, Composante spatiale optique), de télécommunication (Syracuse IV), de ROEM (CERES, en cours de lancement). Elle possède également un commandement unifié de l’espace, le Commandement Interarmées de l’Espace. Il s’appuie sur le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS). Ce dernier a pour fonction de fournir une appréciation très précise de la situation dans l’espace. Il peut également repérer les satellites-espions. Cette capacité d’appréciation de la situation spatiale est unique en Europe.

En dernière analyse, la France est le leader européen dans l’accès à l’espace. Les industriels français possèdent une part prépondérante dans la conception et la fabrication d’Ariane 5. Les lanceurs Ariane et Véga sont tirés depuis Kourou. Enfin, elle est en 2020 le 1er contributeur à l’ESA, avec une participation à hauteur de 26 % du budget total. Elle se pense comme une puissance spatiale militaire : en 2019 elle a présenté sa Stratégie spatiale de Défense.

Si on ne peut la comparer aux États-Unis ou à la Chine, la France est donc un État spatial puissant. Mais le sera-t-elle encore plus grâce à une « Europe spatiale forte » ?

C. Compenser les contraintes budgétaires par la coopération européenne ?

La coopération européenne aura du mal à faire figure de solution aux problèmes budgétaires français, surtout pour développer des capacités militaires dans l’espace.

Il est difficile d’envisager la compensation des difficultés budgétaires françaises par une coopération européenne qui reste peu opérante. Malgré un budget de 6,6 milliards d’euros par an (le 3e mondial), l’agence spatiale européenne (N. B. : qui n’est pas un organe de l’Union européenne) ne propose aucun grand projet fédérateur, si ce n’est le renouvellement des lanceurs Ariane. De plus, elle n’intervient que dans l’activité spatiale civile. Quant à elle, l’UE possède bien un centre satellitaire pour soutenir ses opérations militaires, mais comme il ne possède aucun capteur, il doit acheter ses images à des sociétés privées ou se les faire fournir par les États.

L’absence d’ambition partagée ne permet pas de développer en coopération des moyens spatiaux militaires et des capacités permettant leur protection. En effet, l’Europe de la défense manque encore de contenu. Qui plus est, aucune ambition n’est affichée dans le domaine spatial militaire, hormis des coopérations limitées telles que le partage de l’accès aux données des satellites d’observation.

Si dans l’Europe point de salut, quelles sont les possibilités offertes à la France pour rester cet « État spatial puissant » ? 

D. Quelles perspectives ?

Il existe 3 pistes d’approche pour la maintenir l’excellence spatiale française.

a. Maintenir notre crédibilité

  • Ne pas se laisser imposer des mesures juridiquement contraignantes. La France doit participer au bon niveau à la préparation des échéances internationales.
  • Maintenir le savoir-faire. Poursuivre le développement de lanceurs et de satellites.
  • Maintenir la crédibilité du dispositif en renouvelant les satellites d’observation et de télécommunication.

b. Renforcer nos capacités

  • Développer des mesures de défense passive et des dispositifs de détection d’agression embarqués. Cela doit permettre de détecter et d’attribuer d’éventuelles agressions.
  • Participer à des partenariats technologiques de bon niveau avec les États-Unis et les partenaires européens qui le souhaitent tout en préservant notre autonomie d’accès au service. Par exemple, pour développer des satellites miniatures « en essaim », ou un drone spatial.

c. Développer des mesures actives

  • Lancer des études sur les capacités de prévention active. Par exemple sur la capacité de récupération les débris spatiaux ou de réparation des satellites par des moyens automatisés ou télécommandés.
  • Lancer des études sur des capacités de défense actives comme les armes antisatellites, en recherchant des synergies avec l’OTAN.

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Si de nouveaux venus ont fait leur apparition dans le « grand jeu » spatial, le principal bouleversement à venir pourrait bien être la transformation d’un milieu sanctuarisé en un espace de conflit. Dans cet environnement spatial toujours plus concurrentiel, ni la France ni l’Europe ne semblent en position de faire face à une rupture technologique majeure qui conduirait à son arsenalisation. Finalement, malgré l’abaissement du « ticket d’entrée », l’espace restera la cour des grands qu’il n’a jamais cessé d’être.

Derrière l’espace et ses perspectives stratégiques, se cache en fait la véritable question, celle de la puissance. Les Européens, fatigués et désunis, sont sans en avoir conscience confrontés au dilemme suivant : se donner les moyens de la puissance ou se voir dominer par de grands pays plus enthousiastes. Force est de constater que la réponse de la France n’est pas celle de l’Europe, qui, bien que nous en soyons persuadés, ne s’écrit toujours pas avec un grand « F ».

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Voir aussi Faut-il réindustrialiser la France ?

Faut-il réindustrialiser la France ?

La réindustrialisation de la France est elle nécessaire pour redonner du dynamisme et de la cohésion à ses territoires délaissés ?

Après plusieurs décennies de désindustrialisation, un mouvement de relocalisation de l’industrie semble s’amorcer. Le coq sportif ou Lacoste ont relocalisé leurs sièges près de Troyes. Toutefois, ce phénomène reste minoritaire. Or, l’industrie demeure selon certains le moteur de toute économie, car elle se trouve à la base de la production de richesse et propose un grand nombre d’emplois peu qualifiés, notamment en dehors des grandes villes, dans la « France périphérique ». Recréer de l’emploi peu qualifié et productif hors des métropoles passera-t-il par la réindustrialisation ?

Le retour d’emplois peu qualifiés en dehors des métropoles est une nécessité économique et politique qui ne pourra pas passer par une réindustrialisation à l’identique et nécessitera une forte implication de l’État.

Définition de l’industrie : toute activité, caractérisée par la mécanisation des moyens de travail (ce qui permet d’inclure l’industrie agroalimentaire), qui a pour objet l’exploitation des sources d’énergie ou des ressources naturelles, ainsi que la production de bien à partir de matières premières ou transformées.

Le terme désigne aussi tout secteur d’activité organisé, comme l’industrie du tourisme. Mais nous ne retiendrons pas cette définition étendue.

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La désindustrialisation est un handicap économique et politique

La désindustrialisation de la France est à l’origine de difficultés économiques et de fractures politiques.

Elle est une réalité. L’industrie a perdu 2 millions d’emplois entre 1980 et 2017. Entre 1974 et 2020, la part industrie dans le PIB est passée de 25 % à environ 13 %. Cela représente l’un des plus bas niveaux de l’Union Européenne.

La désindustrialisation mène au déficit de la balance commerciale. La balance commerciale positive des services ne compense pas la balance commerciale négative de des biens manufacturés (chiffres de 2020). Traditionnellement, on considère que l’industrie produit de la richesse sur laquelle se développent les services.

Elle hypothèque l’autonomie stratégique de la France. Le sujet a fait la une de l’actualité lors de la vente de la branche énergie d’Alstom en 2014. Le pays ne possédait alors plus la capacité de produire les turbines à vapeur qui équipent les centrales nucléaires. La crise du Covid-19 a ensuite mis en évidence que la France n’avait plus la capacité à produire les équipements qui lui sont indispensables. Elle n’a pu fabriquer des masques ou des respirateurs en quantité suffisante. De plus, les molécules indispensables à la production de médicaments de base doivent être importées de Chine ou d’Inde. La désindustrialisation prive la France de capacités de production vitales.

Elle mène à des fractures politiques. La véritable question est la disparition d’emplois peu qualifiés hors des grandes villes. En effet, Christophe Guilluy dans La France périphérique montre comment la crise de 2008 a accentué la désindustrialisation, qui prive de leur emploi des personnes peu qualifiées, mais propriétaires de leur logement, les emprisonnant ainsi dans des territoires peu dynamiques sans espoir d’ascension sociale.

La désindustrialisation est donc bien un handicap, qui ne pourra cependant pas être compensé par une réindustrialisation imitant un modèle passé.

Une réindustrialisation sur un modèle traditionnel est impossible

Le modèle industriel des trente glorieuses ne pourra pas être imité, et celui du tout technologique ne répond pas au problème français.

Une réindustrialisation high-tech ne résoudra rien. Le modèle japonais de robotisation ou celui de l’innovation de la Silicon Valley ne résoudraient rien. Il ne s’agit pas simplement de produire ou d’innover, mais de donner des emplois industriels aux moins qualifiés.C’est en fait un enjeu autant politique qu’économique.

Son coût écologique rendrait l’industrialisation à l’identique difficilement acceptable. L’industrie utilise massivement les ressources naturelles et l’énergie. L’industrialisation forcenée des 30 dernières années à l’échelle mondiale est en grande partie responsable du rythme du réchauffement climatique. Il se pourrait qu’une volonté politique de réindustrialiser le pays se heurte à des réticences de la société civile… en particulier dans les métropoles.

Dans ce cadre, il faut inventer de nouveaux modèles économiques qui allient utilisation modeste de ressources, travail peu qualifié et implantation dans des bassins de consommation. L’essor des énergies renouvelables pourrait créer des centaines de milliers d’emplois (mais se révèle très gourmand en terres rares… donc très polluant). Le développement des écomatériaux, la réhabilitation thermique des bâtiments ou la dépollution pourrait représenter une solution alternative. Ainsi, la France parie depuis peu sur la filière hydrogène pour soutenir l’innovation et réindustrialiser certains territoires.

Quel que soit le modèle retenu pour recréer de l’emploi peu qualifié en dehors des métropoles, sa mise en place ne passera pas par le marché qui a montré son incapacité dans ce domaine, mais par une action volontariste de l’État.

Le rôle de l’Etat

Les nouveaux modèles d’industrie ne pourront se développer face au marché, car ils nécessiteront d’accepter une baisse de rentabilité.

Les lois du marché ont démontré leur incapacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux en France. Pire, elles sont le problème. En effet, selon le modèle d’inclusion de la France dans le marché-monde, seuls les emplois hyper qualifiés dans des métropoles hyper connectées s’y montrent véritablement compétitifs. Les ouvriers peu qualifiés se trouvent mis en concurrence avec les travailleurs des pays en développement aux salaires peu élevés. Ainsi en 2010, les employés de l’usine Continental de Clairoix se sont vus proposer une solution de reclassement en Tunisie pour 137 euros par mois.

L’État peut pousser les innovations. Le secteur privé n’est pas le seul à innover. L’impulsion politique et le soutien de l’État sont primordiaux. Le GPS est à l’origine un programme militaire, Internet est le produit de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), les écrans tactiles étaient un projet financé par la CIA. L’État possède en effet la capacité à assumer des risques, comme l’a montré le projet Gallileo, dans lequel les États européens ont dû investir en lieu et place du privé qui refusait un risque trop grand pour des perspectives de bénéfices trop maigres.

La constitution de « champions ». Le soutien de l’État permet de constituer champions nationaux. Par exemple, dans les 30 glorieuses le TGV, Ariane ou Airbus. Aujourd’hui, il est au cœur de la bonne santé du secteur de l’industrie de défense. À l’inverse, son retrait mène au démembrement d’entreprises clefs, comme Alstom dont la branche énergie a été rachetée par GE en 2014. La production des turbines nucléaires Arabelle a été rachetée depuis.

Un protectionnisme éclairé parait en outre nécessaire, contre les produits ne respectant pas nos normes sociales, pour la protection des industries vitales (communications, défense) et pour préserver un certain nombre d’activité des marchés financiers et de leur recherche de la rentabilité maximale à court terme.

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La réindustrialisation est donc nécessaire à la cohésion de la France. Sans cela, le pays pourrait se scinder toujours plus entre métropoles dynamiques et territoires abandonnés. Nous devrons inventer un nouveau modèle économique. Il devra allier utilisation modeste de ressources, travail peu qualifié et implantation dans des bassins de consommation. Des solutions existent, mais les mettre en œuvre suppose un volontarisme politique fort.

L’évolution des luttes politiques, qui tendent, à l’imitation des pays anglo-saxons, à privilégier le sociétal par rapport au social, pourraient empêcher de percevoir la nécessité de cet effort, en délaissant une lutte des classes bien réelle au profit d’une lutte des races plus qu’hypothétique mais sans danger pour le consensus néolibéral.

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Voir aussi L’extraterritorialité du droit américain.