Le Président français Emmanuel Macron a annoncé le lundi 26 février qu’un engagement de troupes occidentales en Ukraine n’était plus exclu. Alors, se dirige-t-on vers une guerre contre la Russie ? Comment en est-on arrivés là ?
Des propos rassurants sont immédiatement venus nuancer la déclaration française. Les alliés ne comptent pas s’engager, le déploiement ne concernerait que des unités de déminage. Mais le signal est trop fort pour être ignoré. Allons plus loin.
Un affrontement en cours entre la France et la Russie dans le milieu informationnel
Dressons le cadre. La France et la Russie s’affrontent déjà, mais de manière indirecte en Ukraine ainsi que dans les champs immatériels.
Au Sahel, la Russie utilise le sentiment antifrançais pour avancer ses pions. En 2022, elle a tenté de discréditer l’action de la France au Mali en installant un charnier près de Gossi. Les forces françaises avaient éventé le subterfuge en diffusant les images de l’enterrement des corps. Le charnier était bien réel, mais du fait de Wagner.
Plus récemment, Moscou s’est livré à plusieurs attaques informationnelles contre la France. La Russie a mis en place plusieurs campagnes de désinformation, en répliquant des unes de sites internet de grands médias français afin d’y insérer sa propagande (opération Doppelgänger). Elle a également créé des portails spécifiquement dédiés à la diffusion de son récit (opération Portal Kombat).
De son côté, la France livre des armes et des munitions en Ukraine. Le canon Caesar a déjà joué un rôle important sur le champ de bataille, de même que les systèmes sol-air livrés par la France. Mais surtout, Paris a fourni à Kiev un grand nombre de missiles de croisière SCALP à très haute valeur ajoutée.
Les armes françaises font donc déjà couler le sang russe. Cependant, ces livraisons, de même que la formation des soldats ukrainiens dans l’hexagone, ne suffisent pas pour faire de la France un co-belligérant sur le plan juridique.
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Une dynamique du conflit aujourd’hui favorable à la Russie
Pourquoi dès lors faire monter les enchères et évoquer un envoi de troupes occidentales en Ukraine ? Il faut en rechercher la cause dans la dynamique actuelle du conflit et dans la crainte d’une défaite ukrainienne.
Aujourd’hui, la dynamique du conflit est favorable à la Russie. Les Européens craignent un effondrement ukrainien. S’il est improbable à court terme, il ne peut être exclu. La Russie s’est remise de ses pertes et est repassée à l’offensive. Elle s’est emparée à la fin du mois de février de la ville d’Avdiivka, après des mois de combats acharnés.
L’aide matérielle occidentale est donc tout à fait nécessaire, mais non suffisante pour assurer la victoire de l’Ukraine. Or, elle atteint ses limites, en raison de l’inadaptation du complexe militaro-industriel occidental à la guerre de masse. Celui-ci est en effet conçu pour armer des forces professionnelles d’équipements de haute technologie, en petit nombre et donc très chers.
Dans ces conditions, la déclaration de M. Macron constitue un signal envoyé à M. Poutine. Le président français n’annonce pas l’envoi de troupes ; il évoque le sujet. Cette petite phrase ne passera cependant pas inaperçue à Moscou. Il s’agit pour la France de peser sur les calculs russes en montrant qu’elle est toujours déterminée à soutenir l’Ukraine. Paris souhaite également poser davantage de dilemmes à la Russie. Renouer, pour ainsi dire, avec l’ambiguïté stratégique.
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Conséquences d’une défaite ukrainienne
Mais pourquoi s’acharner à ce point en Ukraine ? Quelles seraient les conséquences d’une défaite ukrainienne ? Toute la question est bien là. En réalité, au cœur des réactions occidentales à la dynamique du conflit se trouve la crainte d’une paix trop favorable à la Russie. Elle modifierait considérablement l’architecture de sécurité et les rapports de force en Europe, voire dans le monde.
Il résulterait d’une paix trop favorable à la Russie une modification considérable des rapports de force en Europe, et probablement dans le monde. Les démocraties occidentales en sortiraient durablement décrédibilisées, tant elles ont fait de ce conflit une lutte existentielle. Le récit russe d’un Occident décadent et faible serait conforté.
L’architecture de sécurité européenne n’y survivrait pas. La Russie aurait démontré que l’Occident n’est plus capable de s’opposer à l’emploi illégal de la force militaire. Moscou aurait alors beau jeu de tirer avantage de sa supériorité militaire pour imposer ses vues à des Européens désunis et militairement faibles. Le désarmement européen a par ailleurs très probablement compté dans les calculs russes en février 2022. Les doutes qui planent sur la fiabilité américaine au sein de l’OTAN viendraient parachever la nouvelle vulnérabilité militaire de l’Europe. Moscou pourrait rouvrir des contentieux sur le vieux continent, par exemple dans les pays baltes au sujet du corridor de Suwalki.
Cependant, à quoi ressemblerait une défaite russe ? Que penser d’une paix dans laquelle l’Ukraine renoncerait au Donbass et à la Crimée, dont le retour dans le giron de Kiev paraît de plus improbable ? Ce n’est ni à la France, ni même aux États-Unis de le dire. C’est à l’Ukraine, et à la Russie. C’est tout le paradoxe de la position des Européens. Ils s’engagent toujours plus avant dans leur soutien à Kiev, en s’en remettant aux buts de guerre ukrainiens. A lier son sort au combat d’un autre, on lui donne la clef de son destin.
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Une guerre contre la Russie ?
In fine, les modèles d’armées européens ne sont plus adaptés à la guerre de masse. À l’heure où l’allié américain doute, les Européens sont trop faibles pour que l’Ukraine perde la guerre. Nul doute que le 24 février 2022 a ouvert la page d’un monde nouveau, cauchemardesque pour ceux qui pensaient la guerre révolue et qui souhaitent encore toucher les « dividendes de la paix ».
Les Européens voient ressurgir le spectre de Munich. En 1938 ils avaient cru sauver la paix alors qu’ils venaient de finir de convaincre Hitler de leur lâcheté. La déclaration du président français s’inscrit dans ce contexte intellectuel.
En renversant la perspective, la question n’est peut-être pas de savoir si les Européens parviendront à éviter la guerre, mais s’il n’est pas déjà trop tard pour le faire.
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