A l’heure où la guerre fait à nouveau irruption en Europe, plusieurs candidats à l’élection présidentielle française proposent une sortie de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
L’OTAN est une organisation politique et militaire qui regroupe de nombreux pays de l’hémisphère Nord. Elle est une alliance défensive dont le cœur est l’article cinq de son traité fondateur, par lequel les membres se promettent assistance mutuelle en cas d’attaque armée de leur territoire. La participation de Paris à l’Alliance atlantique est souvent accusée de porter le risque d’entraîner la France vers des conflits non choisis.
Alors, la France gagnerait-elle en liberté d’action hors de l’OTAN ?
Les contraintes du statut d’allié
Il est vrai que la participation de la France à l’Alliance atlantique s’accompagne de contraintes. Elle bride en partie la liberté d’action diplomatique et militaire de Paris. Cela explique que certains souhaitent voir la France quitter l’OTAN.
Un alliance inutile ?
Pour commencer, l’OTAN serait peu utile à la France. L’Alliance est certes d’une importance vitale pour des pays qui possèdent une frontière avec la Russie. Mais ce n’est pas le cas de la France. En effet, elle ne fait face à aucune menace existentielle. De plus, elle dispose en dernier recours de l’arme nucléaire. Le pays est donc capable de se défendre seul. En outre, l’un de ses principaux compétiteurs, la Turquie, est aussi membre de l’OTAN. Or, l’incident du Courbet en 2020 a montré les limites du soutien que l’organisation est prête à apporter à Paris.
Une alliance dangereuse ?
Ensuite, le statut d’allié pourrait entraîner la France dans des conflits non choisis. En effet, des pays membres de l’OTAN, comme la Pologne ou les pays baltes, pourraient choisir d’instrumentaliser leur contentieux historique avec la Russie. Membres de l’Alliance, ils pourraient utiliser leur rapport de force favorable dans une lutte d’intérêt avec Moscou, quitte à la faire dégénérer. De l’autre côté du miroir, la Russie perçoit l’Alliance comme une menace existentielle. La marche inexorable de l’OTAN vers les frontières russes fait partie des causes invoquées par Moscou pour justifier son invasion de l’Ukraine.
OTAN et souveraineté
Enfin, la participation à l’OTAN s’accompagne nécessairement d’une limitation de souveraineté diplomatique et militaire. L’OTAN est certes une alliance militaire, mais elle possède une portée politique. Or, il n’est pas possible pour la diplomatie française de se détacher complètement des prises de position du secrétaire général. D’autre part, la nécessaire « interopérabilité » des forces de l’OTAN passe par une américanisation des procédures de l’armée française. Cependant, ces façons de faire, telles que le « kill contract » (destruction d’une partie des moyens adverses avant l’engagement) sont adaptées à l’armée américaine. Les importer dans une armée à la doctrine, à la mentalité et aux aux équipements différents pourrait mener à catastrophes opérationnelles.
Il existe donc bien des raisons de vouloir prendre ses distances par rapport à l’OTAN. Cependant, les avantages du statut de membre restent importants.
De l’utilité de l’Alliance
Même s’il n’existe aujourd’hui aucune menace aux frontières françaises, être membre de l’OTAN reste pertinent.
Une tribune pour la France
Tout d’abord, la participation à l’OTAN permet de renforcer l’influence française. L’organisation constitue une tribune et un forum qui fournit à la France des moyens supplémentaires pour faire valoir ses positions. En effet, le poste de Supreme Allied Commander Transformation (SACT), l’un des deux Supreme Allied Command, est réservé à un général Français. De plus, imposer sa présence dans les organes de décision permet de peser sur les choix de l’Alliance. Conserver sa place à l’OTAN, c’est aussi conserver sa place dans le concert des nations.
Conserver un rapport de force favorable
En outre, les grands compétiteurs de l’Occident n’hésitent plus à recourir à la force. Il apparaît pertinent de rester membre d’une alliance défensive qui dispose de la puissance des États-Unis comme argument principal. Les interventions russes en Ukraine et turques en Syrie ont montré que le tabou de la conquête n’était plus opérant. À ce titre, la France possède des faiblesses, notamment dans la défense de ses territoires ultramarins comme la Guyane ou la Nouvelle Calédonie. Qui plus est, avec l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, la guerre a atteint les frontières de l’Union Européenne. Il apparaît donc sage de conserver un rapport de force favorable face au voisin russe pour lui éviter des tentations.
L’OTAN face aux nouvelles menaces
Pour terminer, l’OTAN à su évoluer pour s’adapter aux menaces contemporaines (voir notre article sur la RDN en ligne). Elle a élargi la notion de défense pour faire face à des agressions en deçà du seuil de l’attaque armée. Depuis le sommet de Bruxelles en 2021, une attaque cyber pourrait déclencher l’article 5. L’Alliance a donc renforcé son caractère dissuasif face à des attaques dites « hybrides ». Or, la France ne peut pas se considérer à l’abri de telles attaques.
Rester membre de l’OTAN conserve donc sa pertinence, malgré des contraintes réelles. En dernière analyse, se retirer de l’Alliance ferait même perdre à la France bien plus de liberté d’action qu’elle n’en gagnerait.
Alliance atlantique et liberté d’action
Finalement, la véritable question est le maintien de la liberté d’action de la France. Or, renoncer à l’Alliance serait synonyme d’une perte considérable de cette liberté.
Quitter le commandement intégré ?
Quitter le commandement intégré de l’OTAN n’aurait guère de sens. Certes, cela garantirait que l’organisation des armées françaises réponde à leurs besoins propres, et non à ceux de l’OTAN. Mais la recherche de l’interopérabilité avec l’armée américaine se poursuivrait, voire se renforcerait. Et par-dessus tout, en tant que membre de l’Alliance, la France se verrait imposer des décisions prises par le commandement intégré, sur lesquelles elle n’aurait aucun doit de regard.
Article cinq et liberté d’action
De façon assez contre-intuitive, l’article cinq du Traité de l’Atlantique Nord n’est pas tout à fait contraignant. Les rédacteurs du texte se sont assurés qu’en cas d’activation, les voies et moyens d’assistance mutuelle resteraient totalement dans la main des nations. Son déclenchement n’est donc pas automatiquement synonyme de guerre. La France pourrait très bien choisir de ne pas s’engager. Toutefois, force est de reconnaître que l’activation de l’article cinq pourrait pousser un éventuel adversaire à employer immédiatement tous les moyens à sa disposition, y compris nucléaires, contre l’Alliance.
La France contre l’OTAN ?
Par-dessus tout, il pourrait n’être pas opportun de quitter l’Alliance alors que la Turquie, l’un des principaux compétiteurs de la France, en resterait membre. Le rapport de force ainsi créé serait très défavorable à Paris, qui ne pourrait défendre au mieux ses intérêts.
*
Il n’apparaît donc pas opportun pour la France de quitter l’OTAN, ni de se retirer du commandement intégré. Certes, faire partie de l’Alliance atlantique impose un certain nombre de contraintes. Mais in fine, le rapport de force créé par l’OTAN est le garant du maintien de la liberté d’action de Paris, dans un monde ou le recours à la force paraît de plus en plus décomplexé.
Toutefois, face à la tendance de long terme qu’est le désengagement américain d’Europe, il n’apparaît pas pour autant sage de confier la sécurité du continent à Washington. La participation à l’OTAN ne saurait se substituer à la volonté politique de défendre ses intérêts par la force. Or, cette éventualité pourrait être à moyen terme imposée aux vieilles nations d’Europe.
*
Voir aussi Qu’est-ce que la guerre hybride ?