La stratégie totale chez le général Beaufre

Le général Beaufre a développé le concept de « stratégie totale ». Cette stratégie totale combine les dimensions politiques, militaires, économiques et diplomatiques de l’action de l’État dans la guerre.

André Beaufre, introduction à la stratégie

La stratégie selon Beaufre

Beaufre assigne tout d’abord un but bien précis à la stratégie dans la guerre. « Le but de la stratégie est d’atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose ». Sa définition est restée célèbre : elle est « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».

La stratégie totale : une pyramide de stratégies

La stratégie se subdivise en stratégies spécialisées, créant une « pyramide de stratégies ». A son sommet, la stratégie totale (au niveau du gouvernement) conduit la guerre totale. Elle combine les stratégies générales, militaire, économique, diplomatique, et politique.

Les stratégies opérationnelles au sein des branches constituent enfin le dernier niveau. Elles doivent concilier les buts de la stratégie générale avec les possibilités techniques et tactiques. Elles possèdent aussi pour fonction de faire évoluer les techniques et les tactiques en fonction des buts de la stratégie. Par exemple, c’est au niveau de la stratégie générale militaire que se trouve la conception de nouveaux armements.

La stratégie totale du général Beaufre.

Limite du concept de stratégie totale d’André Beaufre

Le concept de stratégie totale du général Beaufre possède néanmoins un certain nombre de limites.

Empiriquement, la seule stratégie générale qui existe est la stratégie militaire. En effet, les domaines politiques, économiques et diplomatiques ne sont pas véritablement déclinés en stratégies générales.

Mais plus largement, le concept de stratégie totale ne s’applique que dans le cadre d’une guerre totale. Il ne prend cependant pas véritablement en compte l’affrontement permanent en deçà du seuil de la guerre. Le général Poirier a développé le concept de stratégie intégrale, qui élargit le champ de la stratégie à la mise en œuvre du projet politique des États. Lire ici notre article sur la stratégie intégrale du général Poirier.

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La stratégie totale chez le général Beaufre, c’est donc la combinaison des stratégies générales, politique, économique, diplomatique et militaire dans la conduite de la guerre totale.

Lire aussi Comprendre pourquoi chez de Gaulle, la culture générale est la véritable école du commandement

Comprendre la nuance entre guerre préventive et guerre préemptive

« Guerre préventive » et « guerre préemptive » sont des concepts si proches qu’ils sont souvent confondus. Bien qu’ils semblent similaires à première vue, ils recouvrent des notions distinctes qui possèdent des implications significatives en termes de légalité, de légitimité et d’éthique.

Différence entre guerre préventive et guerre préemptive.

La guerre préemptive

La guerre préemptive est une action militaire lancée en réponse à une menace immédiate et imminente. Le conflit est déclenché en réaction à des signes concrets indiquant une attaque imminente. L’objectif principal de la guerre préemptive est de neutraliser rapidement la menace et de réduire les dommages potentiels.

Dans ce cadre, la légitime défense des États telle que définie dans la charte des Nations unies peut s’appliquer. Mais ce point est largement sujet à débat entre les experts.

Un exemple classique de guerre préemptive est la guerre des Six Jours en 1967. Israël a lancé des attaques préemptives contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie après des tensions croissantes et des mouvements militaires perçus comme menaçants. Israël a justifié ces actions comme une réponse à une menace imminente pour sa sécurité nationale.


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La guerre préventive

La guerre préventive vise à prévenir une menace future, qui ne s’est pas encore matérialisée. Un acteur agit avant que la menace ne se concrétise, souvent en réponse à des indications ou des renseignements suggérant qu’une attaque imminente est probable. L’objectif principal de la guerre préventive est d’empêcher l’émergence d’une menace sérieuse pour la sécurité nationale ou régionale. Les tenants de cette approche soutiennent que l’anticipation et l’élimination précoce des menaces potentielles sont essentielles pour assurer la stabilité et la sécurité à long terme.

L’invasion américaine de l’Irak en 2003 est l’exemple même de la guerre préventive. Ses partisans ont soutenu que l’Irak représentait une menace imminente en raison de son prétendu programme d’armes de destruction massive.

L’Histoire des concepts

Le droit à se défendre d’une attaque imminente existe depuis longtemps. Mais le concept de guerre préventive a largement été développé après son utilisation par George W. Bush et son inclusion dans la doctrine stratégique américaine en 2002. Pour l’administration Bush, la distinction entre guerre préventive et guerre préemptive demeurait cependant floue. Les stratégistes s’en sont ensuite emparés pour leur donner leur définition académique.

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La distinction entre guerre préventive et guerre préemptive repose donc sur la nature de la menace perçue. Alors que la guerre préventive cherche à anticiper et à prévenir une menace future, qui ne s’est pas encore matérialisée, la guerre préemptive réagit à une menace immédiate et imminente.

N.B. Attention aux faux amis ! En français, préempter veut dire « Acquérir quelque chose en usant de son droit de préemption ». Il s’agit donc de retirer un objet d’une vente. Par analogie, on pourrait supposer qu’il s’agit de retirer une menace avant qu’elle ne se matérialise. Or, en anglais, to pre-empt signifie « empêcher quelque chose de se produire en prenant des mesures pour l’arrêter ».


Lire aussi Le troisième âge nucléaire.

La stratégie indirecte chez le général Beaufre

Chez le général Beaufre, la stratégie indirecte est l’indispensable complément de la dissuasion nucléaire. Dans un monde verrouillé par les armes atomiques, la seule liberté d’action restante réside dans la stratégie indirecte.

La stratégie indirecte chez Beaufre
Soldat français en Indochine, 1954.

Vous pouvez commencer par lire notre article sur La stratégie nucléaire chez le général Beaufre.

Beaufre vs Liddell Hart : approche indirecte ou stratégie indirecte ?

Dans Strategy, Liddell Hart avait théorisé l’approche indirecte. L’idée centrale de l’approche indirecte chez Liddell Hart était de renverser le rapport des forces opposées avant l’épreuve de la bataille par la manœuvre et non par le combat.


Lire notre article sur Liddell Hart et l’approche indirecte.

Toutefois, cette approche demeure géographie et liée à la victoire militaire. André Beaufre dépouille cette approche de ces deux scories pour en extraire la stratégie indirecte. Cette stratégie indirecte attend l’essentiel de la décision par des moyens autres que la victoire militaire.

Pourquoi une stratégie indirecte ? Avec les armes atomiques, la liberté d’action dans les conflits diminue. Il faut pourtant l’exploiter, car c’est elle seule qui peut faire bouger le statu quo, grâce à des procédés nuancés dans lesquels la guerre devient presque méconnaissable.  

Conception de la manœuvre indirecte

La stratégie indirecte repose chez Beaufre sur deux types de manœuvres : extérieure et intérieure.

Conception de la manœuvre extérieure

Dans la stratégie indirecte chez le général Beaufre, la liberté d’action ne dépend pas des opérations menées, mais de facteurs extérieurs.

L’essentiel de la manœuvre ne se joue pas sur le terrain, mais à l’extérieur. Il s’agit de retirer sa liberté d’action à l’adversaire sur la scène internationale et intérieure, par des moyens politiques, économiques et diplomatiques. Mais cela suppose une dissuasion (nucléaire ou classique) crédible et une ligne politique cohérente. La stratégie indirecte chez Beaufre doit, enfin, se fonder sur un plan d’opérations visant la psychologie de l’adversaire.

Conception de la manœuvre intérieure

Les opérations militaires dans l’espace géographique où l’on veut obtenir des résultats portent le nom de manœuvre intérieure. En stratégie indirecte, elles ne sont pas l’effort, qui porte sur la manœuvre extérieure. Elles reposent sur trois variables : forces matérielles, forces morales, durée.

Si les forces matérielles sont grandes, les forces morales peuvent être petites et la durée du conflit doit être courte.

Si les forces matérielles sont basses, la force morale doit être élevée et la durée de la guerre sera longue. Le type de manœuvre privilégié doit être la manœuvre par la lassitude.

Manœuvre par la lassitude

Il s’agit d’amener un adversaire beaucoup plus fort à admettre des conditions de paix défavorables à ses intérêts, en n’engageant qui plus est contre lui que des moyens limités. L’infériorité des forces militaires doit être compensée par la supériorité des forces morales dans la durée.

Plan matériel

Il s’agit pour le plus faible de savoir durer. Le mode d’action le plus adapté est donc la guérilla. Deux notions capitales encadrent ce type d’action.

Il s’agit d’abord de dissuader la population de renseigner l’ennemi, en usant de la terreur systématique.

Ensuite, il faut étendre géographiquement la menace, afin de provoquer chez l’ennemi un dilemme de protection. Plus il doit déployer de troupes pour se protéger, moins il peut agir et plus il s’affaiblit. Le colonel Lawrence en montre l’exemple à Médine dans Les 7 piliers de la sagesse.

Le dispositif doit être complété par l’établissement de sanctuaires, qui permettent la fourniture de ressources depuis l’extérieur (hommes, armement, vivres…). Ces sanctuaires peuvent aussi bénéficier du couvert de la dissuasion nucléaire, s’ils sont placés sur le territoire d’un allié disposant de l’arme nucléaire. Cela n’empêche toutefois pas une usure importante des troupes de guérilla. Ainsi, dans les années 50, la guérilla malaise échoua en partie parce que les Anglais étaient parvenus à la priver de sanctuaire.

Plan psychologique

Il s’agit là aussi de savoir durer. Une ligne politique claire et séduisante, alliée à la certitude de la victoire (par exemple, pour les marxistes, en mettant en avant le sens de l’histoire) permet de mobiliser les passions du peuple.

Dans ce genre de combat, les tactiques psychologiques sont essentielles. « Les seuls succès sont d’ordre psychologique », écrit le général. Les succès matériels doivent provoquer des victoires psychologiques, sans quoi ils ne servent à rien.

Avec la symbiose des manœuvres intérieures et extérieures, le conflit peut durer, et permettre des gains considérables a des prix dérisoires.

Outre la manœuvre par lassitude, le plus faible peut recourir à des techniques qui font appel à des métaphores culinaires.

Manœuvre de l’artichaut (ou tactique du salami)

Il s’agit d’un coup d’éclat militaire qui repose sur le fait accompli. Il est suivi d’un arrêt, puis de sa répétition ailleurs.

La manœuvre intérieure repose sur un succès militaire en moins de 48 h, comme l’Anschluss, ou la prise de la Crimée par les Russes en 2014.

Là aussi, la manœuvre extérieure est essentielle pour se procurer la liberté d’action. L’objectif doit paraître limité pour être acceptable par l’opinion internationale.

Les parades à la stratégie indirecte selon Beaufre

Contre manœuvre extérieure

C’est l’effort. Sans manœuvre extérieure, point de guérilla. La contre-manœuvre extérieure consiste à définir une ligne politique offensive pour menacer les vulnérabilités de l’adversaire et de ses soutiens. Ensuite, il s’agit de multiplier les interdictions : la dissuasion nucléaire doit être maintenue, les dissuasions complémentaires multipliées, les positions géographiques et idéologiques ennemies menacées.

Sur le plan idéologique, la faiblesse de l’occident tenait lors des guerres de décolonisation, selon Beaufre, au fait qu’il ne pouvait proposer aux pays du tiers monde un modèle suffisamment social. Sur le plan psychologique, il fallait donc rétablir le prestige de la civilisation occidentale, pour que son succès paraisse assuré. Beaufre se faisait donc l’avocat d’une organisation occidentale chargée de construire une stratégie globale unie.

Contre manœuvre intérieure

Dans les territoires clefs, il s’agit d’abord de se prémunir contre le fait accompli. Contre la manœuvre par lassitude, le fort doit disposer d’une ligne politique destinée à réduire les atouts de l’adversaire, fondée sur le prestige et les réformes. Ensuite, il doit déjouer la stratégie de la guérilla au niveau militaire (en mettant l’effort sur le plan psychologique), en consentant un certain degré d’insécurité, voire en laissant l’adversaire s’installer pour mieux le détruire, et en fermant hermétiquement les frontières. Mais il faut durer avec des moyens très importants, et avec une contre-manœuvre intérieure, on ne fait que répondre de façon directe à une attaque indirecte.

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La stratégie indirecte complète celui de la dissuasion nucléaire. La clef reste la liberté d’action, qui réside dans la manœuvre extérieure. La psychologie joue en outre un rôle déterminant. Mais en dernière analyse, la force reste nécessaire.

La stratégie nucléaire chez le général Beaufre

Dans son Introduction à la stratégie, le général André Beaufre fait une large place à la stratégie nucléaire.

La stratégie nucléaire chez le général Beaufre

IMPORTANCE ET ORIGINALITÉ DE L’ARME ATOMIQUE

L’arme atomique n’est pas qu’une arme plus puissante. Elle confère à son possesseur une nouvelle dimension stratégique. D’une part, elle est capable de frapper n’importe quel point de la planète. D’autre part, elle fait disparaître le rapport entre la puissance d’un État et la masse de ses armées.


Lire aussi Le troisième âge nucléaire.

LA STRATÉGIE DE DISSUASION NUCLEAIRE CHEZ ANDRE BEAUFRE

La dissuasion nucléaire se fonde sur l’incertitude, mais doit être complétée par des forces conventionnelles.

La dissuasion nucléaire

Selon le général Beaufre, la crédibilité de la dissuasion nucléaire repose sur l’évaluation du rapport entre les gains et les pertes. Les dirigeants doivent feindre l’irrationalité, laissant penser qu’ils sont prêts à provoquer un désastre. L’incertitude est ainsi le seul élément assuré, constituant la clé de la dissuasion. Il est donc essentiel de la maintenir.

Il existe deux types de tactiques :

  • contre-forces : destruction des forces armées adverses, y compris et surtout des vecteurs nucléarisés. Cela nécessite beaucoup de moyens.
  • contre-cités : destruction des principales villes ennemies. L’idée d’utiliser une telle stratégie est si effrayante qu’elle suggère que l’on mise sur la dissuasion comme suffisante. Cependant, cela s’avère moins intimidant et ne propose finalement qu’une option de destruction mutuelle.

Les dissuasions complémentaires

Malgré tout, chacun des adversaires conserve un certain degré de liberté d’action, sur des théâtres secondaires ou dans des actions mineures. La dissuasion doit donc être complétée, soit grâce à des troupes conventionnelles de type expéditionnaires, ou bien en maintenant un risque de déclenchement de représailles nucléaires face à un conflit local (armes atomiques tactiques).

Disposer de forces conventionnelles nombreuses permet une dissuasion presque absolue : l’ascension du conflit conventionnel finirait par conduire à une ascension aux extrêmes nucléaires.

LA STRATÉGIE DE GUERRE

La stratégie de guerre atomique est différente de la stratégie de dissuasion.

Etant donné le risque de destruction mutuelle, un conflit entre puissances nucléaires s’ouvrirait selon toute probabilité par une action limitée.

De là, il existe deux types de doctrines d’emploi : les « représailles massives » et la riposte flexible. Dans les « représailles massives », le feu nucléaire visant à éliminer l’adversaire est déclenché contre toute agression, si minime soit-elle. Notons que les état-unis ont abandonné la, doctrine des représailles massives dès que l’URSS a été en mesure de frapper le sol américain.

La riposte flexible, à l’inverse, met en oeuvre la force juste nécessaire, gardant en réserve l’emploi massif des feux nucléaires.

Selon Beaufre, à l’ère atomique, seuls deux types de guerres sont donc possibles entre puissances niucléaires, la stratégie du fait accompli ou le conflit prolongé de basse intensité.

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Pour conclure, la stratégie nucléaire revêt une importance capitale dans l’oeuvre du général Beaufre. L’arme nucléaire permet à son détenteur de changer de stature stratégique. Elle ne rend toutefois pas les forces conventionnelles obsolètes, car il est nécessaire de pouvoir agir en deçà du seuil nucléaire.

La stratégie chez le général Beaufre

Dans Introduction à la stratégie, le général André Beaufre nous livre les conclusions de ses réflexions sur la stratégie dans un texte dense, concis et clair.

André Beaufre, introduction à la stratégie

D’après Beaufre, la signification du terme « stratégie » est souvent mal comprise. Historiquement, elle constituait la science et l’art du commandement suprême. Elle était transmise par l’exemple. Cependant, avec l’évolution de la guerre, cette transmission empirique est devenue obsolète, laissant place à la recherche stratégique.

Néanmoins, cette dernière reste inévitablement influencée par les conflits de son époque. Seule une approche abstraite permet véritablement de saisir la nature de la stratégie.

But de la stratégie chez Beaufre

Avant de définir la stratégie, il faut savoir à quoi elle sert. Elle ne se déploie pas dans le vide. Elle possède un but précis :

« Le but de la stratégie est d’atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose ».

Définition de la stratégie par André Beaufre

Après le but, la définition. La célèbre définition de la stratégie arrive assez tôt dans l’œuvre. Elle est « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».

À la guerre, chacun recherche l’acceptation par l’adversaire des conditions qu’il veut lui imposer. In fine, il s’agit de convaincre l’autre que poursuivre la lutte est inutile. La stratégie cible donc la volonté de l’autre.

C’est en replaçant un problème stratégique sur le terrain de la psychologie de l’adversaire que l’on peut apprécier correctement les facteurs décisifs. Il faut donc « atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entrainant une désintégration morale de l’adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu’on veut lui imposer ».

Ainsi, les adversaires visent simultanément la désintégration morale de l’autre. L’action stratégique est donc dialectique. Chacun cherche à agir tout en parant les actions de l’autre. La stratégie est donc une lutte pour la liberté d’action.

En dernière analyse, selon Beaufre la stratégie doit être considérée comme un art, car elle exige du stratège qu’il évalue les éléments clés avec son seul jugement. Il est impossible d’établir une liste de règles qui seraient applicables en toute circonstance.


Les moyens de la stratégie selon Beaufre

Le choix des moyens s’effectue ensuite par la confrontation des possibles et des vulnérabilités de l’adversaire. La question est donc : qui veut-on vaincre ?

Cela revient à se poser des questions très concrètes. Par exemple : la prise de la capitale ennemie sera-t-elle indispensable ou non ? L’ennemi est-il particulièrement sensible aux pertes humaines ? Il s’agit de trouver le meilleur moyen d’atteindre la désintégration morale. De cette confrontation des possibles et des vulnérabilités de l’adversaire nait un objectif stratégique.


Lire aussi Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

« Modèles » stratégiques

Le général Beaufre définit 5 « modèles stratégiques » en fonction des moyens et des objectifs:

1 — Moyens très puissants pour objectif modeste : exercer une menace directe (dissuasion atomique).

2 — Objectif modeste, mais moyens insuffisants : liberté d’action étroite, donc nécessité de recourir à des pressions indirectes.

3 — Objectif important, mais moyens et liberté d’action réduits : actions limitées successives, comme Hitler entre 1935 et 1939.

4 — Grande liberté d’action, mais moyens faibles : lutte totale prolongée de faible intensité militaire conduisant à l’usure morale de l’adversaire.

5 — forts moyens militaires : victoire militaire par destruction des forces adverses et occupation de son territoire. L’objectif reste cependant bien la volonté de l’adversaire. Ce modèle ne fonctionne bien qu’en cas de victoire rapide, sinon son coût s’avèrera démesuré par rapport aux enjeux.


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Chez le général André Beaufre, la stratégie est donc « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ». Elle sert à « atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose ».

Le raisonnement stratégique combine donc des données matérielles et psychologiques. Il est une méthode de pensée permettant de conduire les évènements et non de les subir.

Le commerce favorise-t-il la paix ?

 Le commerce favorise-t-il la paix ? C’est une idée reçue depuis le « doux commerce » de Montesquieu. Toutefois, nous allons voir que c’est plutôt l’inverse.

Le commerce favorise la paix ?

Le commerce favorise la paix : la théorie du doux commerce

Dans De l’esprit des lois, Montesquieu fait le rapprochement entre commerce et paix :

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix »

Montesquieu, de l’esprit des lois

En effet, le commerce favorise la connaissance mutuelle, les voyages, les échanges avec l’autre. En conséquence, il adoucit les mœurs, tant au niveau politique qu’individuel.

« C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces »

Montesquieu, de l’esprit des lois

Il crée également des intérêts mutuels entre les nations. Si les élites commerciales du pays A font des affaires avec celles du pays B (investissements, flux), les dirigeants politiques devraient être moins enclins à briser ces liens par la guerre. En effet, les élites politiques et économiques sont souvent très liées, et la richesse procurée par le commerce bénéficie, dans certains cas, aux deux parties.

Cependant, il se trouve très aisément dans l’histoire des exemples de pays très liés par le commerce qui se sont fait la guerre. Le plus connu est celui de la Première Guerre mondiale. Les échanges entre la France et l’Allemagne étaient très élevés en 1914, ce qui n’a pas empêché le conflit. Il nous faut donc creuser plus profondément pour comprendre les relations entre commerce et guerre.

Commerce, richesse, pouvoir… et guerre

Partons du postulat que le commerce est une source de richesse, qui permet l’accroissement de la puissance de l’État qui le contrôle. Cette richesse permet en effet de construire ou renforcer sa capacité militaire : mettre sur pieds et équiper des armées et des flottes. Sur ce sujet, lire notre article Le système thalassocratique chez Thucydide.

Il est en effet aussi nécessaire de protéger cette source de richesse. Le développement des flottes de guerre va de pair avec celui du commerce. Nous avons déjà parlé de Mélos, qui se voit contrainte d’affronter les Athéniens malgré sa neutralité. Sa position géographique permettrait à quiconque la contrôle de faire peser une menace inacceptable sur le système économique athénien. Aujourd’hui, l’Occident est obligé de protéger par la guerre ses lignes de communication en mer Rouge des attaques houthies.

Ce dernier exemple montre que le commerce peut se transformer en vulnérabilité. Lorsqu’un État devient trop dépendant de son commerce pour ses approvisionnements et sa richesse, ses lignes de communication deviennent une cible. C’est de là que vient la stratégie maritime de la France aux XVIIIe et XIXe siècles. Devant la supériorité des escadres britanniques, la France se rabat sur la guerre de course. Elle cherche à entraver les approvisionnements britanniques, et à faire flamber le prix des assurances (comme aujourd’hui en mer Rouge). Sur ce sujet, lire le chapitre 6 de La Mesure de la force (lien rémunéré par Amazon).

Le commerce, un intérêt parmi d’autres : il ne favorise la paix que modestement

Le commerce accroit donc la richesse, les capacités militaires et fournit une vulnérabilité à attaquer. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de l’argument de la dépendance mutuelle, pourtant infirmé par l’expérience historique. Pourquoi ?

La question à se poser est en réalité : existe-t-il des intérêts supérieurs à ceux du commerce, qui pourraient pousser des entités politiques à entrer en guerre malgré des liens commerciaux forts ? Poser la question révèle la vanité de lier commerce et paix. L’intérêt politique demeure supérieur à l’intérêt économique.

Sans passer en revue les causes des guerres, innombrables et toujours singulières, notons simplement qu’il existe de nombreux cas dans lesquels un État aurait intérêt à entrer en guerre contre un autre malgré des liens commerciaux forts.

Ne pas honorer ses alliances possède un coût politique bien plus fort que la destruction temporaire de liens économiques. C’est une petite partie du mécanisme qui mène à la Première Guerre mondiale.

Un rapport de force avec une puissance menaçante sur le point de se renverser. L’Angleterre a longtemps fondé sa politique sur l’équilibre des puissances sur le continent européen.

Opportunité politique : la saisie d’un territoire clef peut amener des gains à long terme très supérieurs aux coûts économiques d’un conflit. C’est le calcul fait, à tort, par Saddam Hussein lorsqu’il envahit le Koweït en 1990.

Enfin, une opposition idéologique marquée n’empêche pas d’entretenir des relations commerciales. Mais ces dernières ne pèseront rien si un conflit se déclenche entre deux entités politiques aux projets politiques incompatibles. C’est le cas de l’expansion de l’Allemagne au début de la Seconde Guerre mondiale.

N.B. Beaucoup d’exemples centrés sur l’Europe et la période contemporaine. N’hésitez pas à noter en commentaire d’autres cas où l’intérêt politique a balayé l’intérêt économique… ou l’inverse.

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Pour conclure, le commerce favorise-t-il la paix ? Non, ou du moins très modestement. Faire du commerce l’agent de la paix revient à lui donner un pouvoir qu’il n’a pas. En effet, le projet politique d’une nation ne se résout pas à entretenir des bonnes relations commerciales avec ses voisins ou compétiteurs. Le commerce et la richesse sont des moyens au service d’une fin politique plus large. C’est en fonction de cette fin politique que sont déclarées les guerres. La profondeur des liens économiques ne peut donc contrebalancer qu’à la marge le poids des données politiques.

Au contraire, par son existence même le commerce favorise la guerre parce qu’il est nécessaire de le protéger contre ses concurrents, ou qu’il fournit à un adversaire une opportunité de peser par la violence sur les décisions politiques d’une nation.

Pour aller plus loin :

Sur Montesquieu : Catherine Larrère, « Montesquieu et le « doux commerce » : un paradigme du libéralisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique.

Sur la stratégie maritime, Hervé Coutau-Bégarie, Traité de Stratégie, Paris, Economica, 201 1 (lien rémunéré par Amazon).

Biographie de Clausewitz

Voici une indispensable biographie de Clausewitz pour compléter notre mini-dossier sur De la Guerre.

Biographie de Carl von Clausewitz
Carl Von Clausewitz

Les débuts d’un stratège brillant

Carl von Clausewitz est né le 1er juin 1780 à Burg bei Magdeburg, en Prusse, au sein d’une famille de la petite noblesse. Son entrée précoce dans l’armée prussienne à l’âge de 12 ans marque le début d’une carrière militaire prometteuse. Son passage à l’Académie Militaire de Berlin façonne ses convictions. Il est en effet influencé par les idéaux révolutionnaires français.

Sur le champ de bataille

Carl von Clausewitz a été façonné par les guerres napoléoniennes. Sa présence sur les champs de bataille européens a profondément marqué sa compréhension de la guerre et de ses implications.

À Iéna, l’armée prussienne subit une défaite écrasante face aux forces napoléoniennes. Clausewitz est le témoin de l’effondrement brutal d’une institution militaire qu’il avait juré de servir. Cette expérience l’a ainsi confronté à la réalité impitoyable de la guerre moderne.

Sa participation à la bataille de Waterloo, en tant qu’officier d’état-major prussien, lui permet en outre d’observer de près la stratégie de Napoléon Bonaparte, et de contribuer à la défaite finale de l’empereur français.

Ces expériences sur le champ de bataille ont profondément influencé sa pensée stratégique. En effet, c’est dans les carnages de la guerre que Clausewitz a commencé à élaborer les concepts fondamentaux qui allaient façonner son œuvre majeure, « De la Guerre ».

Au service du tsar

Dès la chute de la Prusse, Clausewitz rejoint le tsar Alexandre Ier de Russie. Son engagement auprès du tsar témoigne de sa réputation grandissante en tant que stratège militaire. Cette période de sa vie est marquée par des efforts visant à moderniser l’armée russe. Il conseille également le tsar sur les questions de stratégie militaire.

Après la guerre : développement de la pensée clausewitzienne

A la fin des guerres napoléoniennes, Clausewitz consacre une partie importante de sa vie à approfondir sa réflexion sur la guerre et la stratégie militaire. Il écrit alors plusieurs ouvrages et articles qui contribuèrent à enrichir sa pensée et à élargir son influence. Mais son œuvre la plus célèbre reste « De la Guerre », quoi qu’inachevée à sa mort.

Le legs de Clausewitz

Clausewitz décède du choléra le 16 novembre 1831 à Breslau, en Silésie, à l’âge de 51 ans. Il laisse derrière lui un héritage durable dans les domaines de la stratégie militaire. Sa pensée continue d’inspirer les générations futures dans leur compréhension de la guerre et de la politique internationale. Il possède assurément sa place parmi les plus grands penseurs militaires de l’histoire.

L’héritage et la contribution de Marie von Clausewitz

En conclusion de notre biographie de Clausewitz, un mot Marie von Clausewitz. L’épouse dévouée de Carl, a joué un rôle essentiel dans la préservation et la diffusion des idées de son mari après sa mort. En effet, après le décès de Carl, elle prend en charge la publication posthume de « De la Guerre », oeuvre inachevée. Son dévouement à diffuser les idées de Clausewitz a donc contribué à consolider sa place parmi les plus grands penseurs militaires de tous les temps.

Au delà de la biographie de Clausewitz

En complément de cette biographie de Clausewitz, voir aussi notre mini-dossier sur De la guerre.

Comprendre pourquoi chez Clausewitz la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

Mélos, ou le risque de la neutralité

Le sort réservé à l’île de Mélos dans la guerre du Péloponnèse illustre le risque pour le faible de croire qu’il peut rester neutre quand les combats font rage autour de lui.

Mélos ou les risques de la neutralité

Au livre V de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide met en scène un dialogue entre ambassadeurs athéniens et notables méliens (V, 84), connu sous le nom de dialogue mélien, ou dialogue entre Athéniens et Méliens.

Mélos est une petite île de la mer Égée. Sa localisation permettrait à qui la dirige d’agir efficacement sur le trafic maritime. C’est donc une position clef pour Athènes qui dépend des tributs versés par ses alliés (voir notre article Le système thalassocratique chez Thucydide, dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse). La cité a choisi de rester neutre dans la guerre qui oppose Sparte à Athènes depuis 15 ans.

Mélos ou les risques de la neutralité - L'empire athénien en 431 av. J.-C., juste avant le début de la guerre du Péloponnèse.
L’empire athénien en 431 av. J.-C., juste avant le début de la guerre du Péloponnèse. Map_athenian_empire_431_BC-fr.svg : Marsyasderivative work: Once in a Blue Moon, CC BY-SA 2.5, https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5, via Wikimedia Commons

En 416 av. J.-C., les Athéniens estiment que la neutralité de cette petite cité représente un risque trop grand et décident de lui adresser un ultimatum : se soumettre à l’empire ou voir leur ville détruite. En effet, les Méliens sont aussi les colons de Sparte. Un dialogue édifiant s’engage alors entre délégués athéniens et notables méliens.

La neutralité de Mélos rejetée

Mélos propose de conserver sa neutralité. L’argument est immédiatement rejeté par les Athéniens.

« votre hostilité nous fait moins de tort que votre amitié : celle-ci ferait paraître aux yeux des peuples de l’empire une preuve de faiblesse, votre haine, une [preuve] de puissance ».

Athènes fonde sa puissance sur le tribut fourni par les cités soumises. Elle doit donc s’assurer de dominer les routes maritimes. Si elle accepte que Mélos demeure neutre, elle ouvre la porte aux revendications des autres peuples insulaires.

Le cœur du dialogue mélien : droit contre possible

Les délégués athéniens commencent par évacuer l’argument du droit.

« nous n’allons pas […] recourir à de grands mots, en disant que d’avoir vaincu le Mède nous donne le droit de dominer, ou que notre campagne présente vient d’une atteinte à nos droits ».

Ils comptent s’appuyer sur les rapports de force.

« Si le droit intervient dans les appréciations humaines pour inspirer un jugement lorsque les pressions (forces, NDLR) s’équivalent, le possible règle, en revanche l’action des plus forts et l’acceptation des plus faibles ».

Pour les Méliens, c’est la soumission ou la mort, quelle que soit leur position au regard du droit. « Ou bien nous l’emportons sur le plan du droit, nous refusons pour cela de céder, et c’est la guerre, ou bien […] c’est la servitude ».

Destruction de Mélos

Forts de leur droit et de l’appui divin qui l’accompagne, les Méliens choisissent de résister malgré la puissance d’Athènes. Ils comptent sur Sparte pour leur venir en aide.

« au nom de leur propre intérêt, ils ne voudront pas trahir Mélos, une colonie à eux, pour devenir suspects à leurs partisans en Grèce, et rendre service à leurs ennemis ».

Mais Sparte ne bouge pas. Après tout, Mélos n’a jamais pris leur parti. La position de Mélos était irrationnelle.

« Vos plus forts appuis relèvent d’un espoir relatif au futur, et vos ressources présentes sont minces pour résister avec succès aux forces dès maintenant rangées contre vous ».

Au bout de plusieurs mois de siège, Mélos, affamée, tente de négocier sa reddition. Mais les Athéniens se montrent implacables. Ils soumettent la ville à une violence extrême, même pour l’époque. Ils massacrent les hommes, emmènent les femmes et les enfants en esclavage, puis acheminent leurs propres colons. Le sort réservé à Mélos marquera durablement les esprits dans le monde grec. Parce qu’elle a cru choisir l’honneur, en comptant sur la neutralité et le secours d’une puissance culturellement proche d’elle, elle a cessé d’exister.

Le droit, la morale et la puissance

Quelle conclusion tirer du dialogue mélien ? Non pas que la force fait le droit. Mais que malgré le règne du droit, les rapports de force ne s’effacent pas. Ils doivent être pris en compte. La morale pèse en effet peu de poids face à ce qu’un acteur perçoit comme son intérêt vital. Et que comme les promesses, les alliances n’engagent que ceux qui y croient.


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Pourquoi les Houthis attaquent-ils des navires en mer Rouge ?

Les Houthis, un groupe rebelle du Yémen, poursuivent leurs attaques contre le commerce en mer Rouge. Mais quelles sont leurs motivations ? Deux facteurs clés émergent pour expliquer leurs actions : l’utilisation du ciblage du commerce maritime comme moyen de pression dans le conflit israélo-palestinien et comme outil de légitimation internationale. In fine, leurs actions leur permettent d’attirer de nombreuses recrues.

Un commando Houthi attaquant un navire en mer rouge

Les attaques houthies en mer Rouge, un moyen de pression sur le conflit israélo-palestinien

Les attaques des Houthis sur le commerce en Mer Rouge sont un moyen de pression indirect sur le conflit israélo-palestinien. En ciblant les voies maritimes essentielles pour le transport de marchandises, les Houthis cherchent à démontrer leur capacité à perturber les intérêts économiques et commerciaux d’Israël et de ceux qu’ils considèrent comme ses alliés.

En exerçant cette pression économique, ils espèrent influencer les politiques et les décisions des acteurs clés dans le conflit israélo-palestinien, tout en renforçant leur propre position au sein du paysage politique régional.

Un moyen de légitimation internationale

Les attaques contre le commerce en Mer Rouge servent également de moyen de légitimation internationale pour les Houthis.

les champions de l’Axe de la Résistance

En s’attaquant aux intérêts économiques des puissances régionales et internationales, les Houthis cherchent à se positionner comme les champions de « l’axe de la résistance » contre l’ingérence étrangère et l’expansionnisme. Ils espèrent ainsi renforcer leur image en tant que défenseurs des droits des Palestiniens et des opprimés de la région.

Leurs actions en mer Rouge permettent aux Houthis d’attirer les volontaires et de recruter massivement. L’équilibre du conflit en cours s’en trouvera modifié.

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Une légitimité accrue après les frappes américaines

Attaques Houthis Mer rouge

Les frappes américaines contre les positions des Houthis au Yémen ont de surcroît renforcé leur légitimité aux yeux de certains acteurs régionaux et internationaux. En répondant militairement aux attaques des États-Unis, les Houthis peuvent en effet être perçus comme un mouvement capable de résister à l’impérialisme occidental. Cette résistance face à l’intervention étrangère peut renforcer leur soutien parmi les populations locales et régionales. Elle accroît également leur crédibilité sur la scène internationale.

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Les attaques des Houthis sur le commerce en Mer Rouge sont donc le résultat d’une combinaison de motivations politiques, stratégiques et géopolitiques. Elles continuent de perturber les routes maritimes essentielles pour l’Europe et de menacer la stabilité régionale. Elles pourraient être demain à l’origine de bouleversements géopolitiques majeurs.

Nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées. Rajoutez vos idées et vos arguments dans la section commentaires ! La stratégie Houthie n’est-elle pas risquée ? Quelles pourraient être ses conséquences à long terme ?

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Qui sont les Houthis ?

Le Yémen a été le théâtre de conflits complexes et de bouleversements politiques. Au cœur de ce tumulte se trouvent les Houthis, un groupe rebelle qui a émergé comme un acteur majeur de la scène politique yéménite.

Houthis protestant contre des raids aériens

Aujourd’hui, les Houthis contrôlent une grande partie du territoire yéménite, dont le port majeur d’Hodeïda. Leur puissance économique et militaire leur permet de tenir en respect le gouvernement internationalement reconnu.

Qui sont les Houthis ?

Les Houthis sont un mouvement politique et religieux originaire du nord du Yémen, dans la région de Saada. Fondé à la fin des années 1990 par Hussein Badreddin al-Houthi, le mouvement tire son nom de la famille Houthi. Elle possède toujours un rôle central dans les décisions du mouvement. Initialement, les Houthis étaient un mouvement zaydite, une branche du chiisme. Ils se sont par la suite transformés en une force politique et militaire capable de rivaliser avec le gouvernement.

Leur montée en puissance a été alimentée par un mélange de griefs politiques, économiques et religieux. En effet, les Houthis se sont opposés à la marginalisation politique et économique des régions du nord du Yémen. Ils ont critiqué le gouvernement central pour sa corruption et son alignement avec des puissances étrangères, notamment l’Arabie saoudite et les États-Unis.

Idéologie des Houthis

Leur idéologie est imprégnée d’un fort sentiment anti-impérialiste et anti-américain, ainsi que d’un fervent nationalisme yéménite. Les Houthis ont également adopté un discours religieux, se présentant comme les défenseurs des intérêts des zaydites et des opprimés contre les forces extérieures et les élites corrompues.

Les Houthis appartiennent à la branche zaydite du chiisme, une des principales écoles de pensée de l’islam chiite. Le zaydisme est répandu principalement au Yémen, où il constitue la majorité de la population dans les régions du nord.

Cette branche du chiisme se distingue par son interprétation de la succession du prophète Mahomet et par son accent mis sur la justice sociale et politique. Les zaydites considèrent en effet que c’est à un imam descendant directement du prophète Mahomet que revient de diriger la communauté musulmane. Il doit être choisi en fonction de son mérite et de sa piété, plutôt que par une lignée dynastique.

Bien que les Houthis soient fortement ancrés dans la tradition zaydite, leur discours et leurs actions dépassent largement les questions religieuses pour englober des préoccupations politiques et sociales plus larges.

Abd el Malek Al Houthi, le leader charismatique des Houthis, incarne cette fusion entre la religiosité et l’engagement politique. Ses partisans le vénèrent comme un chef religieux et un guide politique. Il unit les deux dimensions de l’autorité dans la tradition zaydite. Ses discours sont empreints de références religieuses et de versets coraniques. Ils renforcent ainsi son statut de leader spirituel tout en articulant une vision politique pour le Yémen.

Les Houthis en position de force au Yémen

Le Yémen est en proie à la guerre civile depuis 2014. Les Houthis ont pris le contrôle de la capitale, Sanaa, en 2014. Ils ont renversé le gouvernement soutenu par l’Arabie saoudite et forçant le président yéménite, Abdrabbuh Mansur Hadi, à s’exiler. Depuis lors, le Yémen est plongé dans un conflit violent et dévastateur, exacerbé par l’intervention militaire de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis en soutien au gouvernement de Hadi.

Les Houthis ont réussi à résister aux offensives de la coalition arabe et à consolider leur emprise sur de vastes portions du territoire yéménite, y compris Sanaa et d’autres régions clés. Leur résistance opiniâtre et leur capacité à mobiliser un large soutien populaire leur ont permis de rester un acteur politique incontournable malgré les pressions internationales et les tentatives de la coalition de les évincer du pouvoir.

Zone contrôlée par les Houthis au Yémen
Zone contrôlée par les Houthis au Yémen (2022)

Aujourd’hui, ils disposent d’une puissance militaire considérable. Les Houthis ne sont pas une rébellion en haillons. Au contraire, ils ont récupéré les ressources, armements et savoir-faire de l’armée régulière dans les zones qu’ils contrôlent. Une partie des militaires qui servaient le régime sont passés aux Houthis au gré des conquêtes territoriales. Ils ont tout simplement besoin de nourrir leur famille. Aujourd’hui, les Houthis sont capables de produire et de mettre en œuvre des armements sophistiqués. Ils bénéficient de surcroît du soutien de l’Iran. Le port de Hodeïda leur fournit également des revenus importants. Ils peuvent ainsi soutenir leur effort de guerre.

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Les Houthis continuent de jouer un rôle central dans la politique yéménite, défiant les attentes et les prévisions de nombreux observateurs internationaux. Leur ascension fulgurante et leur résilience face aux pressions extérieures témoignent de la complexité et de la profondeur des dynamiques politiques et sociales qui façonnent le paysage yéménite contemporain.


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