Se dirige-t-on vers une guerre contre la Russie ?

Le Président français Emmanuel Macron a annoncé le lundi 26 février qu’un engagement de troupes occidentales en Ukraine n’était plus exclu. Alors, se dirige-t-on vers une guerre contre la Russie ? Comment en est-on arrivés là ?

Des propos rassurants sont immédiatement venus nuancer la déclaration française. Les alliés ne comptent pas s’engager, le déploiement ne concernerait que des unités de déminage. Mais le signal est trop fort pour être ignoré. Allons plus loin.

Une guerre entre la France et l'Ukraine ?

Un affrontement en cours entre la France et la Russie dans le milieu informationnel

Dressons le cadre. La France et la Russie s’affrontent déjà, mais de manière indirecte en Ukraine ainsi que dans les champs immatériels.

Au Sahel, la Russie utilise le sentiment antifrançais pour avancer ses pions. En 2022, elle a tenté de discréditer l’action de la France au Mali en installant un charnier près de Gossi. Les forces françaises avaient éventé le subterfuge en diffusant les images de l’enterrement des corps. Le charnier était bien réel, mais du fait de Wagner.

Plus récemment, Moscou s’est livré à plusieurs attaques informationnelles contre la France. La Russie a mis en place plusieurs campagnes de désinformation, en répliquant des unes de sites internet de grands médias français afin d’y insérer sa propagande (opération Doppelgänger). Elle a également créé des portails spécifiquement dédiés à la diffusion de son récit (opération Portal Kombat).

De son côté, la France livre des armes et des munitions en Ukraine. Le canon Caesar a déjà joué un rôle important sur le champ de bataille, de même que les systèmes sol-air livrés par la France. Mais surtout, Paris a fourni à Kiev un grand nombre de missiles de croisière SCALP à très haute valeur ajoutée.

Les armes françaises font donc déjà couler le sang russe. Cependant, ces livraisons, de même que la formation des soldats ukrainiens dans l’hexagone, ne suffisent pas pour faire de la France un co-belligérant sur le plan juridique.


Pour aller plus loin sur la Russie : Dans la tête de Vladimir Poutine.

Une dynamique du conflit aujourd’hui favorable à la Russie

Pourquoi dès lors faire monter les enchères et évoquer un envoi de troupes occidentales en Ukraine ? Il faut en rechercher la cause dans la dynamique actuelle du conflit et dans la crainte d’une défaite ukrainienne.

Aujourd’hui, la dynamique du conflit est favorable à la Russie. Les Européens craignent un effondrement ukrainien. S’il est improbable à court terme, il ne peut être exclu. La Russie s’est remise de ses pertes et est repassée à l’offensive. Elle s’est emparée à la fin du mois de février de la ville d’Avdiivka, après des mois de combats acharnés.

L’aide matérielle occidentale est donc tout à fait nécessaire, mais non suffisante pour assurer la victoire de l’Ukraine. Or, elle atteint ses limites, en raison de l’inadaptation du complexe militaro-industriel occidental à la guerre de masse. Celui-ci est en effet conçu pour armer des forces professionnelles d’équipements de haute technologie, en petit nombre et donc très chers.

Dans ces conditions, la déclaration de M. Macron constitue un signal envoyé à M. Poutine. Le président français n’annonce pas l’envoi de troupes ; il évoque le sujet. Cette petite phrase ne passera cependant pas inaperçue à Moscou. Il s’agit pour la France de peser sur les calculs russes en montrant qu’elle est toujours déterminée à soutenir l’Ukraine. Paris souhaite également poser davantage de dilemmes à la Russie. Renouer, pour ainsi dire, avec l’ambiguïté stratégique.


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Conséquences d’une défaite ukrainienne

Mais pourquoi s’acharner à ce point en Ukraine ? Quelles seraient les conséquences d’une défaite ukrainienne ? Toute la question est bien là. En réalité, au cœur des réactions occidentales à la dynamique du conflit se trouve la crainte d’une paix trop favorable à la Russie. Elle modifierait considérablement l’architecture de sécurité et les rapports de force en Europe, voire dans le monde.

Il résulterait d’une paix trop favorable à la Russie une modification considérable des rapports de force en Europe, et probablement dans le monde. Les démocraties occidentales en sortiraient durablement décrédibilisées, tant elles ont fait de ce conflit une lutte existentielle. Le récit russe d’un Occident décadent et faible serait conforté.

L’architecture de sécurité européenne n’y survivrait pas. La Russie aurait démontré que l’Occident n’est plus capable de s’opposer à l’emploi illégal de la force militaire. Moscou aurait alors beau jeu de tirer avantage de sa supériorité militaire pour imposer ses vues à des Européens désunis et militairement faibles. Le désarmement européen a par ailleurs très probablement compté dans les calculs russes en février 2022. Les doutes qui planent sur la fiabilité américaine au sein de l’OTAN viendraient parachever la nouvelle vulnérabilité militaire de l’Europe. Moscou pourrait rouvrir des contentieux sur le vieux continent, par exemple dans les pays baltes au sujet du corridor de Suwalki.

Cependant, à quoi ressemblerait une défaite russe ? Que penser d’une paix dans laquelle l’Ukraine renoncerait au Donbass et à la Crimée, dont le retour dans le giron de Kiev paraît de plus improbable ? Ce n’est ni à la France, ni même aux États-Unis de le dire. C’est à l’Ukraine, et à la Russie. C’est tout le paradoxe de la position des Européens. Ils s’engagent toujours plus avant dans leur soutien à Kiev, en s’en remettant aux buts de guerre ukrainiens. A lier son sort au combat d’un autre, on lui donne la clef de son destin.


Pour aller plus loin : Que veut Poutine ?

Une guerre contre la Russie ?

In fine, les modèles d’armées européens ne sont plus adaptés à la guerre de masse. À l’heure où l’allié américain doute, les Européens sont trop faibles pour que l’Ukraine perde la guerre. Nul doute que le 24 février 2022 a ouvert la page d’un monde nouveau, cauchemardesque pour ceux qui pensaient la guerre révolue et qui souhaitent encore toucher les « dividendes de la paix ».

Les Européens voient ressurgir le spectre de Munich. En 1938 ils avaient cru sauver la paix alors qu’ils venaient de finir de convaincre Hitler de leur lâcheté. La déclaration du président français s’inscrit dans ce contexte intellectuel.

En renversant la perspective, la question n’est peut-être pas de savoir si les Européens parviendront à éviter la guerre, mais s’il n’est pas déjà trop tard pour le faire.


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Le troisième âge nucléaire

En 2018, l’amiral Pierre Vandier publie La dissuasion au troisième âge nucléaire. Mais que signifie cette expression ?

En 2018, l’amiral Pierre Vandier publie La dissuasion au troisième âge nucléaire. Il est aujourd’hui chef d’état-major de la Marine nationale. Il a notamment commandé le porte-avion Charles de Gaulle de 2013 à 2015.

L’ouvrage utilise le concept d’âges nucléaires. Mais que signifie cette expression ?

Premier âge nucléaire, 1945 – 1991

Le premier âge nucléaire commence avec les deux frappes d’août 1945 sur le Japon. Il est l’ère des fondements. Le fait nucléaire constitue une rupture conceptuelle, avec un armement dont la puissance rend possible la guerre d’anéantissement. Le 24 août 1949, l’Union soviétique accède à la bombe. Cela équilibre l’équation des dommages réciproques en cas de conflit. La puissance de destruction potentielle constitue dès lors la première pierre de la stratégie de dissuasion.

Deux aspects essentiels se détachent au cours de cette période. Le premier est le caractère putatif de l’arme nucléaire. Le second, la hiérarchisation des nations reflétant l’ordre mondial issu de la Seconde Guerre mondiale. Cette hiérarchisation s’est renforcée avec la mise en place du traité de non-prolifération (TNP) en 1968, et la différenciation entre les pays dotés et ceux qui ne le sont pas. Le TNP constitue une étape cruciale visant à prévenir toute escalade non maitrisée. Il ouvre la voie au deuxième âge nucléaire.


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Le deuxième âge nucléaire

La chute de l’Union soviétique marque l’entrée dans une nouvelle ère. Le deuxième âge nucléaire est celui d’un espoir irénique de voir la dissuasion disqualifiée et la paix s’instaurer. Il est celui de l’ambition du bannissement définitif et total des armes atomiques en se fondant sur le retour du multilatéralisme. Rompant avec la course à l’armement de la guerre froide, plusieurs traités viennent relancer la limitation du volume de têtes nucléaires (START I & II) et interdire les essais (TICE [1]).

Ce deuxième âge est marqué par une fragilisation de la dissuasion. En effet, deux facteurs viennent la mettre à mal. Ils servent d’arguments à l’initiative Global Zero, qui promeut l’interdiction des armes atomiques. D’une part, le contournement de la dissuasion par le bas illustre les « angles morts » de la dissuasion. Elle se montre inefficace contre certaines menaces, comme le terrorisme.

D’autre part, l’émergence de la défense anti-missiles balistiques (DAMB) contribue à la décrédibilisation de la dissuasion nucléaire. Le projet DAMB porté par les États-Unis rompt les équilibres : militairement défensive, la défense anti-missile apparait en réalité stratégiquement offensive.

Par ailleurs, il ressort de cette période un affaiblissement du droit international et de sa crédibilité. Les pays possesseurs « de fait », comme l’Inde ou le Pakistan, n’ont pas signé le TNP en dépit des pressions de la communauté internationale. Qui plus est, l’ONU et l’Agence internationale de l’énergie atomique se sont retrouvées discréditées par l’intervention américaine en Irak de 2003.

Enfin, la dynamique de non-prolifération est mise à l’épreuve par l’Iran et la Corée du Nord. L’Iran pratique ainsi une forme de chantage à l’arme atomique. Quant à Pyongyang, sa marche vers le statut de puissance nucléaire a consacré la suprématie du fait accompli et l’incapacité de la communauté internationale à endiguer de pareils efforts.

Et la France dans tout ça ?

Durant cette période, la dissuasion française se transforme en appliquant le principe de stricte suffisance. Elle fait évoluer sa doctrine de frappes anti-cités vers une démarche cherchant à cibler les centres de pouvoir.

Troisième âge nucléaire

Le troisième âge nucléaire, celui que nous vivons, comporte trois caractéristiques essentielles. Il s’agit du maintien du concept de dissuasion, du renforcement des stratégies indirectes et de l’autonomisation croissante des puissances émergentes qui cherchent toutes à se doter des outils nécessaires pour soutenir leurs ambitions. Loin d’être frappée d’obsolescence, l’arme atomique constitue toujours un facteur de hiérarchisation des puissances. Elle surclasse la puissance militaire conventionnelle et brouille le calcul d’un agresseur potentiel. La conflictualité doit donc évoluer sous la voûte nucléaire au travers de guerre limitée ou par procuration au profit de stratégies indirectes. Il y a ainsi une reprise de la diffusion du fait nucléaire qui est susceptible de modifier la hiérarchie des puissances avec l’apparition de « pirates stratégiques ».

Place de la France dans le troisième âge nucléaire

Dans ce troisième âge nucléaire, la France est exposée internationalement notamment dans ses territoires ultramarins. Puissance nucléaire indépendante, elle détient une capacité autonome d’appréciation de la menace. Toutefois, dans un monde où les interdépendances et les interconnexions se sont accrues, les intérêts matériels et immatériels de la France ne sont pas localisés sur le seul territoire national. Or, les forces conventionnelles de ses compétiteurs stratégiques s’avèrent particulièrement résilientes. Ils possèdent de surcroît les moyens de tester la volonté française.

Dès lors, face à des combinaisons de stratégies d’anti-accès et nucléaires, la France doit conserver sa capacité à entrer dans la dialectique d’une crise. Elle doit par conséquent bâtir une doctrine qui lui permette de déterminer efficacement les intentions des acteurs et leur signifier explicitement un seuil à ne pas dépasser dans un contexte où ses moyens conventionnels sont par ailleurs comptés.

La capacité de frappe en second demeure le socle de sa dissuasion, car elle interdit tout calcul gagnant de la part de l’adversaire. Face aux menaces indirectes sur ses intérêts, la France ne peut envisager des ripostes graduées comme le font les États-Unis. Elle doit donc opter pour l’avertissement en étant démonstrative.

Aussi, la France doit asseoir sa dissuasion sur sa robustesse et sa « démonstrativité ». À ce titre, les capacités duales ont un intérêt stratégique. De ce fait, il ne faut pas opposer stratégies nucléaire et conventionnelle. En effet, la dissuasion constitue une fonction globale, dont les forces conventionnelles tirent profit. Mais par-dessus tout, leur complémentarité préserve du dilemme du tout ou rien.


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*

Exercice complexe, la dissuasion se révèle une matière vivante. La puissance des armes contraint la stratégie nucléaire à s’exprimer sous la forme de la dissuasion. Après l’échec des démarches de régulation des armes atomiques et une remise en cause de l’ordre international, notre époque semble connaitre l’émergence d’un troisième âge nucléaire.

La stratégie nucléaire n’est donc pas figée. Elle a su s’adapter aux évolutions géopolitiques et technologiques. L’affaiblissement de la communauté internationale et l’apparition d’acteurs adeptes d’un retour à une stratégie désinhibée de puissance constituent un défi pour l’avenir.

Pierre Vandier, La dissuasion au troisième âge nucléaire, Monaco, éditions du Rocher, 2018.

Conseils de lecture :

Trois lectures complémentaires s’avèreront utiles pour approfondir et contextualiser la question de la dissuasion abordée dans le texte de l’amiral Vandier.

Introduction à la stratégie du général Beaufre est un préalable indispensable pour pleinement comprendre les concepts de fait accompli et d’actions en dessous du seuil.

Pour creuser la notion, Des stratégies nucléaires du général Poirier constitue un des ouvrages de référence.

Enfin, pour resituer ces menaces indirectes, La guerre hors limites de Qiao Liang et Wang Xiangsiu donne des perspectives des champs de compétitions et de contestations avec nos adversaires.


[1] Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (1996).

La Chine représente-t-elle une menace ?

La loi du 1er aout 2019 sur la préservation des intérêts de la France en matière de réseaux de téléphonie mobile a provoqué le bannissement des antennes relais du géant chinois Huawei de l’hexagone. À la libre concurrence, la France a opposé le respect de sa souveraineté. Cette prise de conscience montre que l’empire du Milieu est désormais traité avec moins d’irénisme. Mais peut-on pour autant considérer la Chine comme une menace ?

La Chine est-elle une menace ? Les armes et la toge

La menace se caractérise par la présence d’une intention hostile manifestée. Elle se différencie ainsi d’un risque.

La Chine est-elle une menace ? 
www.lesarmesetlatoge.fr

La Chine ne constitue certes pas une menace militaire directe pour la France. Toutefois, à y regarder de plus près, elle représente effectivement une menace pour ses voisins et pour un ordre international dominé par l’Occident.

Un poids économique qui confère à la Chine un fort pouvoir de nuisance

La Chine est la deuxième économie de la planète. Son PIB correspond à 17 % du PIB mondial. Elle concurrence déjà largement les États-Unis. Or, Pékin utilise son poids économique pour influencer la politique et la diplomatie de ses partenaires. C’est la « coercition économique ». Par exemple, les contrats qu’elle a signés dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » peuvent être assortis de clauses d’annulation en cas d’action contraires aux intérêts du pays. La Chine a ainsi pris des mesures de rétorsion contre la Lituanie après son rapprochement avec Taïwan.

C’est également par l’économie que la Chine force la captation de certaines ressources ou informations. La taille de son marché incite à accepter des transferts de technologie afin d’y avoir accès, comme dans le domaine aéronautique. De plus, le bannissement d’Huawei d’une partie des pays occidentaux a mis en évidence que le savoir-faire chinois en matière de télécommunication pouvait être utilisé à des fins d’espionnage. En effet, l’entreprise conserve des liens étroits avec le gouvernement de Pékin.

Ce pouvoir de nuisance devrait se renforcer dans l’avenir. Sous l’impulsion du plan made in China 2025, l’empire du Milieu possède de l’avance dans les technologies de production d’énergie renouvelable. De plus, il domine l’exploitation des terres rares. De quoi pérenniser une dépendance ciblée du reste du monde, même si elle demeure limitée à certains secteurs. Pékin reste en effet en retard dans de nombreux autres domaines.

La Chine détient donc une importante capacité de nuisance fondée sur la puissance économique. Elle se double d’une forte agressivité à ses frontières.

La Chine représente une menace directe pour ses voisins

Pour beaucoup de ses voisins, la Chine représente clairement une menace majeure, y compris militaire.

L’essor de l’armée chinoise s’appuie sur la puissance économique du pays. Le budget de la défense chinois, estimé à 252 milliards de dollars annuels, est considéré comme le deuxième du monde. Il a quasiment doublé en dix ans. Pékin développe ainsi des armements modernes, comme des chasseurs nouvelle génération ou des missiles hypersoniques.

Forte de cet outil militaire, la Chine n’hésite pas à remettre en question le tracé de ses frontières. Ce dernier reste récent et l’objet de nombreux contentieux. En mer de Chine, elle étend sa zone d’influence en occupant de nombreux îlots, et en les transformant en bases militaires. Elle recourt également à des flottes de « pêcheurs » pour exercer des pressions sur ses voisins, comme les Philippines. Par le passé, elle n’a pas hésité à user de la force. Par exemple, en 1962, dans l’Himalaya, elle s’est emparée de l’Aksaï Chin aux dépens de l’Inde. Aujourd’hui, des affrontements réguliers ont lieu le long de cette frontière.

Dans ce contexte, la question de Taïwan cristallise les tensions et fait figure de menace majeure pour la paix mondiale. Depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949, l’île de Taïwan et la Chine continentale possèdent deux systèmes politiques différents. D’un côté, la République populaire de Chine considère l’île comme partie intégrante de son territoire. Pékin a d’ailleurs annoncé qu’il n’hésiterait pas à employer la force pour provoquer la « réunification », certes en « dernier recours ».

De l’autre, la République de Chine (Taïwan) bénéficie d’une souveraineté de fait, mais toute déclaration d’indépendance constituerait un casus belli. Les États-Unis, sans reconnaître l’indépendance de l’île, soutiennent son régime. Ils mènent une politique fondée sur l’ambiguïté sur leur volonté de s’engager militairement en cas d’attaque chinoise.

Outre son importance géopolitique, l’île de Taïwan est de loin le principal producteur mondial de semi-conducteurs. Il s’agit par conséquent d’un enjeu vital pour les États-Unis… comme pour la Chine. Ainsi que le dit Thomas Gomart dans Entre concentration et dispersion : le bel avenir de la puissance : « À l’horizon de 10 ans, Taïwan pourrait être le test de la dialectique des volontés sino-américaine ».

Pékin représente donc une menace militaire directe pour ses voisins. Mais si elle menace l’Occident, c’est bien dans sa volonté de remodeler l’ordre international conformément à ses intérêts.


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La Chine : une menace pour un ordre du monde favorable à l’Occident

Pour la gouvernance mondiale issue de la chute du mur de Berlin et dominée par les pays occidentaux, la Chine représente une menace. Elle souhaite en effet remettre en question les hiérarchies internationales.

La Chine possède la volonté de restructurer l’ordre international à son profit. Elle cherche à tisser ses propres réseaux économiques et financiers, ainsi qu’à renforcer sa légitimité. Pékin a par exemple créé la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, qui pourrait à terme devenir le concurrent du FMI. De même, son projet de « nouvelles routes de la soie » peut être lu comme une tentative de proposer une autre forme de mondialisation, centrée autour de la Chine. Ainsi, les voies ferrées kenyanes utilisent les normes chinoises. Elle mène en outre une lutte de long terme pour gagner en influence au sein de l’ONU afin de sécuriser ses intérêts et son récit.

Le rang de la Chine sur la scène internationale constitue un élément important de légitimation pour le parti communiste. Parti qui pourrait bien se retrouver pris au piège de ses positions dures sur les questions territoriales.

Dans un autre champ, la Chine représente aussi une menace pour l’expansion de la démocratie libérale et de ses valeurs, car elle propose son système d’« autoritarisme numérique » à l’export. Son modèle se fonde sur la séparation absolue entre liberté politique et liberté économique. Le savoir-faire acquis en matière de digitale est mis à profit dans le contrôle social. Par exemple, le pouvoir chinois utilise les QR codes des passes sanitaires pour restreindre la liberté de mouvement d’individus en bonne santé, sur une base discrétionnaire. Des technologies de reconnaissance faciale, ou de traçage de la population sont ainsi exportées. Elle a par exemple aidé les dirigeants de l’Ouganda et de la Zambie à espionner leurs opposants. En présentant un visage moderne d’un pays sorti de la pauvreté, la Chine propose son modèle à l’étranger, en concurrence avec celui de l’Occident.

En effet, la montée de la Chine met à nu le rapport de force qui existe entre l’Ouest et le reste du monde. C’est en ce sens que la Chine constitue une menace pour les intérêts des États occidentaux. En proposant une offre concurrente, le géant chinois se pose en pôle alternatif aux États-Unis. Depuis la disparition de l’Union soviétique, le modèle occidental de démocratie libérale n’avait guère de concurrents.

Pékin se sert de pressions économiques, mais tente aussi de diffuser un récit favorable à ses intérêts, comme dans le cadre des débats à l’ONU sur sa répression des Ouïgours. La Chine propose une nouvelle approche des relations internationales basées autour du « consensus de Pékin », par opposition au consensus de Washington. Toutefois, le modèle chinois joue aujourd’hui davantage sur la contrainte que sur l’attraction. L’avenir dira si la le rêve chinois saura séduire autant que le rêve américain.

*

La Chine constitue donc bien une menace sur plusieurs plans. Pour ses voisins, elle représente une menace militaire. Vis-à-vis du reste de monde, sa puissance économique lui octroie un pouvoir de nuisance important. Mais par-dessus tout, elle menace l’ordre international dominé par l’Occident en proposant un contre-modèle. Cependant, ce dernier fonctionne davantage par la contrainte que par l’attraction.

Mais les jeux savants des chancelleries pourraient bien s’écraser sur la question taïwanaise, véritable détonateur et menace existentielle sur la paix mondiale, tant ni les États-Unis ni la Chine populaire ne peuvent y céder un pouce de terrain. Le piège de Thucydide pourrait bien se refermer sur l’île.

LES « EFFETS DANS LES CHAMPS IMMATÉRIELS » : UNE APPROCHE FRANÇAISE DE LA GUERRE DE L’INFORMATION

Les « effets dans les champs immatériels » sont un concept récent utilisé par l’armée de terre française. Parfois accusé d’entretenir le fou et la confusion sur son objet, il nécessite une explication de texte.

Effets dans les champs immatériels
Mise en œuvre de matériel cyber tactique à l’entraînement, Fort Irwin.
Photo by Steve Stover

« Pour réduire l’adversaire à l’obéissance, il nous faut le placer dans une position telle qu’il y trouve plus de désavantages que n’en comporterait sa soumission au sacrifice que nous voulons lui imposer […]. Les modifications que la continuation de l’action militaire apportera dans cette situation devront donc contribuer, ou du moins avoir l’apparence de contribuer à l’empirer[1]. »

Carl von Clausewitz, De la guerre.

À rebours de toutes les idées reçues, la finalité de l’action militaire n’est pas physique, mais immatérielle. À travers la destruction de ses forces, c’est la volonté de l’adversaire que l’on vise. Il s’agit de lui démontrer qu’il sera plus avantageux d’accepter la défaite que de poursuivre le combat.

Les armées se montrent naturellement à l’aise avec les actions dans le domaine physique. S’emparer d’un objectif ou neutraliser des unités ennemies restent des savoir-faire qu’elles entretiennent avec soin. En revanche, la prise en compte des effets qu’elles produisent dans l’esprit de leur adversaire leur pose davantage de difficultés.

Or, ces dernières années ont vu se développer considérablement des outils permettant de produire des effets sur la volonté de l’adversaire. Le cyberespace et l’environnement électromagnétique se révèlent des moyens d’accès à l’environnement informationnel que l’action militaire ne peut ignorer.

Pour s’assurer la maîtrise de ces champs et milieux « non physiques », l’armée de terre française a forgé le concept d’« effets dans les champs immatériels », ou ECIm. Elle définit les champs immatériels comme « la convergence de l’environnement informationnel, du cyberespace, et l’environnement électromagnétique[2] ».

Pourtant, ces champs lient de façon intime les dimensions matérielles et immatérielles des opérations. De même, la France dispose déjà d’un cadre conceptuel qui lui permet d’agir sur la volonté de l’adversaire.

Dès lors, en quoi résident l’originalité et l’utilité du concept d’effets dans les champs immatériels ?

Les effets dans les champs immatériels : un processus de définition doctrinale récent

La dimension « immatérielle » de la guerre existe depuis la nuit des temps. L’action sur les perceptions de l’adversaire se trouve au cœur de nombreux procédés tactiques dès l’antiquité. La notion de champs immatériels apparaît, elle, progressivement dans la doctrine militaire française à partir de 2008[3]. Elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, ce qui suscite un processus de clarification.

Un environnement doctrinal en cours de clarification

Publié en 2020, le Concept d’emploi des forces, de niveau interarmées, identifiait « deux catégories d’espaces de manœuvre et de confrontation, les milieux et les champs. Les milieux renvoient aux espaces terrestre, maritime, aérien, exo-atmosphérique et cyber ; les champs recouvrent les espaces informationnel et électromagnétique[4] ».

L’armée de terre, avec son Concept d’emploi des forces terrestres, est ensuite venue préciser la notion de champs immatériels : « Les champs immatériels sont définis comme la convergence de l’environnement informationnel, du cyberespace, de l’environnement électromagnétique[5] ».

Cyberespace, environnement électromagnétique et informationnel

La doctrine militaire française établit précisément les termes clefs d’« environnement informationnel », de « cyberespace » et d’« environnement électromagnétique ».

Les armées emploient la définition du cyberespace telle que l’a fixée l’Agence Nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Il est un « espace de communication constitué par l’interconnexion mondiale d’équipements de traitement automatisé de données numériques[6] ».

Les systèmes de commandement reposent sur l’utilisation de réseaux et de moyens informatiques. Leur « surface numérique » se révèle par conséquent une cible légitime de haute valeur.

La Doctrine d’emploi des forces française reprend la définition otanienne de l’espace informationnel. Il « comprend l’information elle-même, les individus, organisations et systèmes qui la reçoivent, la traitent et la transmettent, et l’espace cognitif, virtuel et physique dans lequel cela se produit[7] ».

Du point de vue strictement militaire, la structure de commandement adverse est un acteur clef du champ informationnel. Il est possible de modifier sa volonté ou sa perception de la réalité de façon à ce qu’il agisse contre ses propres intérêts, qu’il ne puisse plus prendre de décisions ou qu’il arrive à la conclusion que toute poursuite de la lutte est vaine. 

Enfin, l’environnement électromagnétique fait référence aux émissions électromagnétiques au sein desquelles opère une force militaire[8]. Du fait des élongations qui caractérisent les déploiements des armées, la quasi-totalité des informations indispensables au combat transitent dans l’environnement électromagnétique. Maîtriser cet espace apporte donc une supériorité certaine.

Les différents éléments qui composent les champs immatériels sont bien définis et cadrés. Mais si la pertinence d’intervenir dans chacun de ces champs n’est pas à démontrer, s’avère-t-il nécessaire de regrouper environnement informationnel, électromagnétique et cyberespace en un unique concept ?


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Un objet problématique

La notion de « champs immatériels » ne s’impose pas comme une évidence, tant elle semble séparer artificiellement les champs physiques et immatériels. Pourtant, un travail de mise en perspective en fait apparaître tout l’intérêt.

Matériel, immatériel

La notion de champs immatériels entraîne le classement des effets et actions dans deux mondes artificiellement séparés, le physique et l’immatériel. Les opérations menées dans le cyberespace, l’environnement électromagnétique ou dans le champ informationnel peuvent très bien avoir des conséquences tangibles.

En effet, les moyens de commandement peuvent être rendus inutilisables et provoquer la paralysie tactique d’unités qui ne peuvent plus se venir en aide. Le moral de l’ennemi peut être dégradé au point de conduire à sa reddition. Enfin, de fausses informations distillées sur les réseaux radio de l’adversaire peuvent le pousser à commettre des erreurs.

À l’inverse, les actions physiques auront quasiment systématiquement des répercussions dans les champs immatériels. Un coup de canon engendre des effets à la fois physiques et immatériels. Tout d’abord, il transmet des informations, comme la localisation et l’intention de l’unité qui tire. Ensuite, le projectile cause certes des dégâts tangibles, mais il possède aussi un effet sur le moral des troupes prises pour cible, surtout si le pilonnage dure.

En outre, le cyberespace comme l’environnement électromagnétique et informationnel reposent sur une couche physique. Ce sont les ordinateurs, les serveurs, les postes radio… La démolition d’une antenne relais réduira les possibilités d’action dans le champ informationnel. De même, la destruction physique des moyens numériques d’un état-major le rendra incapable de commander.

Les champs physiques et immatériels sont donc intimement mêlés. Pourquoi dans ce cas se focaliser sur les champs immatériels ?

 L’information, dénominateur commun

Les champs immatériels possèdent un dénominateur commun, mais il ne réside pas dans leur « évanescence ». En réalité, ils regroupent l’ensemble des points d’accès à l’infrastructure physique du champ informationnel[9] que l’armée de terre peut prendre en compte.

Ainsi, les actions dans le cyberespace et le champ électromagnétique permettent d’atteindre le réseau de commandement et l’espace cognitif des décideurs politiques et militaires. Elles n’ont pas d’autre raison d’être que de paralyser, transformer ou exploiter l’information utilisée par l’adversaire. 

Le champ informationnel dispose lui aussi d’une infrastructure physique. Ce sont les individus qui communiquent. Avant de parvenir au niveau cognitif, un message doit être créé, prendre une forme compréhensible, transiter entre les acteurs (particuliers ou organisations) pour produire ses effets. Atteindre un espace cognitif requiert un point d’entrée physique.

Maîtriser les champs immatériels, c’est donc maîtriser l’infrastructure d’accès au champ informationnel.

 Les effets

Cependant, la notion de champs immatériels doit impérativement être complétée par celle d’effets. Elle est définie par la Doctrine interarmées Anticipation et planification stratégiques comme la « suite, résultat ou conséquence d’une ou plusieurs actions sur l’état physique ou comportemental d’un système ou d’un élément constitutif d’un système[10] ».

Incontestablement, se contenter d’« opérations » dans les champs immatériels s’avèrerait insuffisant. Cela laisserait de côté toutes les actions physiques qui peuvent entraîner des modifications du champ informationnel, du cyberespace ou de l’environnement électromagnétique.

Par exemple, la destruction physique des moyens de commandement peut conduire à la paralysie tactique. De même, l’anéantissement d’un bataillon provoquera des effets moraux dans le reste de sa brigade, tels que la sidération ou l’abattement. Elle engendrera aussi un effet direct sur la perception des chefs de leur capacité à manœuvrer et à poursuivre le combat.

L’enjeu conceptuel consistait donc à trouver une formule susceptible d’exprimer la synthèse des effets produits dans le champ informationnel par les actions menées dans les champs physiques et immatériels. La notion d’effets vient compléter celle de champs immatériels pour aboutir au concept cohérent d’effets dans les champs immatériels.

Les effets dans les champs immatériels : un concept à visée praxéologique 

Les ECIm forment donc une représentation cohérente forgée pour rendre compte des conséquences dans le champ informationnel de toute la palette des opérations militaires possibles. Mais dans quel but ?

Ils se révèlent un concept à visée praxéologique qui doit permettre l’action à plusieurs niveaux.

 Effets dans les champs immatériels ou Info Ops ?

Le recours au concept d’ECIm peut sembler intrigant, d’autant plus que les armées françaises disposent déjà d’une doctrine d’opération dans l’environnement informationnel. Son intérêt réside peut-être justement dans le fait qu’il permet d’éviter d’employer au terme d’information.

En effet, la réception par le public du vocable de « guerre de l’information » ou « opérations d’information » pourrait poser problème, tant ils paraissent synonymes de désinformation et de diffusion de fakes news. Associer les termes « opérations » et « information » pourrait donc se montrer contre-productif. Cela contribuerait à saper la confiance de la population envers son armée. Les ECIm possèdent une charge sémantique plus neutre.

Une approche par les effets adaptée aux méthodes de planification françaises

En termes opérationnels, le concept d’ECIm vient donner de la cohérence aux actions entreprises au regard des effets souhaités. L’approche par les effets fournit une grille de lecture particulièrement efficace pour planifier et conduire les opérations. En se focalisant sur les effets produits et non sur les actions elles-mêmes, elle permet de mieux déterminer les engagements nécessaires.

Elle est en outre adaptée à la méthode française de planification tactique. Cette dernière est en effet centrée sur l’« effet majeur » et sur la synchronisation dans le temps des effets à obtenir par les unités subordonnées. Les effets dans les champs immatériels s’insèrent donc parfaitement dans les canevas de réflexion des états-majors français.

Le concept d’ECIm vient enfin enrichir les analyses tactiques de ces états-majors. Ces derniers peuvent intégrer de façon structurelle les actions et les effets dans les champs immatériels aux manœuvres qu’ils conçoivent.

 Accompagner la transformation de l’armée de terre

Au niveau de l’organisation des forces ensuite, le développement du concept d’ECIm s’inscrit dans une transformation de l’armée de terre française sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Elle remplace aujourd’hui son segment médian grâce au programme Scorpion, et conçoit le projet Titan, qui renouvellera son segment de décision à partir de 2035.

Cette réinvention capacitaire s’accompagne de réflexions doctrinales novatrices, quant au format et à l’emploi des unités tactiques. Le concept ECIm vient s’insérer dans ce cadre. Il permet une meilleure prise en compte de la guerre électronique et de l’action dans le cyberespace comme dans le champ de l’information. Il s’agit d’une approche fonctionnelle[11], utile tant dans l’acquisition de matériels que dans l’intégration de ces capacités au processus opérationnel de décision.

Les ECIm possèdent ainsi la vertu de rendre plus visibles les différentes capacités qui les composent. Cependant, cette approche se trouve rapidement confrontée à une limite importante. En effet, les ECIm ne sont pas un concept structurant. Ils n’ont pas vocation à faire émerger une nouvelle organisation des forces terrestres qui viserait à mieux intervenir dans le champ informationnel. Dès lors, certaines logiques de « propriétaires » devraient perdurer. Le commandement du renseignement devrait garder la main sur l’environnement électromagnétique, et le Commandement de la cyberdéfense[12] sur le cyberespace. Cependant, cette limite se fait aussi vertu : en renonçant à se doter d’un concept structurant, l’armée de terre se donne les moyens d’agir en évitant une réorganisation supplémentaire. Encore faudra-t-il convaincre les « propriétaires » des espaces et des champs qu’ils ont intérêt à travailler ensemble.  

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Le concept d’effets dans les champs immatériels synthétise donc les effets que produisent au sein du champ informationnel les actions menées dans les milieux physiques et les champs immatériels. C’est lui qui relie physique et immatériel dans l’unicité de l’objectif opérationnel. Son développement constitue un des axes d’efforts de l’armée de terre française.

Concept praxéologique, il possède pour raison d’être la construction de la cohérence globale des effets réalisés par des actions de nature très différente. Cette intégration devrait représenter un des enjeux des conflits à venir.

Le cadre intellectuel de l’engagement militaire demeure une donnée majeure dans la capacité d’une nation à promouvoir ses intérêts. Loin de s’ériger en doxa paralysante, il doit permettre de disposer de l’agilité nécessaire pour faire face aux surprises de demain.


[1] Von Clausewitz, Carl, De la Guerre, Paris, Ivrea, 2000, p. 30.

[2] Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement, Concept d’emploi des forces terrestres (CEFT) 2020 – 2035, Ministère des armées, 2021, p. 59.

[3] Armée de terre, FT-02, Tactique générale, 2008, p. 37.

[4] État-major des armées, CIA 01 concept d’emploi des forces, Paris, 2020, p. 12.

[5] Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement, op. cit., p. 59.

[6] Glossaire de l’ANSSI, consultable sur https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/glossaire/

[7] Centre Interarmées de Concepts, Doctrines et Expérimentations, Doctrine d’emploi des forces, Ministère de la Défense, 2014, p. 60.

[8] La doctrine française définit bien le terme d’environnement électromagnétique. Cependant, elle le fait dans des publications qui ne sont pas communicables au grand public. Nous nous sommes donc appuyés sur la doctrine américaine : « The EME refers to the resulting product of the power and time distribution, in various frequency ranges, of the radiated or conducted EM emission levels that may be encountered by a military force, system, or platform when performing its assigned mission in its intended operational environment. It is the sum of electromagnetic interference (EMI); EM pulse; hazards of EM radiation to personnel, ordnance, and volatile materials; and natural phenomena effects of lightning and precipitation static ». Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Joint Publication 3-13.1, Electronic Warfare, 2007.

[9] Gojon, Céline, « Champs immatériels, un combat de l’information », Note de recherche et de prospective, CDEC, Septembre 2021.

[10] Centre Interarmées de Concepts, Doctrines et Expérimentations, Anticipation et planification stratégiques, Ministère des armées, 2020, p. 81.

[11] Faubladier, Franck, « L’influence, ou l’introuvable doctrine », Conflits, Septembre 2021, pp. 56 – 59.

[12] Le Commandement de la cyberdéfense, ou COMCYBER, dépend de l’état-major des armées. Il est donc par nature interarmées.

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Lire aussi Grammaire de l’intimidation stratégique.

La France doit-elle quitter l’OTAN ?

La France doit-elle quitter l'OTAN ?
U.S. Air Force photo by Staff Sgt. Joe Laws, Public domain, via Wikimedia Commons.

A l’heure où la guerre fait à nouveau irruption en Europe, plusieurs candidats à l’élection présidentielle française proposent une sortie de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

L’OTAN est une organisation politique et militaire qui regroupe de nombreux pays de l’hémisphère Nord. Elle est une alliance défensive dont le cœur est l’article cinq de son traité fondateur, par lequel les membres se promettent assistance mutuelle en cas d’attaque armée de leur territoire. La participation de Paris à l’Alliance atlantique est souvent accusée de porter le risque d’entraîner la France vers des conflits non choisis. 

Alors, la France gagnerait-elle en liberté d’action hors de l’OTAN ?

Les contraintes du statut d’allié

Il est vrai que la participation de la France à l’Alliance atlantique s’accompagne de contraintes. Elle bride en partie la liberté d’action diplomatique et militaire de Paris. Cela explique que certains souhaitent voir la France quitter l’OTAN.

Un alliance inutile ?

Pour commencer, l’OTAN serait peu utile à la France. L’Alliance est certes d’une importance vitale pour des pays qui possèdent une frontière avec la Russie. Mais ce n’est pas le cas de la France. En effet, elle ne fait face à aucune menace existentielle. De plus, elle dispose en dernier recours de l’arme nucléaire. Le pays est donc capable de se défendre seul. En outre, l’un de ses principaux compétiteurs, la Turquie, est aussi membre de l’OTAN. Or, l’incident du Courbet en 2020 a montré les limites du soutien que l’organisation est prête à apporter à Paris.

Une alliance dangereuse ?

Ensuite, le statut d’allié pourrait entraîner la France dans des conflits non choisis. En effet, des pays membres de l’OTAN, comme la Pologne ou les pays baltes, pourraient choisir d’instrumentaliser leur contentieux historique avec la Russie. Membres de l’Alliance, ils pourraient utiliser leur rapport de force favorable dans une lutte d’intérêt avec Moscou, quitte à la faire dégénérer. De l’autre côté du miroir, la Russie perçoit l’Alliance comme une menace existentielle. La marche inexorable de l’OTAN vers les frontières russes fait partie des causes invoquées par Moscou pour justifier son invasion de l’Ukraine.

OTAN et souveraineté

Enfin, la participation à l’OTAN s’accompagne nécessairement d’une limitation de souveraineté diplomatique et militaire. L’OTAN est certes une alliance militaire, mais elle possède une portée politique. Or, il n’est pas possible pour la diplomatie française de se détacher complètement des prises de position du secrétaire général. D’autre part, la nécessaire « interopérabilité » des forces de l’OTAN passe par une américanisation des procédures de l’armée française. Cependant, ces façons de faire, telles que le « kill contract » (destruction d’une partie des moyens adverses avant l’engagement) sont adaptées à l’armée américaine. Les importer dans une armée à la doctrine, à la mentalité et aux aux équipements différents pourrait mener à catastrophes opérationnelles.

Il existe donc bien des raisons de vouloir prendre ses distances par rapport à l’OTAN. Cependant, les avantages du statut de membre restent importants.

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De l’utilité de l’Alliance

Même s’il n’existe aujourd’hui aucune menace aux frontières françaises, être membre de l’OTAN reste pertinent.

Une tribune pour la France

Tout d’abord, la participation à l’OTAN permet de renforcer l’influence française. L’organisation constitue une tribune et un forum qui fournit à la France des moyens supplémentaires pour faire valoir ses positions. En effet, le poste de Supreme Allied Commander Transformation (SACT), l’un des deux Supreme Allied Command, est réservé à un général Français. De plus, imposer sa présence dans les organes de décision permet de peser sur les choix de l’Alliance. Conserver sa place à l’OTAN, c’est aussi conserver sa place dans le concert des nations.

Conserver un rapport de force favorable

En outre, les grands compétiteurs de l’Occident n’hésitent plus à recourir à la force. Il apparaît pertinent de rester membre d’une alliance défensive qui dispose de la puissance des États-Unis comme argument principal. Les interventions russes en Ukraine et turques en Syrie ont montré que le tabou de la conquête n’était plus opérant. À ce titre, la France possède des faiblesses, notamment dans la défense de ses territoires ultramarins comme la Guyane ou la Nouvelle Calédonie. Qui plus est, avec l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, la guerre a atteint les frontières de l’Union Européenne. Il apparaît donc sage de conserver un rapport de force favorable face au voisin russe pour lui éviter des tentations.

L’OTAN face aux nouvelles menaces

Pour terminer, l’OTAN à su évoluer pour s’adapter aux menaces contemporaines (voir notre article sur la RDN en ligne). Elle a élargi la notion de défense pour faire face à des agressions en deçà du seuil de l’attaque armée. Depuis le sommet de Bruxelles en 2021, une attaque cyber pourrait déclencher l’article 5. L’Alliance a donc renforcé son caractère dissuasif face à des attaques dites « hybrides ». Or, la France ne peut pas se considérer à l’abri de telles attaques.

Rester membre de l’OTAN conserve donc sa pertinence, malgré des contraintes réelles. En dernière analyse, se retirer de l’Alliance ferait même perdre à la France bien plus de liberté d’action qu’elle n’en gagnerait.

Alliance atlantique et liberté d’action

Finalement, la véritable question est le maintien de la liberté d’action de la France. Or, renoncer à l’Alliance serait synonyme d’une perte considérable de cette liberté.

Quitter le commandement intégré ?

Quitter le commandement intégré de l’OTAN n’aurait guère de sens. Certes, cela garantirait que l’organisation des armées françaises réponde à leurs besoins propres, et non à ceux de l’OTAN. Mais la recherche de l’interopérabilité avec l’armée américaine se poursuivrait, voire se renforcerait. Et par-dessus tout, en tant que membre de l’Alliance, la France se verrait imposer des décisions prises par le commandement intégré, sur lesquelles elle n’aurait aucun doit de regard.

Article cinq et liberté d’action

De façon assez contre-intuitive, l’article cinq du Traité de l’Atlantique Nord n’est pas tout à fait contraignant. Les rédacteurs du texte se sont assurés qu’en cas d’activation, les voies et moyens d’assistance mutuelle resteraient totalement dans la main des nations. Son déclenchement n’est donc pas automatiquement synonyme de guerre. La France pourrait très bien choisir de ne pas s’engager. Toutefois, force est de reconnaître que l’activation de l’article cinq pourrait pousser un éventuel adversaire à employer immédiatement tous les moyens à sa disposition, y compris nucléaires, contre l’Alliance.

La France contre l’OTAN ?

Par-dessus tout, il pourrait n’être pas opportun de quitter l’Alliance alors que la Turquie, l’un des principaux compétiteurs de la France, en resterait membre. Le rapport de force ainsi créé serait très défavorable à Paris, qui ne pourrait défendre au mieux ses intérêts.

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Il n’apparaît donc pas opportun pour la France de quitter l’OTAN, ni de se retirer du commandement intégré. Certes, faire partie de l’Alliance atlantique impose un certain nombre de contraintes. Mais in fine, le rapport de force créé par l’OTAN est le garant du maintien de la liberté d’action de Paris, dans un monde ou le recours à la force paraît de plus en plus décomplexé.

Toutefois, face à la tendance de long terme qu’est le désengagement américain d’Europe, il n’apparaît pas pour autant sage de confier la sécurité du continent à Washington. La participation à l’OTAN ne saurait se substituer à la volonté politique de défendre ses intérêts par la force. Or, cette éventualité pourrait être à moyen terme imposée aux vieilles nations d’Europe.  

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Voir aussi Qu’est-ce que la guerre hybride ?

Les moyens de la dissuasion nucléaire française – composantes et enjeux industriels

« [La dissuasion nucléaire française] repose sur trois principes fondamentaux : un principe d’adaptation à l’état de la menace (stricte suffisance), un principe d’opérabilité des moyens en toutes circonstances (permanence), et un principe d’autonomie stratégique (indépendance). » SÉNAT, Rapport d’information sur la modernisation de la dissuasion nucléaire, 2017

Pour garantir l’application de ces trois principes, la dissuasion nucléaire française est conçue comme ensemble complexe de fonctions militaires, industrielles et technologiques qui forment un « système de systèmes ».

SNLE, pilier d ela dissuasion nucléaire française
Les moyens de la dissuasion (c) Marine nationale.

Deux composantes, trois forces

La dissuasion nucléaire française est organisée en deux composantes : la composante océanique et la composante aéroportée, qui sont complémentaires.

N. B. : la France n’a plus de composante terrestre depuis 1997.

Stratégie générale

La dissuasion nucléaire est une responsabilité du président de la République. Il est conseillé par le « conseil des armements nucléaires », format spécialisé du conseil de défense et de sécurité nationale, qui définit les orientations stratégiques et s’assure de l’avancement des programmes en matière de dissuasion nucléaire.

Composante océanique

La composante océanique se caractérise par son invulnérabilité et donne à la France la capacité de frappe en second. Elle est assurée par la Force Océanique Stratégique (FOST). Les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) sont le cœur de la FOST. L’un d’entre eux est en permanence en patrouille à la mer pour parer à toute éventualité. Grâce à la portée de leurs missiles M51 et à l’invulnérabilité que leur confère leur très grande discrétion, ils sont capables d’atteindre n’importe quelle cible, quand bien même la France aurait subi une attaque nucléaire.

La composante océanique, par la permanence à la mer de nos sous-marins, leur invulnérabilité, la portée des missiles, constitue un élément clé de la manœuvre dissuasive. Puisqu’un agresseur potentiel, tenté d’exercer un chantage contre la France, doit avoir la certitude qu’une capacité de riposte sera toujours opérationnelle et qu’il ne pourra, ni la détecter, ni la détruire. C’est l’intérêt, l’utilité de la composante océanique.

François Hollande, discours du 19 février 2015.

Les frappes des SNLE peuvent avoir un effet de masse, puisque chaque SNLE embarque 16 missiles M51 qui peuvent emporter chacun jusqu’à 10 têtes nucléaires océaniques de 100 kt.

La FOST comprend également les 6 sous-marins nucléaires d’attaque, un état-major, un centre opérationnel et un système de transmissions nucléaires protégé.

Composante aéroportée

La seconde composante, aéroportée, est la partie visible et réversible de la dissuasion. Elle bénéficie d’une précision supérieure à la composante océanique.

C’est une capacité visible, qui permet de « faire comprendre à l’adversaire éventuel que les choses deviennent sérieuses ». Elle permet de peser sur le dialogue politico-diplomatique en signifiant clairement la détermination française.

« La composante aéroportée donne, en cas de crise majeure, une visibilité à notre détermination à nous défendre, évitant ainsi un engrenage vers des solutions extrêmes. Voilà l’intérêt des deux composantes, si je puis dire : une qui ne se voit pas et une autre qui se voit »

François Hollande, discours du 19 février 2015.

La visibilité s’accompagne de la réversibilité. Le président peut annuler un raid aéroporté jusqu’au tir des missiles. Cette capacité est essentielle dans le cadre du dialogue dissuasif.

Elle est armée 24h sur 24 par les FAS, Forces aériennes stratégiques, et sur décision du président de la République par la FANu, Force Aéronavale Nucléaire. La FANu est composée du groupe aéronaval articulé autour du Charles de Gaulle qui peut emporter des charges nucléaires. Faire porter des armes nucléaires par un porte-avion est une spécificité française.

Le groupe aéronaval, cœur de la Force Aéronavale Nucléaire
Le GAN (c) Marine nationale

Quant aux FAS, elles comprennent essentiellement 48 rafales de l’Armée de l’air et des avions ravitailleurs.

Les missiles Air-sol moyenne portée améliorés (ASMP-A) des rafales sont beaucoup plus précis que les M51 des SNLE. Chaque année, un exercice de grande ampleur, dénommé « poker », permet de tester la capacité des FAS à pénétrer un dispositif de défense adverse.

Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, la composante aéroportée n’est pas strictement chargée de conduire les frappes « d’ultime avertissement ». Les SNLE peuvent tout à fait mener ces frappes.

Des moyens d’évaluation de situation et d’alerte, notamment dans l’espace, ainsi que des systèmes de transmissions nucléaires complètent le dispositif.

La notion de stricte suffisance

Ces forces sont maintenues au niveau de « stricte suffisance » correspondant à la doctrine de dissuasion nucléaire française. Il s’agit de s’adapter au niveau de menace. In fine, la notion de stricte suffisance ne correspond pas au chiffre minimum des armes et des vecteurs pour garantir une dissuasion permanente et indépendante, mais à la combinaison des capacités minimales pour garantir cette dissuasion exemplaire.

L’arsenal français est à un niveau historiquement bas. Aujourd’hui, la France ne dispose plus que de 300 têtes nucléaires, contre plus de 6000 pour les États-Unis ou la Russie. Le nombre de SNLE, réduit de 6 à 4 entre la fin des années 90 et 2010, est à un niveau plancher si l’on veut bénéficier d’une permanence à la mer.

En effet, lorsque l’un est en mer, celui qui va le remplacer est prêt à partir, le troisième est en entretien de courte durée (« arrêt technique »), et le dernier subit un entretien beaucoup plus lourd (« arrêt technique majeur »).

Les deux composantes sont indispensables à une dissuasion crédible. Elles combinent dissuasion visible et invisible, frappes massives et de précision. En supprimer une mettrait en outre la France à la merci d’une rupture technologique dans le domaine de l’interdiction aérienne ou de la détection sous-marine.

Disposer de deux composantes présente en outre un avantage militaire important : les trajectoires des vecteurs océaniques et aéroportés ne sont pas de même nature, ce qui rend leur interception complète beaucoup plus complexe… et chère. À l’époque où les technologies permettent d’envisager des systèmes de défense antimissile, cet atout n’est pas négligeable.

Enfin, il faut noter qu’à l’exclusion des SNLE, la plus grande partie des forces nucléaires remplit également des missions conventionnelles. Par exemple, le porte-avion Charles de Gaulle, les satellites de renseignement et les Rafales servent lors des opérations extérieures ou dans les missions de police du ciel. Cela permet de limiter le coût de la dissuasion nucléaire à environ 4 milliards d’euros par an.

La notion de stricte suffisante ne fait pas de la dissuasion une défense au rabais, mais est au contraire une garantie d’adéquation entre les fins de l’arme nucléaire et ses moyens, tout en évitant toute course aux armements.

« le principe de stricte suffisance invite à une modernisation constante des capacités, voire l’acquisition de nouvelles capacités si l’évolution de l’état de la menace le justifiait. »

SÉNAT, Rapport d’information sur la modernisation de la dissuasion nucléaire, 2017

La modernisation attendue de la dissuasion nucléaire française

Face à de nouvelles technologies comme la défense antimissile et l’hypervélocité, tout comme face à la remise en question du multilatéralisme dans le règlement des crises, renoncer à la modernisation de la dissuasion nucléaire revient à l’abandonner de fait.

La LPM 2025 – 2031 devrait être consacrée à la modernisation des capacités de dissuasion nucléaire françaises. L’effort financier devrait considérablement augmenter, pour passer de 4 à 6 milliards d’euros par an. Les réalisations amorcées devraient voir le jour en 2033 – 2035.

Modernisation de la FOST

La modernisation de la FOST est la priorité de la modernisation à venir.

Le SNLE de troisième génération devrait conserver le même tonnage que les navires actuels, afin de n’avoir pas à modifier en profondeur les infrastructures existantes. Il sera équipé de missiles M51 qui vont continuer à évoluer. 4 navires devraient être construits. Le premier devrait être mis en service vers 2030. En 2048 le parc aura été complètement renouvelé, et le dernier de ces sous-marins retiré du service vers 2080.

Cependant, les chantiers des sous-marins Barracudas vendus à l’Australie accusent deux ans de retard. Or, les infrastructures de production, propriété de DCNS, sont les mêmes que celles devant accueillir les chantiers des SNLE. La durée de vie des SNLE actuels pourrait donc devoir être prolongée.

La modernisation du missile M51 a pour objet de faire face à la problématique majeure à laquelle est confrontée la dissuasion nucléaire française : le développement des capacités de défense antimissile balistique. Le missile actuellement en service est le M51.2. Pour des raisons budgétaires, un choix a dû être fait entre le développement de nouveaux SNLE et le missile M6. Le M51 continuera donc à être amélioré. Une version M51.3 est en cours de développement et devrait être mise en service vers 2025. Le M51.4 devrait quant à lui entrer en service vers 2030. Les capacités améliorées sont la portée et la capacité de pénétration.

Missile M51.
Un missile M51. (c) Marine nationale

Le renouvellement des SNA a déjà débuté avec la mise en service du premier sous-marin de classe Suffren.

Modernisation de la composante aéroportée

La composante aéroportée a connu une modernisation constante depuis le début des années 2010 (ASMP-A, retrait des Mirages 2000-N). En conséquence, les efforts consentis pour cette composante devraient être moindres que pour la FOST.

La transition entamée au niveau des avions de combat et ravitailleurs se poursuivra. Le Rafale sera porté au standard F4, avec une augmentation pour 2024 des performances de son armement, de ses capteurs et l’intégration de la maintenance prédictive.      

Le renouvellement de la flotte des avions ravitailleurs C135 se poursuivra avec l’arrivée des MRTT Phénix jusqu’en 2025, comblant par là l’une des rares lacunes de l’autonomie stratégique française en matière de dissuasion.

Le missile ASMPA connaîtra lui aussi une rénovation (ASMPA-R) afin de maintenir ses capacités à niveau jusqu’en 2035. Le programme d’ensemble air-sol nucléaire de 4e génération (ASN4G) devait alors prendre le relais jusqu’en 2070. Cet armement devrait rester un missile, aux capacités accrues, probablement hypersonique (Mach 5) plus qu’hypervéloce (Mach 8).

En effet, à partir de 2035 – 2040, la composante aéroportée devrait entrer dans une nouvelle ère. Le Porte-avion Nouvelle Génération (PANG) devait succéder au Charles de Gaulle. Il aura la capacité de faire voler le SCAF, Système de combat aérien du futur.

Enfin, la « troisième composante », les transmissions nucléaires devraient elles aussi connaître une amélioration de leurs performances.

Modernisation des armes nucléaires fondée sur la simulation

Depuis l’arrêt des essais nucléaires en 1996, les nouvelles têtes nucléaires sont conçues grâce au programme « Simulation ». Concrètement, les dernières campagnes d’essais ont permis de collecter assez de données pour n’avoir plus besoin de valider la fiabilité des nouvelles armes par des explosions. Ce dispositif se base sur des supercalculateurs, l’installation radiographique ÉPURE, sur le laser Mégajoule et sur les compétences scientifiques associées.

Le rôle des supercalculateurs est de reproduire par le calcul chaque étape de fonctionnement d’une arme nucléaire. Le système utilisé par le CEA porte le nom de Tera 1000. Il permet d’effectuer 25 millions de milliards d’opérations par seconde (des pétaflops, ça ne s’invente pas). Il devrait être remplacé par Exa 1, capable d’atteindre 1 milliard de milliards d’opérations par seconde (un exaflop).

Afin de s’assurer de leur fiabilité, les résultats de Tera 1000 sont confrontés à ceux d’ÉPURE et du laser Mégajoule.

L’installation radiographique ÉPURE sert à effectuer des expériences d’hydrodynamique afin d’étudier les déformations de la matière, particulièrement au moment de l’implosion qui amorce la réaction nucléaire. Elle a pour fonction de vérifier et d’enrichir les données du supercalculateur Tera 1000. Elle est déjà considérée comme opérationnelle, même si la troisième et dernière machine radiographique ne devrait être installée qu’en 2022.

Le laser Mégajoule installé en Aquitaine sert lui à valider expérimentalement les phénomènes physiques qui ont lieu au moment du fonctionnement de l’arme nucléaire. 

Enfin, notons que la France ne produit plus de matière fissile pour ses armes nucléaires et recycle celle de ses anciennes têtes.

Les moyens de la dissuasion nucléaire française devraient donc en grande partie être renouvelés lors de la prochaine LPM. C’est à la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) que reviendra de concevoir et produire les nouveaux matériels. 

Dissuasion nucléaire française et BITD

L’aspect industriel de la dissuasion est fondamental. Pouvoir produire les moyens de sa dissuasion garantit son autonomie stratégique. Les technologies à maitriser et les savoir-faire à obtenir sont si pointus que l’état de la BITD française est un point d’attention fort des politiques de défense. 

Une BITD forte est indispensable pour l’autonomie stratégique française

Une BITD capable de concevoir, produire et soutenir les armes et les vecteurs utilisés par la dissuasion nucléaire est indispensable à l’autonomie stratégique française. C’est le cas aujourd’hui, à l’exception près d’ArcelorMittal, qui produit l’acier de la coque des sous-marins, et de Thermodyn, qui fabrique des turbines de propulsion. Toutes deux sont passées sous contrôle de capitaux étrangers. En revanche, la dernière lacune capacitaire, la production d’avions ravitailleurs, est en passe d’être comblée avec la mise en service des MRTT Phénix. Sans cela, la dissuasion, qui fonctionne comme un système de système, serait dépendante d’une ou plusieurs puissances étrangères.

C’est pourquoi tout un chapelet d’entreprises françaises participe à la conception, la production et le maintien en condition opérationnelle des matériels servis dans le cadre de la dissuasion. Ainsi, le M51 est conçu et produit par ArianeGroup, mais concerne 450 entreprises à un moment ou à un autre de son cycle industriel. DCNS et AREVA produisent les SNLE et les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). MBDA réalise le missile ASMPA, Dassault le Rafale. Thalès est quant à lui chargé des équipements de communications.

La conservation des savoir-faire nécessaires à production de matériels nucléaires est donc un point clef pour les entreprises de la BITD. Sans cela, des incidents comme ceux survenus sur le chantier de l’EPR pourraient survenir. L’État peut les y aider en étalant ses commandes, néanmoins la durée de vie des équipements permet de réaliser un tuilage entre entretien et démantèlement des matériels vieillissants d’un côté et conception et production de la nouvelle génération de l’autre.

Sans BITD forte, point de dissuasion donc. Mais on peut renverser la proposition, sans dissuasion, pas de BITD forte, tant la demande provoquée par la dissuasion nucléaire a un effet structurant sur la BITD française. 

Le nucléaire possède un effet structurant sur la BITD

Les commandes liées à la dissuasion nucléaire sont essentielles à la BITD française, par leur volume, leur technicité et leur besoin d’excellence.

La dissuasion nucléaire a un effet structurant sur la physionomie de la BITD. Par exemple, le format de la marine et, dans une moindre mesure, celui de l’armée de l’air, est largement pensé autour de la dissuasion. Presque tous leurs matériels majeurs y concourent. En conséquence, les commandes liées à la dissuasion donnent sa physionomie à la BITD dans ces deux domaines. Elles sont ainsi responsables des performances de DCNS.

De plus, la dissuasion provoque un effet d’entraînement sur le reste de la BITD. Par exemple, les technologies développées pour les SNLE bénéficient aux SNA, mais aussi aux sous-marins conventionnels, comme le barracuda, que produit DCNS.

« le succès remporté par DCNS, en avril 2016, avec l’attribution du marché australien de 12 de sous-marins Shortfin Barracuda1 — “contrat du siècle” d’un montant de 34 milliards d’euros — n’est pas sans dette envers la dissuasion… »

SÉNAT, Rapport d’information sur la modernisation de la dissuasion nucléaire, 2017

De même, le système de propulsion utilisé par les fusées Ariane est très proche de celui du M51. Et pour cause, le bureau d’étude qui produisait Ariane 5 est le celui qui a travaillé sur le M51.

Ainsi, pour M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre National d’Études Spatiales, « Ariane est un missile et un missile est Ariane. »

En outre, les passerelles entre les applications militaires et civiles des technologies nécessaires à la dissuasion sont nombreuses. Ainsi, les installations de simulation comme le laser Mégajoule peuvent posséder des applications civiles. Une véritable zone industrielle, la « route des lasers » s’est d’ailleurs créée autour du site du Laser, qui travaille au profit du Commissariat à l’Énergie Atomique et bénéficie du fruit de ses recherches. La firme Atos, qui produit le supercalculateur Tera 1000, doit aussi sa bonne santé à sa participation au programme de simulation.

Chaque euro investi dans la dissuasion n’est donc pas une dépense… mais un investissement.

Enfin, même si ce n’est pas le cœur du sujet, ces investissements de l’État permettent le maintien sur le territoire d’un grand nombre d’emplois industriels. Ainsi, un rapport de l’Assemblée nationale considère que les seules commandes liées à la dissuasion nucléaire permettent à DCNS, Areva TA et ArianeGroup de maintenir plus de 10 000 emplois sur le territoire, et que 90 % de la valeur ajoutée liée à la dissuasion est créée en France.

L’effet de la dissuasion nucléaire est donc structurant sur la BITD française.

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Les moyens de la dissuasion nucléaire française sont donc organisés en deux composantes complémentaires, océanique et aéroportée. Ces deux composantes correspondent au niveau de « stricte suffisance » rendue nécessaire par le contexte international. Elles sont en cours de modernisation, et cette modernisation devrait s’accélérer avec la prochaine LPM. L’aspect industriel est en effet indissociable de l’aspect opérationnel : seule une BITD puissante et complète permet une dissuasion autonome et crédible.

L’ESPACE : PERSPECTIVES STRATÉGIQUES

tour d’horizon des enjeux stratégiques liés à l’espace et à la place qu’y prend la France.

« Nous serons un État spatial puissant, dans une Europe spatiale forte ». Cette déclaration de Florence Parly en 2018 restera surement incantatoire. Elle surprend, tant elle est en décalage avec les difficultés de la France et de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis, à une époque charnière où l’espace, jusqu’ici militarisé mais sanctuarisé, voit s’ouvrir de nouvelles perspectives stratégiques et pourrait bien se transformer en milieu d’affrontement.

En effet, l’espace fut, est, et probablement restera un milieu privilégié pour l’expression de la volonté de puissance. Place à un tour d’horizon des enjeux stratégiques liés à l’espace et à la place qu’y prend la France.

Selon la fédération aéronautique internationale, l’espace commence à 100 km au-dessus du niveau de la mer, au niveau de la Ligne de Karman. À partir de cette limite, l’atmosphère est si peu dense que les surfaces aérodynamiques ne fonctionnent plus. C’est une limite arbitraire.

Si la physionomie des acteurs de la conquête spatiale subit aujourd’hui de profonds changements, le bouleversement majeur à venir pourrait être la transformation de l’espace en milieu conflictuel. Dans ce cadre, la France conserve la volonté de puissance alliée aux moyens limités qui fait qu’elle est la France.

N. B. : l’exploration spatiale (comme la conquête de Mars) ou les perspectives stratégiques de long terme (par exemple l’éventuelle exploitation des ressources lunaires) ne seront abordées que dans la mesure où elles éclairent les tendances contemporaines, non pour elles-mêmes.

* *

I. Un paysage en mutation.

L’entrée de nouveaux acteurs comme la Chine ou les entreprises privées ne rebat pas complètement les cartes du jeu de pouvoir dans l’espace. Les États-Unis restent, et resteront longtemps, la puissance dominante dans l’espace.

L’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine ou les entreprises privées ne rebat pas complètement les cartes du jeu de pouvoir dans l’espace. Les États-Unis restent, et resteront longtemps, la puissance dominante dans l’espace.

A. La chine, un entrant majeur.

Ces dernières années, la Chine a fait une entrée spectaculaire dans le club des nations spatiales.

La chine possède un programme spatial abouti. Elle dispose de lanceurs (les « Longue Marche ») et de satellites technologiquement avancés. De plus, elle projette de construire une station spatiale aux alentours de 2022. Une fois que la station spatiale internationale ne sera plus opérationnelle, entre 2024 et 2028, la Chine devrait être la seule nation à disposer d’une station orbitale. Toutefois, elle elle restera de petite taille comparée à l’ISS (60 tonnes contre 450).

Ce programme est à vocation d’émancipation nationale et stratégique. Son objectif est tout à la fois de développer des technologies de pointe et de le faire savoir. L’accès à l’espace est perçu comme le signe de la grandeur retrouvée de la Chine. C’est aussi le symbole de sa réussite.

Elle est en passe de devenir le 2e acteur le plus important de l’espace, derrière les États-Unis. Elle dispose du 2e budget le plus important des agences spatiales, à savoir 11 milliards d’euros en 2018, derrière la NASA (National aeronautics and space administration) et devant l’ESA (European space agency). Ainsi, début 2019 elle a conduit la première mission d’exploration de la face cachée de la lune. En 2019, la Chine est le pays qui a le plus effectué de lancements orbitaux (32, devant la Russie, 22, et les États-Unis, 21)

Sa structure politique lui permet une politique suivie et volontariste. Sa stabilité politique lui donne la capacité de mener un programme régulier sur le long terme, prévu entre 1999 et 2045, contrairement aux États-Unis, où la NASA subit les revirements des différents présidents. En effet, alors que Barack Obama souhaitait délaisser la lune, Donald Trump a relancé l’intérêt pour le satellite en proposant d’y renvoyer des astronautes. Cela dit, l’objectif poursuivi est toujours le même : Mars. La nature autoritaire du régime chinois lui permet enfin d’investir massivement pour démontrer la puissance du pays, et de la faire aux dépens de sa population. Rien ne garantit toutefois que la planification soit tenue. La Chine pourrait elle aussi n’être pas exempte de retournements politiques.

L’entrée de la Chine dans le club des grands pays spatiaux n’est qu’une des transformations que ce connaît ce milieu. Elle ne modifie pas autant le modèle d’accès à l’espace que l’émergence des acteurs privés.

B. L’émergence des acteurs privés.

Les États n’ont plus le monopole de l’accès à l’espace, même si les entreprises privées ne possèdent encore qu’une petite place dans l’architecture de l’accès à l’espace.

Des acteurs privés prennent une place de plus en plus importante auprès des États dans l’accès à l’espace. Space X (Elon Musk), Bue Origin (Jeff Bezos) ou United Launch Alliance (Boeing et Lockheed Martin) sont les compagnies les plus célèbres. En 2019, Space X a procédé à 13 lancements, soit 4 de plus qu’Arianespace. Le secteur du transport d’astronautes vers la station spatiale pourrait être porteur puisque les États-Unis dépendent du lanceur Soyouz pour ces missions depuis le retrait des navettes en 2011. En 2019, Space X a ainsi réussi la mise en orbite de Crew Dragon, un vaisseau destiné au transport d’astronautes. La société assure déjà le ravitaillement de l’ISS depuis 2013.

Ces acteurs développent des technologies de pointe. Ainsi, Space X a mis en service un lanceur très populaire, le Falcon 9, et tente de développer une fusée réutilisable. Autre projet, la mise en orbite des satellites du programme Starlink, qui vise à étendre l’internet à haut débit partout sur la terre. Sa mise en place a débuté en 2019. Enfin, en 2020, Space X a été la première entreprise commerciale à envoyer des hommes dans l’espace. Blue Origin quant à elle tente d’inventer le tourisme spatial avec une fusée capable d’atterrir, New Shepard.

Mais ils sont toujours très dépendants des États. Les principaux clients des entreprises spatiales sont les États. De plus, Space X est dépendante du bon vouloir de l’État américain pour ses lancements. En effet, ce dernier met 3 sites à sa disposition, dont la base de Cap Canaveral. Toutefois, ce paradigme pourrait changer. Les entreprises du « big data » sont de plus en plus attirées vers l’espace. En effet, les satellites ont la capacité de faire transiter rapidement les données, et donc de générer d’importants revenus. Ainsi, Elon Musk mise sur la rapidité du transfert d’information par le réseau Starlink pour financer l’intégralité des activités de Space X. 

L’émergence d’acteurs privés est un tournant de l’histoire de la conquête spatiale. À l’inverse, certains acteurs historiques sont à la peine. 

C. L’Europe et la Russie, des acteurs historiques à la peine.

La Russie et l’Europe, acteurs traditionnels du secteur spatial, sont confrontées à de fortes contraintes budgétaires et cherchent un second souffle.

L’Europe est confrontée à des difficultés budgétaires et à des divisions politiques qui freinent son ambition spatiale. L’Agence spatiale européenne dispose certes d’un budget de 6,6 milliards d’euros, mais cela ne représente que 10 % des investissements mondiaux. Le programme phare Galileo ne doit pas masquer le manque d’ambition des Européens. S’ils sont en pointe dans de nombreux domaines, force est de constater que les différentes approches de l’espace ne permettent pas de mettre en place de projet majeur. Ainsi, si l’ESA participe au projet d’avant-poste en orbite lunaire de la NASA, elle ne se donne pas d’objectif enthousiasmant comme le font les Américains ou les Chinois dans la course vers Mars. L’idée de « village lunaire » qu’elle a lancée est très imprécise et ne se concrétise pas.

Toutefois, elle tente de maintenir ses positions. L’Europe a développé le lanceur léger Véga et travaille sur Ariane 6 (prévue en 2021). Dès 2021, elle souhaite se doter d’un véhicule spatial réutilisable, le « space rider ».

La Russie lutte également pour conserver ses acquis. En effet, pionnière de la conquête de l’espace, elle possède des savoir-faire très étendus : 10 % des satellites en orbite sont russes, et certains sont capables de manœuvrer. Roscosmos est doté d’un budget équivalent à 5,5 milliards d’euros, et est dirigé depuis 2008 par Dmitri Rogozine, un proche de Vladimir Poutine. Toutefois, les réformes se succèdent depuis 2010 dans l’organisation du secteur spatial russe. Certains échecs, tel celui de la sonde Phobos-Grunt en 2012, ou l’atterrissage en catastrophe d’une fusée Soyouz en 2018 ont été particulièrement marquants.

Le « ticket d’entrée » de l’espace semble s’être abaissé. Si les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe en sont les acteurs majeurs, de nombreux autres États disposent aujourd’hui de la capacité d’accès à l’espace (Inde, Iran, Corée du Sud et du Nord, Japon, Israël). 55 pays possèdent des satellites.

Malgré leur volontarisme, les acteurs historiques de la conquête spatiale que sont l’Europe et la Russie ne parviennent pas à mobiliser autour de projets véritablement fédérateurs, à l’inverse des États-Unis qui dominent largement l’espace.

D. La prééminence toujours incontestée des États-Unis.

Malgré les bouleversements récents, les États-Unis restent les maitres incontestés de l’espace.

Les États-Unis possèdent une véritable ambition spatiale. Ils souhaitent notamment installer un avant-poste en orbite lunaire pour se lancer à la conquête de Mars. Les Américains sont sans conteste la première puissance spatiale : ils possèdent 800 satellites actifs (50 % du total).

Les États-Unis disposent d’une avance technique considérable. Les Américains sont pionniers dans un grand nombre de domaines. Ils possèdent par exemple un mystérieux drone spatial, le X37-B, sujet de nombreuses spéculations.

Ils vont maintenir cette avance grâce à un effort financier inégalé. 70 % des investissements publics pour l’espace sont le fait des États-Unis. Le budget cumulé, civil et militaire, des activités spatiales américaines est de 40 milliards de dollars par an. L’écart avec les autres acteurs va donc continuer à se creuser.

L’émergence de la Chine et du secteur privé constitue donc la modification principale du « paysage » spatial aujourd’hui. Mais d’un point de vue militaire, le bouleversement majeur dans l’espace est que nous pourrions bien être à l’aube de son arsenalisation.  

*

II. L’espace, un nouveau théâtre d’opérations ?

Longtemps considérée comme lointaine, hypothétique et improbable, les conditions sont aujourd’hui réunies pour faire de l’arsenalisation de l’espace une possibilité à court terme.

Longtemps considérée comme lointaine, hypothétique et improbable, les conditions sont aujourd’hui réunies pour faire de l’arsenalisation de l’espace une possibilité à court terme.

A. Différence entre militarisation et arsenalisation

La militarisation de l’espace est un fait établi depuis longtemps, qui diffère de l’arsenalisation que l’on voit poindre aujourd’hui, et que la communauté internationale a tenté d’empêcher.

La militarisation de l’espace est l’utilisation de moyens placés dans l’espace en appui des opérations militaires. Les satellites d’observation et de télécommunication sont des instruments très utilisés qui témoignent de la militarisation de l’espace. Aujourd’hui, les opérations militaires sont même dépendantes de l’espace, pour le renseignement et les télécommunications. Par exemple lors de l’opération Harmattan, les télécommunications entre la métropole et le poste de commandement en mer passaient par satellite.

La militarisation de l’espace est consubstantielle à la conquête spatiale. En effet dès les années 60, pendant la guerre froide, la mise en place de satellites d’observation permettait de surveiller en toute impunité le territoire de l’adversaire.

L’arsenalisation est la mise en place d’armes en orbite, indissociable de la perception de l’espace comme milieu d’affrontement. La communauté internationale a fait plusieurs tentatives pour l’interdire. Par exemple, le traité de 1967 sur l’espace exoatmosphérique comporte des mesures relatives à l’utilisation pacifique de l’espace et interdit la mise en orbite ou le test d’armes nucléaires dans l’espace.

L’espace est donc déjà militarisé, même s’il n’est pas encore un lieu d’affrontement physique ou de positionnement d’armement. L’environnement juridique censé empêcher son arsenalisation est très fragile.

B. Un environnement juridique permissif

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les traités internationaux permettent l’arsenalisation de l’espace.

Le traité international sur l’exploration et l’utilisation de l’espace exoatmosphérique de 1967 permet l’arsenalisation de l’espace. En effet s’il proscrit les armes nucléaires en orbite, il n’interdit pas le placement dans l’espace d’autres types d’armes. Enfin, le transit d’armes nucléaires dans l’espace n’est pas interdit.

Le retrait des États-Unis du traité ABM (pour Anti-Ballistic Missile) de 1972 permet d’envisager l’espace comme une partie du bouclier antimissile américain. En effet, ce traité interdisait formellement le déploiement d’armes ABM dans l’espace.

L’architecture juridique de l’espace permet donc son arsenalisation. Or, le niveau technologique atteint par les puissances spatiales pourrait permettre à court terme l’installation d’armes dans l’espace, et sa transformation en milieu d’affrontement. 

C. À l’aube de ruptures technologiques ?

Les avancées technologiques récentes laissent présager une arsenalisation de l’espace qui pourrait avoir lieu sur le court terme.

La Chine et les États-Unis ont démontré qu’elles avaient des capacités antisatellites. En 2007, la Chine a détruit un de ses satellites météo avec un missile balistique. Les États-Unis ont répliqué en 2008 en détruisant un de leurs satellites d’observation, également grâce à un missile. Le problème est que la destruction d’un satellite génère des milliers de débris qui peuvent endommager les autres objets en orbite (dont la majeure partie est américaine). 

La Russie est proche du développement d’une arme spatiale. Ainsi le SS-28 Sarmat, un missile balistique, qui peut frapper toute cible sur le globe après une orbite presque complète. De plus, certains de ses satellites sont capables de manœuvrer et d’aborder d’autres objets en orbite.

Les États-Unis ont pris une avance considérable. Le programme X37B, un drone spatial, intrigue les observateurs. Il pourrait servir de plateforme de combat. En outre, dans un contexte de retour de l’espace militaire dans la grande stratégie américaine, Donald Trump a décidé de la création de la Space force. Elle regroupe au sein d’un commandement unique les unités militaires américaines qui surveillent l’espace et y agissent. Elle se met en place pas à pas. Washington maintient une présence dans les discussions internationales, tout en investissant dans des projets de recherche qui pourraient aboutir à des armes spatiales ou antisatellites, tout comme le fait la Chine. L’enjeu pour les Américains est surtout la protection de leurs moyens spatiaux. En effet, ce sont ceux qui en possèdent le plus, et qui par voie de conséquence en sont les plus dépendants.

Nous pourrions donc bien être à l’aube de l’arsenalisation de l’espace, et en tout état de cause les grandes puissances se préparent à des affrontements dans ce milieu.

Dans ce terrain de jeu pour titans, quelle place pour la France ?

*

III. La France, « un État spatial puissant » ?

La France, « un État spatial puissant » ?

La France dispose d’une capacité spatiale limitée, mais autonome, qui peine toutefois à s’ouvrir de véritables perspectives dans le contexte de l’arsenalisation de l’espace.

A. Les principes

La politique spatiale française repose sur 3 principes : libre accès à l’espace pour une utilisation pacifique ; préservation de la sécurité et de l’intégrité des satellites dans l’espace ; respect du droit à la légitime défense des États.

La France est opposée à l’arsenalisation de l’espace et à toute initiative qui pourrait relancer la course aux armements dans l’espace. Ainsi, elle est partie au traité sur l’espace de 1967 et respecte implicitement le traité ABM de 1972.

Elle privilégie cependant les mesures de confiance et de transparence à un instrument juridique d’interdiction contraignant, aujourd’hui quasiment impossible à mettre en place. Elle maintient ainsi sa présence dans toutes les discussions concernant l’espace aux Nations Unies.

Sur ses principes s’articulent des capacités bien réelles, même si elles ne peuvent égaler celles des États-Unis ou de la Chine.

B. Une capacité CIVILE ET MILITAIRE, limitée, mais autonome.

La France dispose de véritables capacités autonomes, mais limitées dans le domaine spatial militaire.

Les capacités budgétaires de la France sont limitées. La loi de programmation militaire de 2019 a consacré 3,6 milliards d’euros sur 5 ans. La participation française à l’ESA est de 1,3 milliard d’euros en 2020.

Sur le plan militaire, elle dispose toutefois d’une gamme complète de satellites et de la capacité d’appréciation de situation spatiale : satellites d’observation (CSO, Composante spatiale optique), de télécommunication (Syracuse IV), de ROEM (CERES, en cours de lancement). Elle possède également un commandement unifié de l’espace, le Commandement Interarmées de l’Espace. Il s’appuie sur le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS). Ce dernier a pour fonction de fournir une appréciation très précise de la situation dans l’espace. Il peut également repérer les satellites-espions. Cette capacité d’appréciation de la situation spatiale est unique en Europe.

En dernière analyse, la France est le leader européen dans l’accès à l’espace. Les industriels français possèdent une part prépondérante dans la conception et la fabrication d’Ariane 5. Les lanceurs Ariane et Véga sont tirés depuis Kourou. Enfin, elle est en 2020 le 1er contributeur à l’ESA, avec une participation à hauteur de 26 % du budget total. Elle se pense comme une puissance spatiale militaire : en 2019 elle a présenté sa Stratégie spatiale de Défense.

Si on ne peut la comparer aux États-Unis ou à la Chine, la France est donc un État spatial puissant. Mais le sera-t-elle encore plus grâce à une « Europe spatiale forte » ?

C. Compenser les contraintes budgétaires par la coopération européenne ?

La coopération européenne aura du mal à faire figure de solution aux problèmes budgétaires français, surtout pour développer des capacités militaires dans l’espace.

Il est difficile d’envisager la compensation des difficultés budgétaires françaises par une coopération européenne qui reste peu opérante. Malgré un budget de 6,6 milliards d’euros par an (le 3e mondial), l’agence spatiale européenne (N. B. : qui n’est pas un organe de l’Union européenne) ne propose aucun grand projet fédérateur, si ce n’est le renouvellement des lanceurs Ariane. De plus, elle n’intervient que dans l’activité spatiale civile. Quant à elle, l’UE possède bien un centre satellitaire pour soutenir ses opérations militaires, mais comme il ne possède aucun capteur, il doit acheter ses images à des sociétés privées ou se les faire fournir par les États.

L’absence d’ambition partagée ne permet pas de développer en coopération des moyens spatiaux militaires et des capacités permettant leur protection. En effet, l’Europe de la défense manque encore de contenu. Qui plus est, aucune ambition n’est affichée dans le domaine spatial militaire, hormis des coopérations limitées telles que le partage de l’accès aux données des satellites d’observation.

Si dans l’Europe point de salut, quelles sont les possibilités offertes à la France pour rester cet « État spatial puissant » ? 

D. Quelles perspectives ?

Il existe 3 pistes d’approche pour la maintenir l’excellence spatiale française.

a. Maintenir notre crédibilité

  • Ne pas se laisser imposer des mesures juridiquement contraignantes. La France doit participer au bon niveau à la préparation des échéances internationales.
  • Maintenir le savoir-faire. Poursuivre le développement de lanceurs et de satellites.
  • Maintenir la crédibilité du dispositif en renouvelant les satellites d’observation et de télécommunication.

b. Renforcer nos capacités

  • Développer des mesures de défense passive et des dispositifs de détection d’agression embarqués. Cela doit permettre de détecter et d’attribuer d’éventuelles agressions.
  • Participer à des partenariats technologiques de bon niveau avec les États-Unis et les partenaires européens qui le souhaitent tout en préservant notre autonomie d’accès au service. Par exemple, pour développer des satellites miniatures « en essaim », ou un drone spatial.

c. Développer des mesures actives

  • Lancer des études sur les capacités de prévention active. Par exemple sur la capacité de récupération les débris spatiaux ou de réparation des satellites par des moyens automatisés ou télécommandés.
  • Lancer des études sur des capacités de défense actives comme les armes antisatellites, en recherchant des synergies avec l’OTAN.

* *

Si de nouveaux venus ont fait leur apparition dans le « grand jeu » spatial, le principal bouleversement à venir pourrait bien être la transformation d’un milieu sanctuarisé en un espace de conflit. Dans cet environnement spatial toujours plus concurrentiel, ni la France ni l’Europe ne semblent en position de faire face à une rupture technologique majeure qui conduirait à son arsenalisation. Finalement, malgré l’abaissement du « ticket d’entrée », l’espace restera la cour des grands qu’il n’a jamais cessé d’être.

Derrière l’espace et ses perspectives stratégiques, se cache en fait la véritable question, celle de la puissance. Les Européens, fatigués et désunis, sont sans en avoir conscience confrontés au dilemme suivant : se donner les moyens de la puissance ou se voir dominer par de grands pays plus enthousiastes. Force est de constater que la réponse de la France n’est pas celle de l’Europe, qui, bien que nous en soyons persuadés, ne s’écrit toujours pas avec un grand « F ».

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Voir aussi Faut-il réindustrialiser la France ?

LA COOPÉRATION DE DÉFENSE FRANCO-BRITANNIQUE

La coopération de défense franco-britannique est très dynamique depuis les accords de Lancaster House en 2010. Cependant, alors qu’il avait initialement été développé par la France et le Royaume-Uni, le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) a dû être relancé dans une dynamique franco-allemande. Aujourd’hui la réalisation du Brexit ajoute une inconnue supplémentaire.

La coopération de défense franco-britannique est-elle à l’épreuve du Brexit ?

Comme les relations de défense entre les deux pays passent peu par l’UE, le Brexit ne devrait pas influer à court terme sur la relation de défense franco-britannique. Néanmoins, à long terme, les deux pays pourraient s’éloigner. En effet, leurs horizons stratégiques pourraient s’avérer différents.

Une coopération de défense franco-britannique profondément ancrée entre deux partenaires de longue date.

La coopération de défense franco-britannique peut s’appuyer sur une amitié de longue date entre les deux nations et sur des cultures militaires très proches.

La coopération de défense franco-britannique est formalisée par des traités depuis plus d’un siècle. L’entente cordiale de 1904 était déjà un traité d’alliance défensive. Après la Deuxième Guerre mondiale, en 1947, la solidarité franco-britannique a été réaffirmée dans le traité de Dunkerque. Plus récemment, en 1998, grâce à la déclaration de Saint-Malo, la France et le Royaume-Uni se rapprochent un peu plus sous l’égide de l’UE.

La coopération opérationnelle existe elle aussi de longue date. Les deux pays ont combattu côte à côte dans les deux guerres mondiales, ainsi qu’à Suez. En 1992 est créée la commission nucléaire conjointe, puis en 1994 c’est un groupe aérien conjoint qui voit le jour.

Les deux pays ont des cultures militaires très proches. Ils disposent de l’arme nucléaire, sont membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, possèdent des armées de taille équivalente (150 000 militaires outre-Manche) avec une culture de la projection de force (même si depuis l’intervention en Irak, le parlement britannique est réticent à envoyer des troupes outre-mer). Ils entretiennent aussi tous deux une Base Industrielle et Technologique de Défense puissante.

Leurs intérêts convergent. Face au terrorisme islamiste d’une part (attentats de Londres en 2005 et 2017 et de Paris en 2015), mais aussi en tant que leaders européens de la défense, car les deux pays représentent à eux seuls 50 % des dépenses militaires de l’UE, et 80 % de sa Recherche et Développement. Ils font face à des défis communs, tels que la quête de puissance de la Russie ou de l’Iran.

Le traité de Lancaster House est venu renforcer cette amitié de longue date.

Les accords de Lancaster House, à la base d’une coopération bilatérale solide.

Signé en 2010, le traité de Lancaster House a posé les bases de la coopération bilatérale future entre la France et le Royaume-Uni. Il possède plusieurs aspects.

Volet capacitaire

Paris et Londres ont pour ambition de développer un certain nombre de systèmes d’armes en commun, comme le Système de Lutte Anti-Mines du Futur, qui devrait être un système de drones de surface et sous-marins, ou le développement d’un drone commun (aujourd’hui à l’arrêt).

La CJEF

Le traité pose les bases d’une Force Interarmées Expéditionnaire Conjointe, la CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Les deux nations doivent pouvoir déployer en commun une force ad hoc de 10 000 hommes sur court préavis, composée d’au moins 2 GTIA, un groupe naval, une escadre aérienne et des éléments logistiques avec leurs éléments de commandement de tous niveaux, afin de mener des opérations de haute intensité. Elle devrait être pleinement opérationnelle en 2020, mais n’a jamais été utilisée.

Volet industriel

MBDA est un missilier franco-britannique. La stratégie One MBDA vise à accroître l’intégration des parties française et britannique de l’entreprise, ainsi qu’à créer des pôles d’excellence des deux côtés de la Manche. MBDA est chargé de développer le Missile Antinavire Léger et le Futur Missile de Croisière qui devraient équiper les armées françaises.

Volet nucléaire

Paris et Londres partagent leurs installations de simulation d’essais nucléaires, notamment le site de Valduc. Un site de simulation commun devrait voir le jour au Royaume-Uni. L’économie espérée n’est cependant que de 40 millions d’euros par an.

Toutefois, la dissuasion britannique demeure dépendante des États-Unis, car les missiles utilisés par Londres sont américains (les têtes et les sous-marins, en revanche, sont britanniques) et les sous-marins doivent faire des escales régulières aux États-Unis pour faire entretenir ou changer leurs lanceurs. Si elle n’a pas besoin de l’accord de Washington pour faire feu, la dépendance de la dissuasion britannique envers les USA rend Londres vulnérable à des pressions politiques au sujet du renouvellement des missiles.

UNE coopération opérationnelle solide

Les deux pays ont mené des opérations conjointes en Libye. En Estonie la France a déployé un SGTIA sous commandement britannique, à Barkhane les Anglais ont engagé des Chinooks. 60 officiers britanniques sont insérés dans les structures militaires françaises. Par exemple, un des officiers mécaniciens du porte-avions CDG est britannique.

La coopération bilatérale franco-britannique de défense est donc très développée et dynamique. Cependant, cette relation est enchâssée dans des relations multilatérales plus complexes.


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Des relations multilatérales plus complexes

La relation de défense franco-britannique passe aussi par des logiques multilatérales, qui ne sont pas exemptes d’ambiguïtés.

L’OTAN est aussi un lieu de coopération

L’interopérabilité des deux armées, nécessaire à la CJEF, passe par l’OTAN. C’est l’Alliance qui uniformise les procédures. Or, les Britanniques considèrent que leur défense et celle de l’Europe passent en priorité par l’OTAN. La coopération bilatérale s’articule donc autour de cet élément clef, et doit éviter de faire doublon avec l’Alliance atlantique.

L’Union européenne

Les relations de défense entre les deux pays passaient aussi par l’UE, mais dans une moindre mesure. Depuis la déclaration de Saint-Malo en 1998, les Britanniques ont accepté de participer à l’Europe de la défense. Le Royaume uni prend part au Comité Militaire de l’UE, et un général britannique a commandé l’État-Major de l’UE. Le pays a participé à l’état-major d’Eufor RDC, d’Eufor Tchad, et Atalante. Les Britanniques ne sont cependant pas partie à la Coopération Structurée Permanente (CSP).

Coopérations hors UE

Les Britanniques sont également insérés avec la France dans des coopérations multilatérales européennes hors UE. Par exemple, le Royaume-Uni est un membre fondateur de l’Organisation de coopération conjointe en matière d’armement (OCCAR). Ainsi, il a participé avec la France au développement de l’A400M ou du radar Cobra. Aujourd’hui, le SLAMF est développé via l’OCCAR. Enfin, la participation à l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI), lancée par la France, est le symbole de la volonté britannique de continuer à concourir à la sécurité de l’Europe même après le Brexit.

Les relations bilatérales et multilatérales entre la France et le Royaume-Uni sont donc solidement enchevêtrées. Cependant, le Brexit pourrait les affecter à long terme.

Le Brexit : pas d’effets à court terme, mais un éloignement progressif possible.

Si à court terme le Brexit ne devrait pas influer sur la relation de défense franco-britannique, à long terme les deux pays pourraient s’éloigner, car leurs horizons stratégiques sont différents.

La coopération bilatérale devrait rester stable

L’essentiel de la coopération étant bilatéral, le Brexit devrait avoir peu d’effets. Par exemple, en juin 2019, la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a reçu ses homologues du Parlement britannique pour réaffirmer l’importance de la coopération de défense malgré le Brexit.

L’inconnue économique

L’impact financier du Brexit sur les accords de coopération est un sujet d’inquiétude. En effet, le Royaume-Uni a dû créer une réserve budgétaire pour faire face aux conséquences du Brexit. En 2018, le gouvernement a refusé une rallonge demandée par la défense. De plus, le coût du Brexit a été estimé à plusieurs milliards d’euros (entre 1 et 7 points de PIB). Néanmoins, en 2019, le budget de la défense britannique a augmenté de 2 milliards de Livres.

Des horizons différents

Le partenaire majeur des Britanniques pour leur défense sont les États-Unis, et leur architecture clef l’OTAN. Or, la France est davantage tournée vers l’Europe et pousse le développement de l’Europe de la défense avec l’IEI. Dans ce contexte, sur le long terme, les deux pays pourraient s’éloigner, le Royaume-Uni se consacrant davantage au special relationship et la France renforçant sa relation de défense avec l’Allemagne dans un contexte européen.

Des propositions pour approfondir la coopération de défense franco-britannique malgré le Brexit (issues d’un rapport de l’institut Montaigne) existent. Il serait possible de créer un conseil franco-britannique annuel de défense et de sécurité, pour renforcer le dialogue entre les deux côtés de la Manche, puisque les Britanniques ne participeront plus aux discussions au sein du Conseil européen. Actuellement, seuls les chefs de gouvernement et les ministres de la Défense des deux pays se réunissent une fois par an. Il serait également souhaitable de mettre en place un cadre formel de partage du renseignement. 

*

La relation de défense franco-britannique est donc forte, essentiellement bilatérale, tout en prenant aussi place au sein d’institutions multilatérales. Le fait que le Royaume-Uni quitte l’UE ne devrait que peu l’affecter à court terme, mais sur le long terme, même si le Brexit ne changera pas la géographie, les horizons très différents des deux pays, l’un tourné vers les États-Unis et l’autre vers l’Europe, pourraient conduire à un relâchement de cette coopération.

La capacité de la France à amorcer une dynamique de défense en Europe et surtout la volonté allemande d’y participer influeront donc beaucoup sur le futur de la relation franco-britannique de défense.

Les Associations Professionnelles Nationales Militaires

Les Associations Professionnelles Nationales Militaires, ou APNM, sont un appui au commandement pour défendre la condition militaire.

Les Associations Professionnelles Nationales Militaires, ou APNM, sont un appui au commandement pour défendre la condition militaire.

Le développement des Associations professionnelles nationales militaires est un processus récent et bien encadré

Le développement des APNM est un processus récent. L’origine de leur création ne remonte qu’à 2014 avec l’arrêt Matelly de la CEDH, qui condamne la France à ouvrir aux militaires le droit de constituer des associations professionnelles.

Il en existe neuf : ANM XXI, APPRODEF, APNM Marine, APNAir, AP3M, GEND XXI, Gendarmes et citoyens, APNM Commissariat, France Armement (DGA). L’Union APNM fédère six d’entre elles.

Leur existence est encadrée par le code de la défense. Elles doivent être composées de militaires exclusivement. Elles sont indépendantes de tout parti politique, ou religieux, et ne peuvent créer de fédérations qu’entre elles. Enfin, elles ne sont pas des syndicats, qui sont un objet juridique bien précis régi par le code du travail.

Les APNM ont vocation à compléter la concertation

La concertation possède ses limites. En effet, elle est soumise à la hiérarchie militaire et au politique. Ainsi, les effets de Louvois ont mis plusieurs années avant d’être jugulés. De même, le plan famille ne peut pas être critiqué, même s’il manque d’ambition.

Les APNM n’ont pas vocation à intervenir dans le domaine du commandement. Elles ont vocation à défendre la condition militaire. C’est leur seul objet, qui est inscrit dans le code de la défense. Elles ne se substituent donc pas au commandement ni à la concertation qui continuera à jouer son rôle dans les unités.

Le lieu privilégié de leur expression devrait être le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire (CSFM). Il leur est réservé 16 sièges sur 61. Elles peuvent toutefois aussi agir en justice, être entendue par les parlementaires ou se faire entendre auprès de l’opinion publique, tout en respectant le devoir de réserve.

Le parcours du combattant des APNM

Les Associations professionnelles nationales militaires doivent être « représentatives ». Pour siéger au CSFM, une APNM doit regrouper 5 % des effectifs de l’armée, direction, ou service correspondant, mais aussi 2 % des officiers de l’armée considérée, 2 % des sous-officiers et 1 % des MDR. La fédération « Union APNM » permet cette représentativité.

Les APNM ont une portée structurellement limitée. Seuls les militaires peuvent adhérer aux APNM. Leurs membres sont donc soumis au devoir de réserve. Certes, les généraux en deuxième section pourront se faire davantage entendre, mais globalement, la capacité d’expression des APNM est réduite.

Les militaires devront donc continuer à faire entendre leur voix par le biais de subterfuges, comme avec l’association nationales des femmes de militaires.

Les Associations professionnelles nationales militaires, qui ne sont pas des syndicats, sont donc de nouveaux acteurs de la concertation au sein des armées, mais leur pouvoir et structurellement limité.

Voir aussi la coopération de défense franco-britannique.

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