Après plusieurs décennies de désindustrialisation, un mouvement de relocalisation de l’industrie semble s’amorcer. Le coq sportif ou Lacoste ont relocalisé leurs sièges près de Troyes. Toutefois, ce phénomène reste minoritaire. Or, l’industrie demeure selon certains le moteur de toute économie, car elle se trouve à la base de la production de richesse et propose un grand nombre d’emplois peu qualifiés, notamment en dehors des grandes villes, dans la « France périphérique ». Recréer de l’emploi peu qualifié et productif hors des métropoles passera-t-il par la réindustrialisation ?
Le retour d’emplois peu qualifiés en dehors des métropoles est une nécessité économique et politique qui ne pourra pas passer par une réindustrialisation à l’identique et nécessitera une forte implication de l’État.
Définition de l’industrie : toute activité, caractérisée par la mécanisation des moyens de travail (ce qui permet d’inclure l’industrie agroalimentaire), qui a pour objet l’exploitation des sources d’énergie ou des ressources naturelles, ainsi que la production de bien à partir de matières premières ou transformées.
Le terme désigne aussi tout secteur d’activité organisé, comme l’industrie du tourisme. Mais nous ne retiendrons pas cette définition étendue.
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La désindustrialisation est un handicap économique et politique
La désindustrialisation de la France est à l’origine de difficultés économiques et de fractures politiques.
Elle est une réalité. L’industrie a perdu 2 millions d’emplois entre 1980 et 2017. Entre 1974 et 2020, la part industrie dans le PIB est passée de 25 % à environ 13 %. Cela représente l’un des plus bas niveaux de l’Union Européenne.
La désindustrialisation mène au déficit de la balance commerciale. La balance commerciale positive des services ne compense pas la balance commerciale négative de des biens manufacturés (chiffres de 2020). Traditionnellement, on considère que l’industrie produit de la richesse sur laquelle se développent les services.
Elle hypothèque l’autonomie stratégique de la France. Le sujet a fait la une de l’actualité lors de la vente de la branche énergie d’Alstom en 2014. Le pays ne possédait alors plus la capacité de produire les turbines à vapeur qui équipent les centrales nucléaires. La crise du Covid-19 a ensuite mis en évidence que la France n’avait plus la capacité à produire les équipements qui lui sont indispensables. Elle n’a pu fabriquer des masques ou des respirateurs en quantité suffisante. De plus, les molécules indispensables à la production de médicaments de base doivent être importées de Chine ou d’Inde. La désindustrialisation prive la France de capacités de production vitales.
Elle mène à des fractures politiques. La véritable question est la disparition d’emplois peu qualifiés hors des grandes villes. En effet, Christophe Guilluy dans La France périphérique montre comment la crise de 2008 a accentué la désindustrialisation, qui prive de leur emploi des personnes peu qualifiées, mais propriétaires de leur logement, les emprisonnant ainsi dans des territoires peu dynamiques sans espoir d’ascension sociale.
La désindustrialisation est donc bien un handicap, qui ne pourra cependant pas être compensé par une réindustrialisation imitant un modèle passé.
Une réindustrialisation sur un modèle traditionnel est impossible
Le modèle industriel des trente glorieuses ne pourra pas être imité, et celui du tout technologique ne répond pas au problème français.
Une réindustrialisation high-tech ne résoudra rien. Le modèle japonais de robotisation ou celui de l’innovation de la Silicon Valley ne résoudraient rien. Il ne s’agit pas simplement de produire ou d’innover, mais de donner des emplois industriels aux moins qualifiés.C’est en fait un enjeu autant politique qu’économique.
Son coût écologique rendrait l’industrialisation à l’identique difficilement acceptable. L’industrie utilise massivement les ressources naturelles et l’énergie. L’industrialisation forcenée des 30 dernières années à l’échelle mondiale est en grande partie responsable du rythme du réchauffement climatique. Il se pourrait qu’une volonté politique de réindustrialiser le pays se heurte à des réticences de la société civile… en particulier dans les métropoles.
Dans ce cadre, il faut inventer de nouveaux modèles économiques qui allient utilisation modeste de ressources, travail peu qualifié et implantation dans des bassins de consommation. L’essor des énergies renouvelables pourrait créer des centaines de milliers d’emplois (mais se révèle très gourmand en terres rares… donc très polluant). Le développement des écomatériaux, la réhabilitation thermique des bâtiments ou la dépollution pourrait représenter une solution alternative. Ainsi, la France parie depuis peu sur la filière hydrogène pour soutenir l’innovation et réindustrialiser certains territoires.
Quel que soit le modèle retenu pour recréer de l’emploi peu qualifié en dehors des métropoles, sa mise en place ne passera pas par le marché qui a montré son incapacité dans ce domaine, mais par une action volontariste de l’État.
Le rôle de l’Etat
Les nouveaux modèles d’industrie ne pourront se développer face au marché, car ils nécessiteront d’accepter une baisse de rentabilité.
Les lois du marché ont démontré leur incapacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux en France. Pire, elles sont le problème. En effet, selon le modèle d’inclusion de la France dans le marché-monde, seuls les emplois hyper qualifiés dans des métropoles hyper connectées s’y montrent véritablement compétitifs. Les ouvriers peu qualifiés se trouvent mis en concurrence avec les travailleurs des pays en développement aux salaires peu élevés. Ainsi en 2010, les employés de l’usine Continental de Clairoix se sont vus proposer une solution de reclassement en Tunisie pour 137 euros par mois.
L’État peut pousser les innovations. Le secteur privé n’est pas le seul à innover. L’impulsion politique et le soutien de l’État sont primordiaux. Le GPS est à l’origine un programme militaire, Internet est le produit de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), les écrans tactiles étaient un projet financé par la CIA. L’État possède en effet la capacité à assumer des risques, comme l’a montré le projet Gallileo, dans lequel les États européens ont dû investir en lieu et place du privé qui refusait un risque trop grand pour des perspectives de bénéfices trop maigres.
La constitution de « champions ». Le soutien de l’État permet de constituer champions nationaux. Par exemple, dans les 30 glorieuses le TGV, Ariane ou Airbus. Aujourd’hui, il est au cœur de la bonne santé du secteur de l’industrie de défense. À l’inverse, son retrait mène au démembrement d’entreprises clefs, comme Alstom dont la branche énergie a été rachetée par GE en 2014. La production des turbines nucléaires Arabelle a été rachetée depuis.
Un protectionnisme éclairé parait en outre nécessaire, contre les produits ne respectant pas nos normes sociales, pour la protection des industries vitales (communications, défense) et pour préserver un certain nombre d’activité des marchés financiers et de leur recherche de la rentabilité maximale à court terme.
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La réindustrialisation est donc nécessaire à la cohésion de la France. Sans cela, le pays pourrait se scinder toujours plus entre métropoles dynamiques et territoires abandonnés. Nous devrons inventer un nouveau modèle économique. Il devra allier utilisation modeste de ressources, travail peu qualifié et implantation dans des bassins de consommation. Des solutions existent, mais les mettre en œuvre suppose un volontarisme politique fort.
L’évolution des luttes politiques, qui tendent, à l’imitation des pays anglo-saxons, à privilégier le sociétal par rapport au social, pourraient empêcher de percevoir la nécessité de cet effort, en délaissant une lutte des classes bien réelle au profit d’une lutte des races plus qu’hypothétique mais sans danger pour le consensus néolibéral.
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Voir aussi L’extraterritorialité du droit américain.