L’école française est-elle encore républicaine ?

Accusée de perpétuer les inégalités sociales ou d’être impossible à réformer, l’école française subit un certain nombre d’attaques et de tensions. Or, elle est au centre du projet républicain.

Le modèle de l’école républicaine française est-elle à la hauteur des attentes que la nation met en elle ?

Malgré ses difficultés, l’école française demeure profondément républicaine.

Des perspectives aussi sombres qu’un tableau noir pour l’école républicaine ?

I. Un idéal : former le citoyen.

L’école possède une place fondatrice dans l’idéal républicain. Elle est régie par des principes clairs issus des lois scolaires de la fin du XIXe siècle (lois Ferry, 1881 – 82).

L’instruction est obligatoire, gratuite et universelle. Dans les lois Ferry, l’instruction est obligatoire de 6 à 13 ans, pour les garçons comme pour les filles. Ce n’est pas l’école qui est obligatoire, c’est l’instruction, qui peut être donnée au domicile ou à l’église. De fait, le jeudi était laissé libre pour que les enfants puissent aller au catéchisme. Mais l’école publique est devenue gratuite et universelle.

L’école est un instrument de l’unité de la république. Au XIXe siècle, elle était le principal facteur de nationalisation de la société. L’enseignement dans l’école publique est laïque et en langue française. L’usage des langues locales est interdit. Aujourd’hui, la mission de l’école est toujours de transmettre les connaissances, mais aussi les valeurs de la république. 

Plus récemment, l’école a reçu la mission de corriger les inégalités sociales, ou plutôt de favoriser l’égalité des chances. En 1981, le gouvernement créée les ZEP pour donner plus de moyens aux secteurs en difficulté (appellation de 2014 : REP, Réseaux d’Éducation Prioritaires, ou RAP, Réseaux Ambition Réussite, RRS, Réseaux de Réussite Scolaire).

Mais cet idéal républicain est aujourd’hui mis en tension parce que l’école ne parvient pas à diminuer les inégalités sociales.

II. La diminution des inégalités sociales : mission impossible.

Cette mission de réduction des inégalités sociales est une mission que l’école ne peut accomplir.

L’école française ne parvient pas à ne pas reproduire les inégalités sociales. Le classement PISA de 2016 révèle que l’école française est celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus dans les résultats. (Classement PISA : tous les 3 ans, mesure les résultats d’élèves de 15 ans dans 70 pays. La France est environ 26e). Selon une étude de l’INSEE menée entre 1982 et 1992, la création des ZEP n’a eu aucun effet.

En effet, le système français est très élitiste. Les grandes écoles ont l’ambition de former l’élite de la nation. On consacre aux étudiants des CPGE 15 000 euros par an et par élève, contre 10 000 pour l’université. On y retrouve une grande proportion d’étudiants venus des classes les plus favorisées. Les concours des grandes écoles valorisent les savoirs acquis hors milieu scolaire, par exemple avec les épreuves de culture générale qui favorisent la culture des classes dominantes. Enfin, les élèves doivent choisir leurs options de plus en plus tôt, ce qui contribue à la reproduction des inégalités sociales.

En dernière analyse, l’école est le moyen des classes dominantes pour pérenniser leur domination. Elle ne peut donc pas réduire les inégalités sociales — seule la loi le peut, lorsqu’elle agit dans la sphère économique, et par l’impôt. Les classes dominantes possèdent une connaissance intime du système. Elles l’ont pratiqué puis modelé. Elles peuvent donc mettre en œuvre des stratégies de réussite scolaire pour leurs enfants. Par exemple, les différentes couches de la société ont l’impression d’être « à leur place » dans les filières qui correspondent à la reproduction de leur statut. Enfin, tous les diplômes ne se valent pas. Un BAC +5 ne mène pas aux mêmes perspectives qu’il soit en arts ou de HEC (qui est privé). Ainsi la réussite scolaire n’est pas en soi un vecteur de réussite sociale.

En parallèle de l’incapacité de l’école à réduire les inégalités sociales, son universalisme est contesté.

III. Un universalisme en tension, mais toujours valide.

L’universalité de l’instruction est aujourd’hui mise en tension, par l’enseignement privé, les élèves déscolarisés, et les enseignements en langue locale, mais elle reste opérante.

S’il est incompatible avec la notion d’égalité, l’enseignement privé est compatible avec la laïcité et ne met donc pas en péril l’idéal républicain de l’école. Près de 20 % des élèves français sont scolarisés dans le privé. Le statut de l’école privée date des lois Debré de 1959. Les 7500 établissements privés sous contrat suivent les programmes de l’éducation nationale. Les établissements confessionnels doivent accepter les élèves de toutes religions. C’est l’État qui rémunère les enseignants. Des cours de religion peuvent être proposés en plus des cours obligatoires. Les 1300 établissements d’enseignement privés hors contrat (dont 300 établissements confessionnels) eux ne sont tenus d’enseigner qu’un socle de connaissance. L’enseignement privé répond à un besoin : il faut un besoin éducatif avéré pour ouvrir une école privée. En outre, en 1984, 2 millions de personnes sont descendues dans la rue pour défendre l’enseignement privé.

Si le nombre d’enfants non scolarisés est toujours trop important, cela ne signifie pas que l’école a failli à sa mission. Environ 100 000 enfants ne sont pas scolarisés. Il s’agit d’enfants de migrants ou d’exclus. Mais le fait que l’attention se porte sur eux montre une sensibilité plus grande de la société et une plus grande adaptation des pouvoirs publics.

Le développement des enseignements en langue locale, s’il se poursuit, pourra lui menacer l’idéal de l’école républicaine. Il s’agit des écoles en basque, breton, catalan, occitan, alsacien-mosellan, qui scolarisent 15 000 élèves et dont les enseignants sont payés par l’État au titre d’une convention. Ce nombre est en augmentation constante, et les demandes excèdent largement les places disponibles. Même si elles répondent à une demande particulièrement forte, elles pourront contribuer à faire renaître des revendications régionales, qui à l’heure où le rôle central de l’État et le modèle républicain sont contestés par la puissance des multinationales et le multiculturalisme, pourront à terme menacer l’unité de la république. Mais les mentalités en sont plus les mêmes qu’au XIXe siècle, et peut-être l’idéal républicain devra-t-il s’accommoder d’un multilinguisme.

Si l’idéal de l’école républicain est mis en tension, les pouvoirs publics s’efforcent véritablement de faire correspondre l’école à cet idéal.

IV. La poursuite de l’idéal républicain est une réalité.

Les réformes menées ces dernières années tendant à faire se rapprocher l’école de son idéal républicain.

L’État consent un effort important pour l’instruction publique. Le budget du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports est de 75 milliards d’euros (enseignement scolaire et supérieur). Il emploie 1 million de personnes, dont environ 800 000 enseignants. C’est le ministère le mieux doté.

L’école est toujours plus universelle, toujours obligatoire et toujours plus gratuite. Ainsi l’allocation de rentrée scolaire, d’environ 400 euros par enfant, permet d’acheter des fournitures. Depuis 2019, l’instruction est obligatoire de 3 (et non plus 6) à 16 ans. Au total, on compte 6 millions d’élèves dans le 1er degré, 6 millions dans le 2d degré.

L’école est toujours plus inclusive. Les Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS, créés en 2003) et la loi de 2013 sur l’école inclusive permettent aux élèves handicapés d’assister aux cours d’une classe ordinaire. Les enfants de migrants sont eux aussi scolarisés dans le système normal dès qu’ils ont un niveau en français suffisant.

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Si l’école fait face à des tensions quant à sa mission de réduction des inégalités sociales et à son universalisme, force est de constater qu’elle est toujours, et toujours plus républicaine.

La question est de savoir si elle saura le rester face à une idéologie néolibérale dominante qui tend à chercher à privatiser de plus en plus de secteurs de la société, et qui s’accompagne de fortes revendications identitaires comme le note Gilles Dorronsoro dans Le reniement démocratique.

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LA COOPÉRATION DE DÉFENSE FRANCO-BRITANNIQUE

La coopération de défense franco-britannique est très dynamique depuis les accords de Lancaster House en 2010. Cependant, alors qu’il avait initialement été développé par la France et le Royaume-Uni, le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) a dû être relancé dans une dynamique franco-allemande. Aujourd’hui la réalisation du Brexit ajoute une inconnue supplémentaire.

La coopération de défense franco-britannique est-elle à l’épreuve du Brexit ?

Comme les relations de défense entre les deux pays passent peu par l’UE, le Brexit ne devrait pas influer à court terme sur la relation de défense franco-britannique. Néanmoins, à long terme, les deux pays pourraient s’éloigner. En effet, leurs horizons stratégiques pourraient s’avérer différents.

Une coopération de défense franco-britannique profondément ancrée entre deux partenaires de longue date.

La coopération de défense franco-britannique peut s’appuyer sur une amitié de longue date entre les deux nations et sur des cultures militaires très proches.

La coopération de défense franco-britannique est formalisée par des traités depuis plus d’un siècle. L’entente cordiale de 1904 était déjà un traité d’alliance défensive. Après la Deuxième Guerre mondiale, en 1947, la solidarité franco-britannique a été réaffirmée dans le traité de Dunkerque. Plus récemment, en 1998, grâce à la déclaration de Saint-Malo, la France et le Royaume-Uni se rapprochent un peu plus sous l’égide de l’UE.

La coopération opérationnelle existe elle aussi de longue date. Les deux pays ont combattu côte à côte dans les deux guerres mondiales, ainsi qu’à Suez. En 1992 est créée la commission nucléaire conjointe, puis en 1994 c’est un groupe aérien conjoint qui voit le jour.

Les deux pays ont des cultures militaires très proches. Ils disposent de l’arme nucléaire, sont membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, possèdent des armées de taille équivalente (150 000 militaires outre-Manche) avec une culture de la projection de force (même si depuis l’intervention en Irak, le parlement britannique est réticent à envoyer des troupes outre-mer). Ils entretiennent aussi tous deux une Base Industrielle et Technologique de Défense puissante.

Leurs intérêts convergent. Face au terrorisme islamiste d’une part (attentats de Londres en 2005 et 2017 et de Paris en 2015), mais aussi en tant que leaders européens de la défense, car les deux pays représentent à eux seuls 50 % des dépenses militaires de l’UE, et 80 % de sa Recherche et Développement. Ils font face à des défis communs, tels que la quête de puissance de la Russie ou de l’Iran.

Le traité de Lancaster House est venu renforcer cette amitié de longue date.

Les accords de Lancaster House, à la base d’une coopération bilatérale solide.

Signé en 2010, le traité de Lancaster House a posé les bases de la coopération bilatérale future entre la France et le Royaume-Uni. Il possède plusieurs aspects.

Volet capacitaire. Paris et Londres ont pour ambition de développer un certain nombre de systèmes d’armes en commun, comme le Système de Lutte Anti-Mines du Futur, qui devrait être un système de drones de surface et sous-marins, ou le développement d’un drone commun (aujourd’hui à l’arrêt).

La CJEF. Le traité pose les bases d’une Force Interarmées Expéditionnaire Conjointe, la CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Les deux nations doivent pouvoir déployer en commun une force ad hoc de 10 000 hommes sur court préavis, composée d’au moins 2 GTIA, un groupe naval, une escadre aérienne et des éléments logistiques avec leurs éléments de commandement de tous niveaux, afin de mener des opérations de haute intensité. Elle devrait être pleinement opérationnelle en 2020, mais n’a jamais été utilisée.

Volet industriel. MBDA est un missilier franco-britannique. La stratégie One MBDA vise à accroître l’intégration des parties française et britannique de l’entreprise, ainsi qu’à créer des pôles d’excellence des deux côtés de la Manche. MBDA est chargé de développer le Missile Antinavire Léger et le Futur Missile de Croisière qui devraient équiper les armées françaises.

Volet nucléaire. Paris et Londres partagent leurs installations de simulation d’essais nucléaires, notamment le site de Valduc. Un site de simulation commun devrait voir le jour au Royaume-Uni. L’économie espérée n’est cependant que de 40 millions d’euros par an.

Toutefois, la dissuasion britannique demeure dépendante des États-Unis, car les missiles utilisés par Londres sont américains (les têtes et les sous-marins, en revanche, sont britanniques) et les sous-marins doivent faire des escales régulières aux États-Unis pour faire entretenir ou changer leurs lanceurs. Si elle n’a pas besoin de l’accord de Washington pour faire feu, la dépendance de la dissuasion britannique envers les USA rend Londres vulnérable à des pressions politiques au sujet du renouvellement des missiles.

La coopération opérationnelle est solide. Les deux pays ont mené des opérations conjointes en Libye. En Estonie la France a déployé un SGTIA sous commandement britannique, à Barkhane les Anglais ont engagé des Chinooks. 60 officiers britanniques sont insérés dans les structures militaires françaises. Par exemple, un des officiers mécaniciens du porte-avions CDG est britannique.

La coopération bilatérale franco-britannique de défense est donc très développée et dynamique. Cependant, cette relation est enchâssée dans des relations multilatérales plus complexes.


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Des relations multilatérales plus complexes

La relation de défense franco-britannique passe aussi par des logiques multilatérales, qui ne sont pas exemptes d’ambiguïtés.

L’OTAN est aussi un lieu de coopération. L’interopérabilité des deux armées, nécessaire à la CJEF, passe par l’OTAN. C’est l’Alliance qui uniformise les procédures. Or, les Britanniques considèrent que leur défense et celle de l’Europe passent en priorité par l’OTAN. La coopération bilatérale s’articule donc autour de cet élément clef, et doit éviter de faire doublon avec l’Alliance atlantique.

Les relations de défense entre les deux pays passent aussi par l’UE, mais dans une moindre mesure. Depuis la déclaration de Saint-Malo en 1998, les Britanniques ont accepté de participer à l’Europe de la défense. Le Royaume uni prend part au Comité Militaire de l’UE, et un général britannique a commandé l’État-Major de l’UE. Le pays a participé à l’état-major d’Eufor RDC, d’Eufor Tchad, et Atalante. Les Britanniques ne sont cependant pas partie à la Coopération Structurée Permanente (CSP).

Les Britanniques sont également insérés avec la France dans des coopérations multilatérales européennes hors UE. Par exemple, le Royaume-Uni est un membre fondateur de l’Organisation de coopération conjointe en matière d’armement (OCCAR). Ainsi, il a participé avec la France au développement de l’A400M ou du radar Cobra. Aujourd’hui, le SLAMF est développé via l’OCCAR. Enfin, la participation à l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI), lancée par la France, est le symbole de la volonté britannique de continuer à concourir à la sécurité de l’Europe même après le Brexit.

Les relations bilatérales et multilatérales entre la France et le Royaume-Uni sont donc solidement enchevêtrées. Cependant, le Brexit pourrait les affecter à long terme.

Le Brexit : pas d’effets à court terme, mais un éloignement progressif possible.

Si à court terme le Brexit ne devrait pas influer sur la relation de défense franco-britannique, à long terme les deux pays pourraient s’éloigner, car leurs horizons stratégiques sont différents.

La coopération bilatérale devrait rester stable. L’essentiel de la coopération étant bilatéral, le Brexit devrait avoir peu d’effets. Par exemple, en juin 2019, la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a reçu ses homologues du Parlement britannique pour réaffirmer l’importance de la coopération de défense malgré le Brexit.

L’inconnue économique. L’impact financier du Brexit sur les accords de coopération est un sujet d’inquiétude. En effet, le Royaume-Uni a dû créer une réserve budgétaire pour faire face aux conséquences du Brexit. En 2018, le gouvernement a refusé une rallonge demandée par la défense. De plus, le coût du Brexit a été estimé à plusieurs milliards d’euros (entre 1 et 7 points de PIB). Néanmoins, en 2019, le budget de la défense britannique a augmenté de 2 milliards de Livres.

Des horizons différents. Le partenaire majeur des Britanniques pour leur défense sont les États-Unis, et leur architecture clef l’OTAN. Or, la France est davantage tournée vers l’Europe et pousse le développement de l’Europe de la défense avec l’IEI. Dans ce contexte, sur le long terme, les deux pays pourraient s’éloigner, le Royaume-Uni se consacrant davantage au special relationship et la France renforçant sa relation de défense avec l’Allemagne dans un contexte européen.

Des propositions pour approfondir la coopération de défense franco-britannique malgré le Brexit (issues d’un rapport de l’institut Montaigne) existent. Il serait possible de créer un conseil franco-britannique annuel de défense et de sécurité, pour renforcer le dialogue entre les deux côtés de la Manche, puisque les Britanniques ne participeront plus aux discussions au sein du Conseil européen. Actuellement, seuls les chefs de gouvernement et les ministres de la Défense des deux pays se réunissent une fois par an. Il serait également souhaitable de mettre en place un cadre formel de partage du renseignement. 

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La relation de défense franco-britannique est donc forte, essentiellement bilatérale, tout en prenant aussi place au sein d’institutions multilatérales. Le fait que le Royaume-Uni quitte l’UE ne devrait que peu l’affecter à court terme, mais sur le long terme, même si le Brexit ne changera pas la géographie, les horizons très différents des deux pays, l’un tourné vers les États-Unis et l’autre vers l’Europe, pourraient conduire à un relâchement de cette coopération.

La capacité de la France à amorcer une dynamique de défense en Europe et surtout la volonté allemande d’y participer influeront donc beaucoup sur le futur de la relation franco-britannique de défense.