Le commerce favorise-t-il la paix ?

 Le commerce favorise-t-il la paix ? C’est une idée reçue depuis le « doux commerce » de Montesquieu. Toutefois, nous allons voir que c’est plutôt l’inverse.

Le commerce favorise la paix ?

Le commerce favorise la paix : la théorie du doux commerce

Dans De l’esprit des lois, Montesquieu fait le rapprochement entre commerce et paix :

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix »

Montesquieu, de l’esprit des lois

En effet, le commerce favorise la connaissance mutuelle, les voyages, les échanges avec l’autre. En conséquence, il adoucit les mœurs, tant au niveau politique qu’individuel.

« C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces »

Montesquieu, de l’esprit des lois

Il crée également des intérêts mutuels entre les nations. Si les élites commerciales du pays A font des affaires avec celles du pays B (investissements, flux), les dirigeants politiques devraient être moins enclins à briser ces liens par la guerre. En effet, les élites politiques et économiques sont souvent très liées, et la richesse procurée par le commerce bénéficie, dans certains cas, aux deux parties.

Cependant, il se trouve très aisément dans l’histoire des exemples de pays très liés par le commerce qui se sont fait la guerre. Le plus connu est celui de la Première Guerre mondiale. Les échanges entre la France et l’Allemagne étaient très élevés en 1914, ce qui n’a pas empêché le conflit. Il nous faut donc creuser plus profondément pour comprendre les relations entre commerce et guerre.

Commerce, richesse, pouvoir… et guerre

Partons du postulat que le commerce est une source de richesse, qui permet l’accroissement de la puissance de l’État qui le contrôle. Cette richesse permet en effet de construire ou renforcer sa capacité militaire : mettre sur pieds et équiper des armées et des flottes. Sur ce sujet, lire notre article Le système thalassocratique chez Thucydide.

Il est en effet aussi nécessaire de protéger cette source de richesse. Le développement des flottes de guerre va de pair avec celui du commerce. Nous avons déjà parlé de Mélos, qui se voit contrainte d’affronter les Athéniens malgré sa neutralité. Sa position géographique permettrait à quiconque la contrôle de faire peser une menace inacceptable sur le système économique athénien. Aujourd’hui, l’Occident est obligé de protéger par la guerre ses lignes de communication en mer Rouge des attaques houthies.

Ce dernier exemple montre que le commerce peut se transformer en vulnérabilité. Lorsqu’un État devient trop dépendant de son commerce pour ses approvisionnements et sa richesse, ses lignes de communication deviennent une cible. C’est de là que vient la stratégie maritime de la France aux XVIIIe et XIXe siècles. Devant la supériorité des escadres britanniques, la France se rabat sur la guerre de course. Elle cherche à entraver les approvisionnements britanniques, et à faire flamber le prix des assurances (comme aujourd’hui en mer Rouge). Sur ce sujet, lire le chapitre 6 de La Mesure de la force.

Le commerce, un intérêt parmi d’autres : il ne favorise la paix que modestement

Le commerce accroit donc la richesse, les capacités militaires et fournit une vulnérabilité à attaquer. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de l’argument de la dépendance mutuelle, pourtant infirmé par l’expérience historique. Pourquoi ?

La question à se poser est en réalité : existe-t-il des intérêts supérieurs à ceux du commerce, qui pourraient pousser des entités politiques à entrer en guerre malgré des liens commerciaux forts ? Poser la question révèle la vanité de lier commerce et paix. L’intérêt politique demeure supérieur à l’intérêt économique.

Sans passer en revue les causes des guerres, innombrables et toujours singulières, notons simplement qu’il existe de nombreux cas dans lesquels un État aurait intérêt à entrer en guerre contre un autre malgré des liens commerciaux forts.

Ne pas honorer ses alliances possède un coût politique bien plus fort que la destruction temporaire de liens économiques. C’est une petite partie du mécanisme qui mène à la Première Guerre mondiale.

Un rapport de force avec une puissance menaçante sur le point de se renverser. L’Angleterre a longtemps fondé sa politique sur l’équilibre des puissances sur le continent européen.

Opportunité politique : la saisie d’un territoire clef peut amener des gains à long terme très supérieurs aux coûts économiques d’un conflit. C’est le calcul fait, à tort, par Saddam Hussein lorsqu’il envahit le Koweït en 1990.

Enfin, une opposition idéologique marquée n’empêche pas d’entretenir des relations commerciales. Mais ces dernières ne pèseront rien si un conflit se déclenche entre deux entités politiques aux projets politiques incompatibles. C’est le cas de l’expansion de l’Allemagne au début de la Seconde Guerre mondiale.

N.B. Beaucoup d’exemples centrés sur l’Europe et la période contemporaine. N’hésitez pas à noter en commentaire d’autres cas où l’intérêt politique a balayé l’intérêt économique… ou l’inverse.

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Pour conclure, le commerce favorise-t-il la paix ? Non, ou du moins très modestement. Faire du commerce l’agent de la paix revient à lui donner un pouvoir qu’il n’a pas. En effet, le projet politique d’une nation ne se résout pas à entretenir des bonnes relations commerciales avec ses voisins ou compétiteurs. Le commerce et la richesse sont des moyens au service d’une fin politique plus large. C’est en fonction de cette fin politique que sont déclarées les guerres. La profondeur des liens économiques ne peut donc contrebalancer qu’à la marge le poids des données politiques.

Au contraire, par son existence même le commerce favorise la guerre parce qu’il est nécessaire de le protéger contre ses concurrents, ou qu’il fournit à un adversaire une opportunité de peser par la violence sur les décisions politiques d’une nation.

Pour aller plus loin :

Sur Montesquieu : Catherine Larrère, « Montesquieu et le « doux commerce » : un paradigme du libéralisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique.

Sur la stratégie maritime, Hervé Coutau-Bégarie, Traité de Stratégie, Paris, Economica, 2011.