Dans Strategy, Sir Basil Henry Liddell Hart développe la notion d’approche indirecte. Il brosse un panorama de l’histoire militaire de l’antiquité à la Seconde Guerre mondiale, pour démontrer que l’approche indirecte permet des résultats bien plus décisifs pour un coût sensiblement moindre que l’approche directe.
Eviter l’action du fort au fort
Liddell Hart oppose l’approche indirecte, qu’il entend défendre, à l’attaque directe de l’armée ennemie, dont il fait de Clausewitz le principal apôtre. En effet, dans une approche du fort au fort, même en cas de victoire, il est probable que le vainqueur ne soit plus en mesure d’exploiter son succès.
Il utilise, entre autres exemples, la bataille de Malplaquet. En 1709, les Français sont aux abois ; la supériorité numérique des coalisés (Angleterre, Autriche, Hollande) est très importante. De ce fait, Marlborough et le prince Eugène choisissent l’approche directe, avec le résultat que l’on connaît. Leurs pertes sont telles que malgré la victoire elles ruinent tout espoir de gagner la guerre.
Une approche géographique
Selon Liddell Hart, une série de mouvement sur la ligne de moindre attente, qui menacerait plusieurs objectifs à la fois, doit permettre de surprendre l’ennemi et de le frapper là où il est faible, tout en le maintenant dans l’incertitude, « sur les cornes d’un dilemme » (Sherman). Ce procédé se serait montré beaucoup plus décisif et économe à travers l’histoire que l’attaque directe de l’armée adverse.
Ainsi, en 1864, le raid de Sherman ne vise pas l’armée sudiste, mais les villes. Il prend soin de toujours se déplacer sur une direction qui oblige les forces confédérées à couvrir plusieurs objectifs. Ce mouvement se montre décisif et précipite la défaite de la confédération.
L’approche indirecte chez Lidell Hart est donc dans un premier temps géographique, mais elle possède aussi une autre dimension.
Comparer avec la stratégie intégrale du général Poirier.
Ruse et psychologie
La dimension géographique de l’approche indirecte, qui apporte surprise et indécision, est indissociable de sa dimension psychologique.
Les récits de ruses de guerre sont nombreux dans Stratégie, comme celle de Bonaparte à Arcole, qui envoie ses trompettes derrière les lignes ennemies pour sonner une charge fictive. La ruse recherche un effet psychologique. Elle cible l’esprit du chef adverse. L’approche indirecte vise à déséquilibrer l’ennemi psychologiquement au moins autant que physiquement.
Liddell Hart prend l’exemple de la capitulation allemande à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1918, les armées allemandes, indéniablement en mauvaise posture, ne sont pas pour autant vaincues. Pourtant, l’Allemagne capitule. Cela s’explique par le fait que l’offensive de l’Entente dans les Balkans a ébranlé la confiance de l’État-major allemand, qui ne voyait, peut-être à tort, aucune issue possible à sa situation.
Déséquilibre et centre de gravité
L’objectif reste donc la mise en déséquilibre de l’ennemi, par l’action sur ses forces, mais aussi sur la psychologie de son chef.
Finalement, le cœur de l’analyse de Liddell Hart reste la recherche du centre de gravité ennemi, qui n’est certes pas nécessairement son armée. Il peut être matériel, par exemple ses arrières, comme immatériel : l’esprit de son chef.
Il ne s’agit pas d’attaquer l’ennemi simplement là ou il est le plus faible, mais bien de trouver sur quel point appuyer pour déséquilibrer le dispositif ennemi avec un minimum de pression. Liddell Hart est probablement beaucoup plus proche de Clausewitz qu’il ne le pense…
Stratégie et Grande stratégie
L’analyse se limite à l’emploi de moyens militaires, au sein d’un conflit armé. C’est parce que chez LIdell Hart la « stratégie » est bornée par la guerre et se limite à l’emploi des forces armées. Seule la « grande stratégie » regarde au-delà de l’horizon de la guerre et envisage l’emploi de moyens non militaires.
Notons enfin que la lecture que Liddell Hart fait de Clausewitz semble un peu rapide. Sa pensée est caricaturée en un dogme de l’attaque frontale et irréfléchie du point le plus fort de l’ennemi. Or, De la guerre contient bien davantage. Mais l’aborder ici nous ferait dépasser cinq minutes…
Se faire une idée sur Clausewitz avec notre mini-dossier :
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