« Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. »
Socrate
Ce petit retour en arrière nous montre que la crise de l’autorité demeure un phénomène très subjectif. Il doit être étudié à la lumière de ses manifestations contemporaines.
Dans Qu’est-ce qu’un chef ?, le général de Villiers remarque le paradoxe d’une crise de l’autorité qui s’accompagne d’une forte demande de chefs.
Comment se manifeste cette crise de l’autorité et comment y répondre ?
L’autorité doit en réalité profiter à celui sur lequel elle s’applique. Sans cela, elle sera perpétuellement en crise.
Autorité : selon Hannah Arendt (1906-1975), l’autorité est une forme de pouvoir qui ne requiert ni la persuasion ni la contrainte. Étymologiquement, elle vient de « augmenter ». Elle reste malgré tout une forme de domination.
Crise des institutions représentant l’autorité
Les institutions représentant traditionnellement l’autorité ne possèdent plus le pouvoir d’antan.
L’Église n’exerce plus de véritable autorité sur les comportements de la masse de la population comme c’était le cas avant la fin du XIXe siècle. Ainsi, les bulles du pape ne représentent plus une menace pour les décisions politiques.
L’école est le terrain privilégié de la crise de l’autorité contemporaine. Certains enseignants ont du mal à obtenir la discipline en classe, voire refusent d’exercer leur autorité. Ainsi en 2018, un élève de Créteil a menacé son enseignante avec une arme. Hannah Arendt notait déjà que si l’autorité est en crise dans le monde éducatif, c’est « que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants ». De plus, l’école ne parvenant pas à assurer sa mission d’atténuation des inégalités sociales, elle perd sa légitimité.
Cette crise est très visible, car elle se double d’une crise du pouvoir (distinct de l’autorité) sur les corps. La contrainte sur les corps hors du champ économique est de plus en plus difficile à exercer. Ainsi, le Service National Universel fait polémique parce qu’il a vocation à être obligatoire. De plus, et la discipline dans les établissements scolaires est difficile à mettre en œuvre. La fin du service militaire a fait disparaître le caractère habituel de la contrainte des corps par le politique.
Mais analysée plus en profondeur, cette crise de l’autorité se révèle être une crise de la légitimité.
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Crise de l’autorité ou crise de la légitimité ?
La crise de l’autorité est en fait une crise de légitimité.
L’autorité est fondée sur la légitimité. Max Weber distingue dans Économie et Société trois formes de légitimité pour l’autorité. La forme traditionnelle, qui repose sur le respect sacré des coutumes ainsi que de ceux qui détiennent du pouvoir en vertu de la tradition ; la forme légale-rationnelle qui se fonde sur la validité de la loi, établie rationnellement par voie législative ou bureaucratique ; et enfin la forme charismatique qui repose sur le dévouement des partisans pour un chef en raison de ses talents exceptionnels. Ces trois types de légitimité sont dans la réalité juxtaposés et enchevêtrés.
L’autorité traditionnelle s’est largement évaporée. Hannah Arendt notait que l’autorité avait disparu du monde moderne, à cause de la montée des totalitarismes au XXe siècle, qui ont remis en cause toute forme d’autorité traditionnelle.
L’autorité « légale-rationnelle » ne suffit pas. Dans Le fil de l’épée, de Gaulle remarque que le grade ne suffit pas pour être obéi : il faut y joindre le charisme. Aujourd’hui, comme l’indique Christophe Guilluy dans Fractures françaises, le « politique » se voit décrédibilisé au profit de solutions consensuelles ou techniques, peu à même de remettre en cause les logiques de domination économiques.
Le savoir comme source de l’autorité est aujourd’hui remis en question, en raison de sa facilité d’accès grâce aux NTIC. Michel Serres analyse ce phénomène dans Petite Poucette. Le savoir n’est plus le seul apanage des enseignants ou des médecins. Les sources de l’autorité à l’école sont donc à réinventer dans une nouvelle plus-value professorale.
L’autorité est bien en crise, mais nos sociétés peuvent y faire face.
Comment faire face à la crise de l’autorité ?
Si les crises de l’autorité sont bien présentes, leurs conséquences peuvent être gérées par notre société en remettant l’humain au cœur de l’autorité.
Il s’agit de remettre l’autorité à la mesure de l’humain. D’après le général de Villiers dans Qu’est-ce qu’un chef, au cœur de la crise de l’autorité, se trouve sa déshumanisation. En effet, on peut se poser la question de la position du chef dans la sphère de l’entreprise, de son exemplarité et de sa volonté d’engagement auprès de ses subordonnés. En effet, il a pour tâche d’obtenir un maximum de rentabilité, sa main-d’œuvre est aisément remplaçable et il demeure lui-même inséré dans des logiques de domination et d’exploitation avec sa propre hiérarchie.
L’autorité, c’est augmenter autrui. Étymologiquement, « Autorité » vient d’« augmenter ». C’est bien la condition sine qua non à l’acceptation de l’autorité qu’elle apporte quelque chose celui qui s’y soumet puisqu’il le fait volontairement. Le gain n’est pas matériel, comme avec le salaire. Il s’agirait toujours là d’une logique de pouvoir puisque l’individu demeure contraint de posséder un revenu pour vivre. Il est moral : appartenance à un groupe prestigieux, augmentation de ses compétences ou de qualités personnelles auxquelles on attache de l’importance. C’est ce qui explique le besoin de chef noté par le général de Villiers.
L’expérience des armées peut servir de laboratoire des formes de l’autorité contemporaine. Fait unique, elle forme les chefs à l’exercice de l’autorité. Elle est fondée sur l’exemplarité, et la capacité du chef assurer la pérennité de son unité (recrutement, repos, formation). C’est la raison pour laquelle les chefs qui épuisent leur unité sans permettre le renouvellement de ses forces, qui la consomment plus qu’ils ne la construisent, voient leur autorité décroître et doivent mettre en avant leur pouvoir. De plus, l’armée constitue un domaine préservé de la rentabilité. Le chef y sert son supérieur, en remplissant sa mission, et ses subordonnés, en les préparant au mieux à l’engagement. Il ne cherche pas à les exploiter (au sens marxiste du terme). Il est enfin statutairement responsable de la défense de leurs intérêts.
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C’est en remettant l’homme au cœur des préoccupations du chef que l’on pourra redonner de l’équilibre aux structures nécessaires à notre société. Cela impose de prendre ses distances avec le dogme néolibéral, dont l’aboutissement est une société d’individus entièrement « libres », mis en concurrence et ne reconnaissant comme loi légitime que la seule loi du marché.
Mais derrière la crise de l’autorité, on discerne aussi la crise du pouvoir qui pourrait fracturer la cohésion de la société française.
Réflexion complémentaire :
Notons que cette « crise de l’autorité » profite en réalité à la classe dominante.
Pas de crise de l’autorité dans les grands lycées parisiens ou dans les grandes écoles. Ces établissements constituent des outils de légitimation au profit de la position d’une élite qui se renouvelle peu au moyen de titres scolaires (Bourdieu). Pas de crise de l’autorité dans les entreprises de façon générale. Elles maintiennent des logiques de pouvoir. Le salarié mécontent essayant de remettre en cause le pouvoir de son dirigeant serait vite conduit à la porte.
Seules les classes dominées semblent remettre en cause l’autorité, et uniquement dans la sphère publique (État, police, école), pour leur plus grand malheur (blocage de la progression sociale par la méconnaissance des règles réelles du jeu), mais peut-être aussi parce que l’autorité et l’État, partie visible du pouvoir, sont inconsciemment, mais à juste titre perçus comme l’instrument de la domination sociale. La domination économique, elle, demeure invisible, voire reste perçue comme légitime et naturelle.
Certes l’État et l’autorité dans la sphère publique sont effectivement un instrument de domination au profit de la classe dominante. Mais ils sont aussi, en France du moins, le rempart des classes populaires contre le pouvoir économique. La crise de l’autorité proviendrait alors d’une réaction autodestructrice face à un sentiment diffus d’injustice. En ce sens, on peut dire que la crise de l’autorité profite à la classe dominante. Peut-être même qu’au regard de sa permanence dans le temps, en toute hypothèse, elle possède la fonction structurelle de pérenniser la position subalterne de la classe dominée, puisque le modèle mis en cause est malgré tout le seul qui permette liberté, justice sociale et sécurité.