L’Inde, une puissance en trompe-l’œil

L'Inde aura-t-elle la capacité de s’imposer comme une grande puissance sur la scène internationale ?
Inde Grande puissance, Les armes et la toge.

New Delhi dispose de l’arme nucléaire, mais n’est pas capable d’électrifier tout son territoire. Dans ces conditions, l’Inde aura-t-elle la capacité de s’imposer comme une grande puissance sur la scène internationale ?

À l’horizon de 10 ans, elle devrait être cantonnée à un rôle de puissance régionale parce qu’elle s’avère une puissance en trompe-l’œil, mais aussi en raison de ses relations avec ses voisins.

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Les atouts d’une grande puissance en devenir

L’Inde possède des atouts qui pourraient laisser penser qu’elle a vocation à être une grande puissance à court terme.

Une puissance nucléaire. New Delhi a obtenu l’arme nucléaire en 1998. Elle disposerait d’environ cent têtes nucléaires, possède des bombardiers et un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (un deuxième est en construction).

Un régime politique stable. L’Inde est qualifiée de « plus grande démocratie du monde ». Elle parvient à faire voter 900 000 d’électeurs dans un système stable depuis 1947. Toutefois, le parti au pouvoir de Narendra Modi instrumentalise les divisions religieuses, ce qui peut parfois provoquer des violences.

Un désir de puissance. L’Inde possède un véritable désir de puissance. Elle possède un passé prestigieux, et se pense comme une grande puissance. Par exemple, elle a tenté d’envoyer en juillet 2019 une sonde sur la Lune.

Cependant, la volonté de puissance indienne se heurte cependant des obstacles structurels.


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Des limites au développement de la puissance indienne

Des succès certains ne doivent pas masquer des limites réelles à la volonté de puissance indienne.

Une économie en trompe-l’œil. Certes, l’Inde affiche une croissance de 7 %, supérieure à celle de la Chine. Elle s’est hissée au 6e rang économique mondial, juste devant la France, et possède des domaines d’excellence, notamment dans la production et l’exportation de médicaments génériques. Mais des difficultés profondes subsistent. Le pays ne parvient pas à nourrir sa population. Un enfant sur 2 souffre de malnutrition. L’inde doit intégrer chaque année 12 millions d’entrants sur le marché du travail, et pour cela elle a besoin d’un taux de croissance de 8 %. Les inégalités augmentent et 20 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour. Enfin, les économies d’Asie du Sud sont peu intégrées au niveau régional : la part du commerce de l’Inde avec ses voisins n’est que de 2 %.

L’enjeu de la population et du territoire. Certes, la taille de la population (1,3 milliard d’habitants, en augmentation) et celle du territoire sont des facteurs de puissance. Toutefois, l’Inde peine à mettre en valeur cet espace. En effet, tout le pays n’est pas encore électrifié. De plus, la population est certes nombreuse, mais le système éducatif se révèle peu performant, surtout dans les campagnes : certaines écoles n’ont même pas d’instituteur, et le pays compte 25 % d’illettrés. L’État sanitaire de la population n’est pas satisfaisant, le pays ne consacrant que 1 % de son PIB à la santé (11 % pour la France). Certains facteurs de puissances deviennent donc des limites à la puissance indienne.

Une armée peu efficace. Si l’Inde dispose de l’arme nucléaire, ses forces armées et son complexe militaro-industriels sont en réalité peu performants. L’armée indienne compte 1,2 million d’hommes, mais son équipement est vétuste. Elle est en cours de modernisation, mais sa base industrielle et technologique de défense ne peut pas fournir aux armées les équipements dont elles ont besoin. C’est pourquoi l’Inde est le 1er importateur d’armes au monde, et a fait l’acquisition de sous-marins Scorpène ou de Rafales.

Peu de capacité d’attraction. Certes, l’Inde est connue par sa gastronomie, le yoga et surtout Bollywood, mais dans l’ensemble elle possède un poids diplomatique très insuffisant. Certaines de ses 160 ambassades n’ont pas d’ambassadeur. Enfin, elle ne possède pas de réseau de centres culturels comme les instituts Confucius ou l’alliance française.

Ces limites internes sont aggravées par un environnement régional contesté.  

Un environnement régional contesté qui pourrait limiter la puissance de l’Inde

La compétition dans l’environnement régional de l’Inde influe sur sa situation intérieure et devrait limiter à moyen terme l’expansion de sa puissance.

Des conflits aux frontières. Les frontières de l’Inde sont encore des enjeux géopolitiques. La Chine revendique l’Arunachal Pradesh dans l’Himalaya, et le Pakistan le Cachemire. L’Inde a mené plusieurs guerres à ses frontières : en 1962, contre la Chine qui avait annexé l’Aksai Chin ; contre le Pakistan en 1948 (maintien du statu quo), 1965 et 1971 (victoires Inde). En 1999 ont eu lieu des échauffourées à Kargil. Les derniers affrontements datent de 2019. L’adhésion des deux pays à l’Organisation de la Coopération de Shanghai en 2017 ne semble pas avoir changé la situation.

Ces conflits aux frontières alimentent des tensions internes. Enjeu historique de tension entre le Pakistan et l’Inde, le Cachemire connait une forte présence militaire indienne. Des émeutes éclatent régulièrement pour protester contre le comportement des troupes. Des mouvements favorables à l’indépendance y ont commis des attentats (2001, contre le parlement indien), tout comme la mouvance jihadiste (2019, Jaish e Mohammed, contre une caserne indienne). Le Pakistan soutient certains mouvements terroristes. Il y voit une façon de défendre ses prétentions sur la zone et d’y fixer 600 000 soldats indiens. Cette région, qui a demandé son rattachement à l’Inde sous la pression d’incursions pakistanaises en 1947, est stratégique puisqu’elle contrôle notamment le passage du fleuve Indus, et donc l’approvisionnement en eau de l’Inde, mais aussi du Pakistan.

La compétition avec la Chine. La compétition entre la Chine et l’Inde semble tourner à l’avantage de la Chine. La politique indienne du Look East Policy, à portée régionale, se heurte aux Nouvelles Routes de la Soie, à portée mondiale. Or, la marine chinoise est supérieure à celle de l’Inde. La compétition économique tourne aussi largement en faveur de la Chine : l’Inde y exporte du fer et en importe des produits manufacturés, soit le rapport d’un pays en développement avec un voisin développé. Enfin, la Chine s’oppose fermement à l’accès de l’Inde au Conseil de Sécurité de l’ONU.

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Les aspirations à la puissance de l’Inde pourraient donc se heurter aux limites de son développement économique et surtout à un environnement régional contesté qui pèse sur sa politique de puissance.

Mais la réaction américaine au développement de la puissance chinoise pourrait donner à l’Inde l’opportunité de se positionner comme un intermédiaire d’importance.