Quel est le fonctionnement du taux directeur ?

Vous vous êtes surement déjà interrogé sur le fonctionnement du taux directeur des banques centrales. Comment ce taux directeur influe-t-il sur l’économie ? Voici quelques éléments de réponse.

Quel est le fonctionnement du taux directeur ?

Qu’est-ce que le taux directeur ?

Le taux directeur des banques centrales est un outil clé de la politique monétaire utilisé pour influencer l’économie d’un pays.

Le taux directeur est le taux d’intérêt auquel les banques commerciales peuvent emprunter ou déposer des fonds auprès de la banque centrale, comme la Banque centrale européenne (BCE), la Réserve fédérale américaine (Fed), ou d’autres.

Lorsque la banque centrale modifie son taux directeur, cela a un impact direct sur les taux d’intérêt dans l’ensemble du système financier, y compris les taux des prêts aux entreprises et aux particuliers, et les taux d’épargne. Les banques commerciales ajustent leurs taux en fonction de celui de la banque centrale.

A quoi sert le taux directeur ?

La boussole de l’économie

Stimulation de la croissance : En abaissant le taux directeur, elles encouragent les prêts et les dépenses, stimulant ainsi l’économie.

Contrôle de l’inflation : En augmentant le taux directeur, les banques centrales freinent l’inflation en réduisant la demande.

Lorsque le taux directeur augmente :

  • Les prêts deviennent plus chers pour les entreprises et les particuliers (taux de crédit plus élevé).
  • Cela réduit la demande de crédit et ralentit la consommation et l’investissement.
  • L’objectif est généralement de freiner l’inflation en limitant la masse monétaire en circulation.

Lorsque le taux directeur baisse :

  • Les prêts deviennent moins chers, ce qui encourage les entreprises et les particuliers à emprunter.
  • Cela stimule l’investissement, la consommation et donc la croissance économique.
  • Ce type de politique est souvent utilisé pour relancer l’économie en période de récession ou de faible croissance.

Conséquences sur les devises :

Un taux directeur plus élevé peut rendre la monnaie nationale plus attractive, car les investisseurs étrangers cherchent à obtenir des rendements plus élevés, ce qui renforce la devise. À l’inverse, un taux bas peut affaiblir la monnaie.

Effet sur l’épargne :

Un taux directeur élevé incite également à épargner, car les rendements sur les comptes épargne et les produits financiers augmentent.

En résumé, le taux directeur permet à la banque centrale de réguler l’activité économique en contrôlant le coût du crédit et en influençant l’offre de monnaie.

Quel est le fonctionnement du taux directeur

Les banques empruntent auprès de la banque centrale pour plusieurs raisons liées à leur fonctionnement et à la gestion de leur liquidité.

Gestion de la liquidité à court terme

Les banques doivent s’assurer qu’elles ont suffisamment de liquidités disponibles pour faire face à leurs engagements quotidiens, comme les retraits de leurs clients ou les paiements interbancaires. Si une banque manque de liquidités à court terme, elle peut emprunter à la banque centrale pour couvrir ce besoin temporaire. Cela leur permet de maintenir leur solvabilité et d’éviter des problèmes de liquidité.

Respect des exigences de réserves obligatoires

Les banques centrales imposent aux banques commerciales de maintenir un certain pourcentage de leurs dépôts sous forme de réserves (souvent appelées « réserves obligatoires ») auprès de la banque centrale. Si une banque commerciale n’a pas assez de réserves pour répondre à cette exigence, elle peut emprunter auprès de la banque centrale pour combler cet écart et respecter les règles.

Stabilisation en période de tension sur les marchés

En cas de perturbations ou de crises sur les marchés financiers (exemple : une crise bancaire ou une forte volatilité sur les marchés), les banques commerciales peuvent rencontrer des difficultés pour obtenir des fonds auprès d’autres institutions financières. Dans ces situations, elles se tournent vers la banque centrale en tant que « prêteur en dernier ressort ». Cela permet de stabiliser le système financier et d’éviter des faillites bancaires.

Accéder à des fonds à des conditions préférentielles

Les taux directeurs appliqués par les banques centrales sont souvent plus favorables que les taux auxquels les banques empruntent entre elles sur le marché interbancaire. Ainsi, si une banque peut obtenir un prêt à un taux plus avantageux auprès de la banque centrale que sur le marché, elle peut choisir cette option pour réduire ses coûts de financement.

Financer l’octroi de crédits

Les banques commerciales accordent des crédits aux entreprises et aux particuliers. Pour ce faire, elles doivent disposer de fonds. En empruntant auprès de la banque centrale, elles obtiennent les liquidités nécessaires pour financer ces prêts tout en restant conformes aux règles prudentielles. Cela leur permet de continuer à offrir des crédits tout en assurant leur propre stabilité financière.

Sécuriser les opérations interbancaires

Les banques effectuent de nombreuses transactions entre elles. Pour garantir que ces transactions se déroulent sans heurts, elles doivent avoir accès à des liquidités en cas de besoin. Si une banque rencontre un problème temporaire de liquidités, elle peut emprunter auprès de la banque centrale pour honorer ses engagements dans ces opérations.

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Le fonctionnement du taux directeur des banques centrales est donc le suivant : il influence les taux de crédit des banques commerciales. Elles doivent en effet emprunter aux banques centrales selon plusieurs mécanismes. La banque centrale joue un rôle de régulateur et de garant du bon fonctionnement du système bancaire en fournissant ces liquidités.

Lire aussi Le commerce favorise-t-il la paix ?

La stratégie chez le général Beaufre

Dans Introduction à la stratégie, le général André Beaufre nous livre les conclusions de ses réflexions sur la stratégie dans un texte dense, concis et clair.

André Beaufre, introduction à la stratégie

D’après Beaufre, la signification du terme « stratégie » est souvent mal comprise. Historiquement, elle constituait la science et l’art du commandement suprême. Elle était transmise par l’exemple. Cependant, avec l’évolution de la guerre, cette transmission empirique est devenue obsolète, laissant place à la recherche stratégique.

Néanmoins, cette dernière reste inévitablement influencée par les conflits de son époque. Seule une approche abstraite permet véritablement de saisir la nature de la stratégie.

But de la stratégie chez Beaufre

Avant de définir la stratégie, il faut savoir à quoi elle sert. Elle ne se déploie pas dans le vide. Elle possède un but précis :

« Le but de la stratégie est d’atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose ».

Définition de la stratégie par André Beaufre

Après le but, la définition. La célèbre définition de la stratégie arrive assez tôt dans l’œuvre. Elle est « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».

À la guerre, chacun recherche l’acceptation par l’adversaire des conditions qu’il veut lui imposer. In fine, il s’agit de convaincre l’autre que poursuivre la lutte est inutile. La stratégie cible donc la volonté de l’autre.

C’est en replaçant un problème stratégique sur le terrain de la psychologie de l’adversaire que l’on peut apprécier correctement les facteurs décisifs. Il faut donc « atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entrainant une désintégration morale de l’adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu’on veut lui imposer ».

Ainsi, les adversaires visent simultanément la désintégration morale de l’autre. L’action stratégique est donc dialectique. Chacun cherche à agir tout en parant les actions de l’autre. La stratégie est donc une lutte pour la liberté d’action.

En dernière analyse, selon Beaufre la stratégie doit être considérée comme un art, car elle exige du stratège qu’il évalue les éléments clés avec son seul jugement. Il est impossible d’établir une liste de règles qui seraient applicables en toute circonstance.


Les moyens de la stratégie selon Beaufre

Le choix des moyens s’effectue ensuite par la confrontation des possibles et des vulnérabilités de l’adversaire. La question est donc : qui veut-on vaincre ?

Cela revient à se poser des questions très concrètes. Par exemple : la prise de la capitale ennemie sera-t-elle indispensable ou non ? L’ennemi est-il particulièrement sensible aux pertes humaines ? Il s’agit de trouver le meilleur moyen d’atteindre la désintégration morale. De cette confrontation des possibles et des vulnérabilités de l’adversaire nait un objectif stratégique.


Lire aussi Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

« Modèles » stratégiques

Le général Beaufre définit 5 « modèles stratégiques » en fonction des moyens et des objectifs:

1 — Moyens très puissants pour objectif modeste : exercer une menace directe (dissuasion atomique).

2 — Objectif modeste, mais moyens insuffisants : liberté d’action étroite, donc nécessité de recourir à des pressions indirectes.

3 — Objectif important, mais moyens et liberté d’action réduits : actions limitées successives, comme Hitler entre 1935 et 1939.

4 — Grande liberté d’action, mais moyens faibles : lutte totale prolongée de faible intensité militaire conduisant à l’usure morale de l’adversaire.

5 — forts moyens militaires : victoire militaire par destruction des forces adverses et occupation de son territoire. L’objectif reste cependant bien la volonté de l’adversaire. Ce modèle ne fonctionne bien qu’en cas de victoire rapide, sinon son coût s’avèrera démesuré par rapport aux enjeux.


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Chez le général André Beaufre, la stratégie est donc « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ». Elle sert à « atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose ».

Le raisonnement stratégique combine donc des données matérielles et psychologiques. Il est une méthode de pensée permettant de conduire les évènements et non de les subir.

La Nouvelle-Calédonie, un territoire à décoloniser ?

Pourquoi la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française figurent-elles sur la liste de l’ONU des territoires à décoloniser ? Quels en sont les critères ?

Nouvelle Calédonie liste territoires à décoloniser
Girard – La Nouvelle-Calédonie, paru dans Le Monde illustré, 25 avril 1857

L’ONU et le processus de décolonisation

L’ONU possède une liste des territoire qu’elle estime non décolonisés.

Selon la résolution 1514 de l’assemblée générale, « tous les peuples ont le droit à la libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique ». Elle crée en 1961, le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (ou « Comité spécial de la décolonisation »). Ce comité dresse une « liste des territoires non autonomes ».

À l’heure actuelle, l’ONU considère 17 territoires comme non autonomes.

Comme on le voir, la Nouvelle-Calédonie, comme la Polynésie française figurent sur cette liste.

Territoires à décoloniser : quels critères

Le comité spécial de la décolonisation dresse la liste des territoires à décoloniser. Comment fonctionne-elle ? Quels sont les critères pour y figurer ?

L’ONU qualifie de « non autonomes », les « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles mêmes ». Un territoire non autonome peut être désinscrit de la liste à trois conditions :

  • s’il est devenu État indépendant et souverain ;
  • s’il s’est librement associé à un État indépendant ;
  • s’il s’est intégré à un État indépendant.

Le comité spécial de la décolonisation a donc pour tâche d’évaluer si les populations concernées se sont effectivement prononcées ou non.

Par exemple, les îles Tokelau, territoire administré par la Nouvelle-Zélande ont explicitement refusé l’indépendance par référendum. Mais le territoire figure toujours sur la liste. En effet, le seuil des deux tiers de voix était fixé pour valider l’autodétermination. Cependant, les votes ont tout de même atteint par deux fois environ 60 % de voix en faveur de l’indépendance. L’ONU a donc considéré que ces scrutins n’étaient pas probants et à maintenu Tokelau sur la liste.

Il n’existe pas de liste de critère objectifs. Les recommandations du comité sont donc avant tout politiques. Or, compte tenu de sa composition, son objectivité s’avère questionnable.


Lire aussi Le blocage de l’ONU.

Le comité spécial de décolonisation : une arme politique

Le comité spécial de décolonisation propose la mise à jour la liste des pays à décoloniser à l’Assemblée générale. Il est dominé par des pays qui possèdent un intérêt à présenter l’Occident comme toujours colonisateur et immoral.

En effet, aucun pays occidental n’y participe. En revanche, la Chine, la Russie, l’Iran, le Mali et la Syrie en sont membres. Or, tous ces pays possèdent un intérêt bien compris à mettre la pression sur les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. En effet, seuls ces trois pays, plus la Nouvelle-Zélande, sont considérées comme « puissance administrante » (comprendre, coloniale).

Curieusement, alors que le Sahara occidental figure sur la liste, l’ONU ne désigne pas le Maroc comme « puissance administrante ». Nulle mention non plus de Hong-Kong, dont la population ne s’est jamais prononcée sur le sort de son île, ni du Tibet.


Lire aussi l’ONU, l’impossible réforme.

La cas français : la Nouvelle-Calédonie, un territoire à décoloniser ?

Dans ce contexte, l’inscription (ou la réinscription) de territoires français du Pacifique sur la liste ne surprendra plus. Quels sont les arguments avancés ?

Concernant la Nouvelle Calédonie, l’ONU l’a réinscrite sur la liste des territoires à décoloniser en 1986. Elle y figure toujours. Le comité considère que les trois référendums ne sont pas suffisants pour régler la question.

En effet, selon Semir Al Wardi, chercheur en sciences politiques, « le troisième référendum est considéré par les observateurs internationaux comme très discutable. On peut donc dire que l’argument selon lequel il y a eu trois référendums et on peut s’arrêter là n’est pas recevable en général par les observateurs internationaux. »

Pour la Polynésie française, ce sont des Etats insulaires du Pacifique, les îles Salomon, Nauru, Tuvalu, Samoa, ainsi que le Timor Oriental qui portent la réinscription de 2013. Elle s’effectue malgré l’opposition de l’assemblée polynésienne. En effet, élire une assemblée défavorable à l’indépendance n’équivaut pas à la tenue d’un referendum en bonne et due forme.

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L’inscription ou la désinscription d’une entité sur la liste des territoires à décoloniser est donc un acte de droit international, mais aussi et surtout politique. L’absence de critères objectifs permet une lecture partiale du droit à l’autodétermination. La seule mention de « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles mêmes » permet une grande liberté à l’assemblée générale. Mais sa liberté n’est semble-t-il pas assez grande pour considérer le cas de territoires administrés par la Chine qui n’ont jamais eu l’occasion de déterminer librement leur statut politique.

Pour aller plus loin, Dix questions fréquemment posées sur l’Organisation des Nations Unies et la décolonisation.

Le commerce favorise-t-il la paix ?

 Le commerce favorise-t-il la paix ? C’est une idée reçue depuis le « doux commerce » de Montesquieu. Toutefois, nous allons voir que c’est plutôt l’inverse.

Le commerce favorise la paix ?

Le commerce favorise la paix : la théorie du doux commerce

Dans De l’esprit des lois, Montesquieu fait le rapprochement entre commerce et paix :

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix »

Montesquieu, de l’esprit des lois

En effet, le commerce favorise la connaissance mutuelle, les voyages, les échanges avec l’autre. En conséquence, il adoucit les mœurs, tant au niveau politique qu’individuel.

« C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces »

Montesquieu, de l’esprit des lois

Il crée également des intérêts mutuels entre les nations. Si les élites commerciales du pays A font des affaires avec celles du pays B (investissements, flux), les dirigeants politiques devraient être moins enclins à briser ces liens par la guerre. En effet, les élites politiques et économiques sont souvent très liées, et la richesse procurée par le commerce bénéficie, dans certains cas, aux deux parties.

Cependant, il se trouve très aisément dans l’histoire des exemples de pays très liés par le commerce qui se sont fait la guerre. Le plus connu est celui de la Première Guerre mondiale. Les échanges entre la France et l’Allemagne étaient très élevés en 1914, ce qui n’a pas empêché le conflit. Il nous faut donc creuser plus profondément pour comprendre les relations entre commerce et guerre.

Commerce, richesse, pouvoir… et guerre

Partons du postulat que le commerce est une source de richesse, qui permet l’accroissement de la puissance de l’État qui le contrôle. Cette richesse permet en effet de construire ou renforcer sa capacité militaire : mettre sur pieds et équiper des armées et des flottes. Sur ce sujet, lire notre article Le système thalassocratique chez Thucydide.

Il est en effet aussi nécessaire de protéger cette source de richesse. Le développement des flottes de guerre va de pair avec celui du commerce. Nous avons déjà parlé de Mélos, qui se voit contrainte d’affronter les Athéniens malgré sa neutralité. Sa position géographique permettrait à quiconque la contrôle de faire peser une menace inacceptable sur le système économique athénien. Aujourd’hui, l’Occident est obligé de protéger par la guerre ses lignes de communication en mer Rouge des attaques houthies.

Ce dernier exemple montre que le commerce peut se transformer en vulnérabilité. Lorsqu’un État devient trop dépendant de son commerce pour ses approvisionnements et sa richesse, ses lignes de communication deviennent une cible. C’est de là que vient la stratégie maritime de la France aux XVIIIe et XIXe siècles. Devant la supériorité des escadres britanniques, la France se rabat sur la guerre de course. Elle cherche à entraver les approvisionnements britanniques, et à faire flamber le prix des assurances (comme aujourd’hui en mer Rouge). Sur ce sujet, lire le chapitre 6 de La Mesure de la force.

Le commerce, un intérêt parmi d’autres : il ne favorise la paix que modestement

Le commerce accroit donc la richesse, les capacités militaires et fournit une vulnérabilité à attaquer. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de l’argument de la dépendance mutuelle, pourtant infirmé par l’expérience historique. Pourquoi ?

La question à se poser est en réalité : existe-t-il des intérêts supérieurs à ceux du commerce, qui pourraient pousser des entités politiques à entrer en guerre malgré des liens commerciaux forts ? Poser la question révèle la vanité de lier commerce et paix. L’intérêt politique demeure supérieur à l’intérêt économique.

Sans passer en revue les causes des guerres, innombrables et toujours singulières, notons simplement qu’il existe de nombreux cas dans lesquels un État aurait intérêt à entrer en guerre contre un autre malgré des liens commerciaux forts.

Ne pas honorer ses alliances possède un coût politique bien plus fort que la destruction temporaire de liens économiques. C’est une petite partie du mécanisme qui mène à la Première Guerre mondiale.

Un rapport de force avec une puissance menaçante sur le point de se renverser. L’Angleterre a longtemps fondé sa politique sur l’équilibre des puissances sur le continent européen.

Opportunité politique : la saisie d’un territoire clef peut amener des gains à long terme très supérieurs aux coûts économiques d’un conflit. C’est le calcul fait, à tort, par Saddam Hussein lorsqu’il envahit le Koweït en 1990.

Enfin, une opposition idéologique marquée n’empêche pas d’entretenir des relations commerciales. Mais ces dernières ne pèseront rien si un conflit se déclenche entre deux entités politiques aux projets politiques incompatibles. C’est le cas de l’expansion de l’Allemagne au début de la Seconde Guerre mondiale.

N.B. Beaucoup d’exemples centrés sur l’Europe et la période contemporaine. N’hésitez pas à noter en commentaire d’autres cas où l’intérêt politique a balayé l’intérêt économique… ou l’inverse.

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Pour conclure, le commerce favorise-t-il la paix ? Non, ou du moins très modestement. Faire du commerce l’agent de la paix revient à lui donner un pouvoir qu’il n’a pas. En effet, le projet politique d’une nation ne se résout pas à entretenir des bonnes relations commerciales avec ses voisins ou compétiteurs. Le commerce et la richesse sont des moyens au service d’une fin politique plus large. C’est en fonction de cette fin politique que sont déclarées les guerres. La profondeur des liens économiques ne peut donc contrebalancer qu’à la marge le poids des données politiques.

Au contraire, par son existence même le commerce favorise la guerre parce qu’il est nécessaire de le protéger contre ses concurrents, ou qu’il fournit à un adversaire une opportunité de peser par la violence sur les décisions politiques d’une nation.

Pour aller plus loin :

Sur Montesquieu : Catherine Larrère, « Montesquieu et le « doux commerce » : un paradigme du libéralisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique.

Sur la stratégie maritime, Hervé Coutau-Bégarie, Traité de Stratégie, Paris, Economica, 2011.

Biographie de Clausewitz

Voici une indispensable biographie de Clausewitz pour compléter notre mini-dossier sur De la Guerre.

Biographie de Carl von Clausewitz
Carl Von Clausewitz

Les débuts d’un stratège brillant

Carl von Clausewitz est né le 1er juin 1780 à Burg bei Magdeburg, en Prusse, au sein d’une famille de la petite noblesse. Son entrée précoce dans l’armée prussienne à l’âge de 12 ans marque le début d’une carrière militaire prometteuse. Son passage à l’Académie Militaire de Berlin façonne ses convictions. Il est en effet influencé par les idéaux révolutionnaires français.

Sur le champ de bataille

Carl von Clausewitz a été façonné par les guerres napoléoniennes. Sa présence sur les champs de bataille européens a profondément marqué sa compréhension de la guerre et de ses implications.

À Iéna, l’armée prussienne subit une défaite écrasante face aux forces napoléoniennes. Clausewitz est le témoin de l’effondrement brutal d’une institution militaire qu’il avait juré de servir. Cette expérience l’a ainsi confronté à la réalité impitoyable de la guerre moderne.

Sa participation à la bataille de Waterloo, en tant qu’officier d’état-major prussien, lui permet en outre d’observer de près la stratégie de Napoléon Bonaparte, et de contribuer à la défaite finale de l’empereur français.

Ces expériences sur le champ de bataille ont profondément influencé sa pensée stratégique. En effet, c’est dans les carnages de la guerre que Clausewitz a commencé à élaborer les concepts fondamentaux qui allaient façonner son œuvre majeure, « De la Guerre ».

Au service du tsar

Dès la chute de la Prusse, Clausewitz rejoint le tsar Alexandre Ier de Russie. Son engagement auprès du tsar témoigne de sa réputation grandissante en tant que stratège militaire. Cette période de sa vie est marquée par des efforts visant à moderniser l’armée russe. Il conseille également le tsar sur les questions de stratégie militaire.

Après la guerre : développement de la pensée clausewitzienne

A la fin des guerres napoléoniennes, Clausewitz consacre une partie importante de sa vie à approfondir sa réflexion sur la guerre et la stratégie militaire. Il écrit alors plusieurs ouvrages et articles qui contribuèrent à enrichir sa pensée et à élargir son influence. Mais son œuvre la plus célèbre reste « De la Guerre », quoi qu’inachevée à sa mort.

Le legs de Clausewitz

Clausewitz décède du choléra le 16 novembre 1831 à Breslau, en Silésie, à l’âge de 51 ans. Il laisse derrière lui un héritage durable dans les domaines de la stratégie militaire. Sa pensée continue d’inspirer les générations futures dans leur compréhension de la guerre et de la politique internationale. Il possède assurément sa place parmi les plus grands penseurs militaires de l’histoire.

L’héritage et la contribution de Marie von Clausewitz

En conclusion de notre biographie de Clausewitz, un mot Marie von Clausewitz. L’épouse dévouée de Carl, a joué un rôle essentiel dans la préservation et la diffusion des idées de son mari après sa mort. En effet, après le décès de Carl, elle prend en charge la publication posthume de « De la Guerre », oeuvre inachevée. Son dévouement à diffuser les idées de Clausewitz a donc contribué à consolider sa place parmi les plus grands penseurs militaires de tous les temps.

Au delà de la biographie de Clausewitz

En complément de cette biographie de Clausewitz, voir aussi notre mini-dossier sur De la guerre.

Comprendre pourquoi chez Clausewitz la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

L’Iran est-il une démocratie ?

L’Iran est-il une démocratie ?

Depuis la Révolution islamique de 1979, l’Iran a adopté un système politique mêlant des éléments démocratiques et théocratiques. Cette dualité pose la question de la véritable nature du régime iranien. L’Iran est-il une démocratie ?

Démocratie formelle, le système politique iranien est en réalité soumis à la domination d’institutions non élues.


Marjane Satrapi, Persepolis

Une manière de découvrir l’Iran à la fois ludique et sérieuse : Marjane Satrapi, Persepolis.

Des institutions élues

Le parlement iranien, appelé Majlis, est l’une des institutions démocratiques clés du pays. Il est composé de membres élus par le peuple tous les quatre ans lors d’élections législatives. Le Majlis propose et adopte les lois, et supervise les actions du gouvernement.

Cependant, le parlement n’a pas de compétence directe sur les questions de politique étrangère ou de défense. Ces domaines relèvent de la sphère d’influence du Guide suprême et des organes liés à la sécurité nationale.

En effet, les pouvoirs du Majlis sont limités par le Guide suprême et le Conseil des Gardiens. Ces organes ont le pouvoir de rejeter des lois qu’ils jugent contraires à la Constitution islamique ou aux principes de la République islamique. De plus, le Guide suprême détient une autorité finale sur les affaires de l’État. Cela limite de fait l’indépendance et l’efficacité du parlement dans certaines décisions politiques.

Le président de la République islamique d’Iran est lui aussi élu au suffrage universel tous les quatre ans. Bien qu’il soit soumis à certaines limitations par le Guide suprême et le Conseil des Gardiens, le président détient des pouvoirs exécutifs significatifs, notamment en matière de politique intérieure.


Pierre Razoux, la guerre Iran Irak

Pour aller plus loin : Pierre Razoux, La guerre Iran-Irak.

L’Iran est-il une démocratie ? La domination des institutions non élues

Le pouvoir réel en Iran réside néanmoins dans les institutions non élues, principalement le Guide suprême. Le Guide, actuellement Ali Khamenei, est le plus haut dirigeant politique et religieux du pays. Il est responsable de la supervision de tous les aspects de la politique iranienne, y compris et surtout les forces armées et le système judiciaire.

Le concept de Velayat-e Faqih, ou le « gouvernement du juriste religieux », encadre la politique iranienne. C’est le Guide qui définit le cadre dans lequel agit la république Islamiste. Les institutions élues agissent donc sous la supervision du bureau du guide. Cette notion donne au Guide une autorité supérieure, justifiée par sa connaissance et son interprétation de la loi islamique. Voici l’article 57 de la constitution iranienne :

« Les pouvoirs de souveraineté dans la République islamique d’Iran sont le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, qui agissent sous le contrôle de la régence exécutive absolue et du Guide divin de la communauté des croyants. »

Cette concentration de pouvoir entre les mains d’une seule personne remet en question le caractère démocratique du régime.

Le Conseil des Gardiens, autre institution non élue, limite lui aussi la démocratie iranienne. Il est composé de membres nommés par le Guide et le chef du pouvoir judiciaire. Le conseil a pour tâche de vérifier la conformité des lois avec les principes de l’islam et la Constitution. Il possède entre autres fonctions de filtrer les candidats aux élections. Il limite ainsi le choix des électeurs aux candidats approuvés par le pouvoir.


Lire aussi Qui sont les Houthis ?

Les droits de l’homme en question

Des droits de l’homme bafoués

L’Iran fait face à de nombreuses critiques internationales sur la situation des droits de l’homme. Le Guide restreint les libertés d’expression, de réunion et de religion. Les arrestations arbitraires, la torture et les exécutions sont régulières. Les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes indépendants et les opposants politiques font l’objet de persécutions, avec des cas de détentions prolongées sans procès équitable.

L’arbitraire du pouvoir et sa brutalité ont été à l’origine des émeutes qui ont secoué le pays en 2022. La mort d’une jeune kurde de 22 ans, Mahsa Amini, assassinée par la police des mœurs après son arrestation, avait provoqué des émeutes dans tout le pays. Ces violences étaient alimentées par les frustrations accumulées en raison de la situation économique difficile, de la mauvaise gouvernance et des violations des droits de l’homme.

Des minorités politiquement représentées, mais discriminées

Bien que les minorités religieuses et ethniques en Iran possèdent une certaine représentation politique, notamment au parlement, elles font toujours face à des discriminations systémiques. Les minorités telles que les Kurdes, les Arabes, les Baloutches et les Azéris se plaignent régulièrement de marginalisation politique, économique et culturelle. Les lois discriminatoires et les politiques restrictives limitent souvent leur accès aux opportunités d’emploi, à l’éducation et aux services publics. En dépit de leur présence au sein des institutions politiques, ces minorités continuent de lutter pour une reconnaissance égale et une véritable représentation dans tous les aspects de la vie sociale et politique de l’Iran.


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L’Iran est-il une démocratie ? Bien que l’Iran possède certaines institutions démocratiques élues, les institutions non élues dominent largement le système politique du pays. Le Guide suprême détient la réalité du pouvoir. La démocratie iranienne ne peut se déployer que dans un cadre restreint déterminé par le Guide. Il s’agit d’une combinaison de démocratie formelle, de théocratie et d’autoritarisme bien réel.

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Mélos, ou le risque de la neutralité

Le sort réservé à l’île de Mélos dans la guerre du Péloponnèse illustre le risque pour le faible de croire qu’il peut rester neutre quand les combats font rage autour de lui.

Mélos ou les risques de la neutralité

Au livre V de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide met en scène un dialogue entre ambassadeurs athéniens et notables méliens (V, 84), connu sous le nom de dialogue mélien, ou dialogue entre Athéniens et Méliens.

Mélos est une petite île de la mer Égée. Sa localisation permettrait à qui la dirige d’agir efficacement sur le trafic maritime. C’est donc une position clef pour Athènes qui dépend des tributs versés par ses alliés (voir notre article Le système thalassocratique chez Thucydide, dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse). La cité a choisi de rester neutre dans la guerre qui oppose Sparte à Athènes depuis 15 ans.

Mélos ou les risques de la neutralité - L'empire athénien en 431 av. J.-C., juste avant le début de la guerre du Péloponnèse.
L’empire athénien en 431 av. J.-C., juste avant le début de la guerre du Péloponnèse. Map_athenian_empire_431_BC-fr.svg : Marsyasderivative work: Once in a Blue Moon, CC BY-SA 2.5, https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5, via Wikimedia Commons

En 416 av. J.-C., les Athéniens estiment que la neutralité de cette petite cité représente un risque trop grand et décident de lui adresser un ultimatum : se soumettre à l’empire ou voir leur ville détruite. En effet, les Méliens sont aussi les colons de Sparte. Un dialogue édifiant s’engage alors entre délégués athéniens et notables méliens.

La neutralité de Mélos rejetée

Mélos propose de conserver sa neutralité. L’argument est immédiatement rejeté par les Athéniens.

« votre hostilité nous fait moins de tort que votre amitié : celle-ci ferait paraître aux yeux des peuples de l’empire une preuve de faiblesse, votre haine, une [preuve] de puissance ».

Athènes fonde sa puissance sur le tribut fourni par les cités soumises. Elle doit donc s’assurer de dominer les routes maritimes. Si elle accepte que Mélos demeure neutre, elle ouvre la porte aux revendications des autres peuples insulaires.

Le cœur du dialogue mélien : droit contre possible

Les délégués athéniens commencent par évacuer l’argument du droit.

« nous n’allons pas […] recourir à de grands mots, en disant que d’avoir vaincu le Mède nous donne le droit de dominer, ou que notre campagne présente vient d’une atteinte à nos droits ».

Ils comptent s’appuyer sur les rapports de force.

« Si le droit intervient dans les appréciations humaines pour inspirer un jugement lorsque les pressions (forces, NDLR) s’équivalent, le possible règle, en revanche l’action des plus forts et l’acceptation des plus faibles ».

Pour les Méliens, c’est la soumission ou la mort, quelle que soit leur position au regard du droit. « Ou bien nous l’emportons sur le plan du droit, nous refusons pour cela de céder, et c’est la guerre, ou bien […] c’est la servitude ».

Destruction de Mélos

Forts de leur droit et de l’appui divin qui l’accompagne, les Méliens choisissent de résister malgré la puissance d’Athènes. Ils comptent sur Sparte pour leur venir en aide.

« au nom de leur propre intérêt, ils ne voudront pas trahir Mélos, une colonie à eux, pour devenir suspects à leurs partisans en Grèce, et rendre service à leurs ennemis ».

Mais Sparte ne bouge pas. Après tout, Mélos n’a jamais pris leur parti. La position de Mélos était irrationnelle.

« Vos plus forts appuis relèvent d’un espoir relatif au futur, et vos ressources présentes sont minces pour résister avec succès aux forces dès maintenant rangées contre vous ».

Au bout de plusieurs mois de siège, Mélos, affamée, tente de négocier sa reddition. Mais les Athéniens se montrent implacables. Ils soumettent la ville à une violence extrême, même pour l’époque. Ils massacrent les hommes, emmènent les femmes et les enfants en esclavage, puis acheminent leurs propres colons. Le sort réservé à Mélos marquera durablement les esprits dans le monde grec. Parce qu’elle a cru choisir l’honneur, en comptant sur la neutralité et le secours d’une puissance culturellement proche d’elle, elle a cessé d’exister.

Le droit, la morale et la puissance

Quelle conclusion tirer du dialogue mélien ? Non pas que la force fait le droit. Mais que malgré le règne du droit, les rapports de force ne s’effacent pas. Ils doivent être pris en compte. La morale pèse en effet peu de poids face à ce qu’un acteur perçoit comme son intérêt vital. Et que comme les promesses, les alliances n’engagent que ceux qui y croient.


Lire aussi Arès et Athéna, dieux de la guerre.

Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse.

Pourquoi l’industrie de défense française peine à soutenir l’Ukraine

Dans une interview télévisée du 14 mars 2024, le Président français a reconnu que la France n’avait pas « une industrie de défense adaptée à une guerre de haute intensité territoriale ». En effet, les entreprises françaises peinent à soutenir massivement l’Ukraine. Ainsi, la France et l’Europe connaissent des difficultés pour produire des obus d’artillerie, pourtant nécessaires en grande quantité en Ukraine. Pourquoi l’industrie de défense française peine-t-elle autant à soutenir l’Ukraine, alors que Paris est devenu le deuxième exportateur d’armes au monde ?

Canon Caesar en Irak. Ce type de matériel fait merveille en Ukraine. Pourtant, l'industrie  de défense française peine à soutenir Kiev.
Canon Caesar en Irak. Ce type de matériel fait merveille en Ukraine. Pourtant, l’industrie de défense française peine à soutenir Kiev.

En cause, le modèle d’armée que soutient cette industrie. L’industrie de défense française produit du matériel de haute technologie, cher, en petit nombre.

Arme nucléaire et armée de masse

La sanctuarisation du territoire français rend inutile une armée de masse.

La France est une puissance nucléaire. Ses intérêts vitaux, au premier desquels son territoire, sont sanctuarisés par la dissuasion. Elle n’a donc plus besoin d’une armée de masse, de conscrits.

Les armées contribuent à la sûreté du territoire contre les attaques terroristes, qui ne peuvent être évitées grâce à la dissuasion. Mais c’est sur la masse de la police que repose surtout cette protection dans ce cas précis.


Pour aller plus loin sur la dissuasion : amiral Pierre Vandier, La dissuasion au troisième âge nucléaire, Monaco, éditions du Rocher, 2018. Si vous achetez le livre grâce à ce lien, vous faites vivre le site.

Une armée expéditionnaire

Son armée lui sert donc bien davantage à protéger ses intérêts à l’étranger.

Elle utilise ses forces armées pour réduire la menace terroriste qui pèse sur elle depuis l’étranger. Par exemple, les armées françaises ont activement contribué à réduire la capacité de nuisance de Daech en Irak. Elles défendent aussi les intérêts économiques de la nation, en protégeant des Houthis les navires qui transitent par le détroit de Bab el-Mandeb.

Elle a donc besoin d’une force facilement capable de se projeter à l’étranger et de s’y maintenir. Cela implique une taille limitée par les moyens de projection et de soutien détenus (navires, avions de transport stratégiques…).


Pour aller plus loin sur le modèle d’armée : Guy Brossolet, essai sur la non-bataille. Si vous achetez le livre grâce à ce lien, vous faites vivre le site.

Haute technologie

Sanctuarisation du territoire et capacité de projection de puissance font donc converger le modèle d’armée français vers une armée de taille limitée.

Pour garder sa supériorité malgré cette taille réduite, l’armée française a donc besoin d’hommes supérieurement entraînés, capables de manier des systèmes d’armes complexes, de haute technologie.

Cet équipement à la pointe de la technologie est évidemment très onéreux, en partie parce qu’il est produit en petites séries. Par exemple, un simple obus de 155 mm « de base » coûte environ 5000 euros. Les délais de production sont par ailleurs assez longs. Il faut compter deux ans de fabrication pour un canon Caesar.

Cela explique aussi que la base industrielle et technologique de défense (BITD) soit forcée d’exporter pour survivre. Le marché français n’est simplement pas assez grand pour garantir la pérennité d’entreprises privées.

Une industrie de défense peu adaptée à la guerre de masse

La BITD française produit donc des équipements très efficaces, mais très chers, et en nombre réduits. Or, quels sont les besoins des Ukrainiens ? De l’armement en nombre, des obus en masse, facilement utilisable par des conscrits ayant au mieux quelques semaines de formation.

La BITD française n’est donc tout simplement pas configurée pour soutenir l’Ukraine dans une guerre de masse, territorialisée.

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Les enjeux de défense ne sont pas les mêmes pour Paris ou Kiev. La BITD française soutient une armée de taille réduite, qui utilise des équipements de haute technologie, très onéreux, en petit nombre. Or, c’est tout l’inverse dont ont besoin les Ukrainiens. Équipements simples, abordables, en grand nombre.

C’est donc un virage à 180° que l’on demande, en un temps très court, à notre BITD. Elle n’est effectivement pas configurée pour la guerre de masse.

Toutefois, ce virage pourrait être pris plus vite qu’on ne le croit. L’Europe s’organise pour optimiser son aide à l’Ukraine. Ainsi, la France a pris la tête de la « coalition artillerie » qui met en contact les industriels et les besoins ukrainiens. Mais surtout, d’une manière particulièrement cynique, les entreprises de défense sont des entreprises privées. Elles peuvent espérer faire des profits très importants en Ukraine, tant les Européens sont prêts à sortir leur carnet de chèques. Nul doute qu’elles sauront s’adapter pour capter les milliards qui sont en jeu.

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Pourquoi les Houthis attaquent-ils des navires en mer Rouge ?

Les Houthis, un groupe rebelle du Yémen, poursuivent leurs attaques contre le commerce en mer Rouge. Mais quelles sont leurs motivations ? Deux facteurs clés émergent pour expliquer leurs actions : l’utilisation du ciblage du commerce maritime comme moyen de pression dans le conflit israélo-palestinien et comme outil de légitimation internationale. In fine, leurs actions leur permettent d’attirer de nombreuses recrues.

Un commando Houthi attaquant un navire en mer rouge

Les attaques houthies en mer Rouge, un moyen de pression sur le conflit israélo-palestinien

Les attaques des Houthis sur le commerce en Mer Rouge sont un moyen de pression indirect sur le conflit israélo-palestinien. En ciblant les voies maritimes essentielles pour le transport de marchandises, les Houthis cherchent à démontrer leur capacité à perturber les intérêts économiques et commerciaux d’Israël et de ceux qu’ils considèrent comme ses alliés.

En exerçant cette pression économique, ils espèrent influencer les politiques et les décisions des acteurs clés dans le conflit israélo-palestinien, tout en renforçant leur propre position au sein du paysage politique régional.

Un moyen de légitimation internationale

Les attaques contre le commerce en Mer Rouge servent également de moyen de légitimation internationale pour les Houthis.

les champions de l’Axe de la Résistance

En s’attaquant aux intérêts économiques des puissances régionales et internationales, les Houthis cherchent à se positionner comme les champions de « l’axe de la résistance » contre l’ingérence étrangère et l’expansionnisme. Ils espèrent ainsi renforcer leur image en tant que défenseurs des droits des Palestiniens et des opprimés de la région.

Leurs actions en mer Rouge permettent aux Houthis d’attirer les volontaires et de recruter massivement. L’équilibre du conflit en cours s’en trouvera modifié.

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Une légitimité accrue après les frappes américaines

Attaques Houthis Mer rouge

Les frappes américaines contre les positions des Houthis au Yémen ont de surcroît renforcé leur légitimité aux yeux de certains acteurs régionaux et internationaux. En répondant militairement aux attaques des États-Unis, les Houthis peuvent en effet être perçus comme un mouvement capable de résister à l’impérialisme occidental. Cette résistance face à l’intervention étrangère peut renforcer leur soutien parmi les populations locales et régionales. Elle accroît également leur crédibilité sur la scène internationale.

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Les attaques des Houthis sur le commerce en Mer Rouge sont donc le résultat d’une combinaison de motivations politiques, stratégiques et géopolitiques. Elles continuent de perturber les routes maritimes essentielles pour l’Europe et de menacer la stabilité régionale. Elles pourraient être demain à l’origine de bouleversements géopolitiques majeurs.

Nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées. Rajoutez vos idées et vos arguments dans la section commentaires ! La stratégie Houthie n’est-elle pas risquée ? Quelles pourraient être ses conséquences à long terme ?

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Se dirige-t-on vers une guerre contre la Russie ?

Le Président français Emmanuel Macron a annoncé le lundi 26 février qu’un engagement de troupes occidentales en Ukraine n’était plus exclu. Alors, se dirige-t-on vers une guerre contre la Russie ? Comment en est-on arrivés là ?

Des propos rassurants sont immédiatement venus nuancer la déclaration française. Les alliés ne comptent pas s’engager, le déploiement ne concernerait que des unités de déminage. Mais le signal est trop fort pour être ignoré. Allons plus loin.

Une guerre entre la France et l'Ukraine ?

Un affrontement en cours entre la France et la Russie dans le milieu informationnel

Dressons le cadre. La France et la Russie s’affrontent déjà, mais de manière indirecte en Ukraine ainsi que dans les champs immatériels.

Au Sahel, la Russie utilise le sentiment antifrançais pour avancer ses pions. En 2022, elle a tenté de discréditer l’action de la France au Mali en installant un charnier près de Gossi. Les forces françaises avaient éventé le subterfuge en diffusant les images de l’enterrement des corps. Le charnier était bien réel, mais du fait de Wagner.

Plus récemment, Moscou s’est livré à plusieurs attaques informationnelles contre la France. La Russie a mis en place plusieurs campagnes de désinformation, en répliquant des unes de sites internet de grands médias français afin d’y insérer sa propagande (opération Doppelgänger). Elle a également créé des portails spécifiquement dédiés à la diffusion de son récit (opération Portal Kombat).

De son côté, la France livre des armes et des munitions en Ukraine. Le canon Caesar a déjà joué un rôle important sur le champ de bataille, de même que les systèmes sol-air livrés par la France. Mais surtout, Paris a fourni à Kiev un grand nombre de missiles de croisière SCALP à très haute valeur ajoutée.

Les armes françaises font donc déjà couler le sang russe. Cependant, ces livraisons, de même que la formation des soldats ukrainiens dans l’hexagone, ne suffisent pas pour faire de la France un co-belligérant sur le plan juridique.


Pour aller plus loin sur la Russie : Dans la tête de Vladimir Poutine.

Une dynamique du conflit aujourd’hui favorable à la Russie

Pourquoi dès lors faire monter les enchères et évoquer un envoi de troupes occidentales en Ukraine ? Il faut en rechercher la cause dans la dynamique actuelle du conflit et dans la crainte d’une défaite ukrainienne.

Aujourd’hui, la dynamique du conflit est favorable à la Russie. Les Européens craignent un effondrement ukrainien. S’il est improbable à court terme, il ne peut être exclu. La Russie s’est remise de ses pertes et est repassée à l’offensive. Elle s’est emparée à la fin du mois de février de la ville d’Avdiivka, après des mois de combats acharnés.

L’aide matérielle occidentale est donc tout à fait nécessaire, mais non suffisante pour assurer la victoire de l’Ukraine. Or, elle atteint ses limites, en raison de l’inadaptation du complexe militaro-industriel occidental à la guerre de masse. Celui-ci est en effet conçu pour armer des forces professionnelles d’équipements de haute technologie, en petit nombre et donc très chers.

Dans ces conditions, la déclaration de M. Macron constitue un signal envoyé à M. Poutine. Le président français n’annonce pas l’envoi de troupes ; il évoque le sujet. Cette petite phrase ne passera cependant pas inaperçue à Moscou. Il s’agit pour la France de peser sur les calculs russes en montrant qu’elle est toujours déterminée à soutenir l’Ukraine. Paris souhaite également poser davantage de dilemmes à la Russie. Renouer, pour ainsi dire, avec l’ambiguïté stratégique.


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Conséquences d’une défaite ukrainienne

Mais pourquoi s’acharner à ce point en Ukraine ? Quelles seraient les conséquences d’une défaite ukrainienne ? Toute la question est bien là. En réalité, au cœur des réactions occidentales à la dynamique du conflit se trouve la crainte d’une paix trop favorable à la Russie. Elle modifierait considérablement l’architecture de sécurité et les rapports de force en Europe, voire dans le monde.

Il résulterait d’une paix trop favorable à la Russie une modification considérable des rapports de force en Europe, et probablement dans le monde. Les démocraties occidentales en sortiraient durablement décrédibilisées, tant elles ont fait de ce conflit une lutte existentielle. Le récit russe d’un Occident décadent et faible serait conforté.

L’architecture de sécurité européenne n’y survivrait pas. La Russie aurait démontré que l’Occident n’est plus capable de s’opposer à l’emploi illégal de la force militaire. Moscou aurait alors beau jeu de tirer avantage de sa supériorité militaire pour imposer ses vues à des Européens désunis et militairement faibles. Le désarmement européen a par ailleurs très probablement compté dans les calculs russes en février 2022. Les doutes qui planent sur la fiabilité américaine au sein de l’OTAN viendraient parachever la nouvelle vulnérabilité militaire de l’Europe. Moscou pourrait rouvrir des contentieux sur le vieux continent, par exemple dans les pays baltes au sujet du corridor de Suwalki.

Cependant, à quoi ressemblerait une défaite russe ? Que penser d’une paix dans laquelle l’Ukraine renoncerait au Donbass et à la Crimée, dont le retour dans le giron de Kiev paraît de plus improbable ? Ce n’est ni à la France, ni même aux États-Unis de le dire. C’est à l’Ukraine, et à la Russie. C’est tout le paradoxe de la position des Européens. Ils s’engagent toujours plus avant dans leur soutien à Kiev, en s’en remettant aux buts de guerre ukrainiens. A lier son sort au combat d’un autre, on lui donne la clef de son destin.


Pour aller plus loin : Que veut Poutine ?

Une guerre contre la Russie ?

In fine, les modèles d’armées européens ne sont plus adaptés à la guerre de masse. À l’heure où l’allié américain doute, les Européens sont trop faibles pour que l’Ukraine perde la guerre. Nul doute que le 24 février 2022 a ouvert la page d’un monde nouveau, cauchemardesque pour ceux qui pensaient la guerre révolue et qui souhaitent encore toucher les « dividendes de la paix ».

Les Européens voient ressurgir le spectre de Munich. En 1938 ils avaient cru sauver la paix alors qu’ils venaient de finir de convaincre Hitler de leur lâcheté. La déclaration du président français s’inscrit dans ce contexte intellectuel.

En renversant la perspective, la question n’est peut-être pas de savoir si les Européens parviendront à éviter la guerre, mais s’il n’est pas déjà trop tard pour le faire.


Lire aussi Arès et Athéna, dieux de la guerre.