L’art de la guerre de Sun Tzu est un recueil de préceptes de stratégie qui tire sa force de sa simplicité et de sa grande concision. Contentons-nous de préciser qu’il fut rédigé à l’époque des royaumes combattants (Ve au IIIe siècles av. J.-C.) et qu’un halo de légende entoure ce texte et son auteur. Nous nous bornerons ici à expliquer deux des thèses qui nous paraissent centrales dans cette œuvre, qui passe pour le plus grand traité de stratégie jamais écrit.
L’édition utilisée pour cet article est Sun Tzu, L’art de la guerre, Paris, Champs, 2008.
La victoire au prix le plus bas possible
Sun Tzu commence son traité en mettant en évidence l’importance de la guerre : « La guerre est une affaire d’importance vitale pour l’État, la province de la vie et de la mort, la voie qui mène à la survie ou à l’anéantissement » (p. 91), mais aussi son coût exorbitant : « Lorsque l’armée s’engagera dans des campagnes prolongées, les ressources de l’État ne suffiront pas » (p. 102).
En effet, tant les conséquences économiques d’un conflit prolongé, comme la désorganisation de la société, les famines, que celles d’une bataille sanglante, où les morts pouvaient à l’époque se compter par centaines de milliers, sont des facteurs d’appauvrissement et d’affaiblissement de l’État. Or, « le général est le protecteur de l’État » (p. 112). Trouver le moyen de contourner le recours au choc meurtrier est par conséquent une priorité pour Sun Tzu.
La victoire doit donc être remportée au moindre coût, si possible sans même livrer bataille : « Ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent une armée sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un état sans opérations prolongées » (p. 110).
Toutefois, Sun Tzu ne repousse pas toute idée de bataille. Il se peut que ce soit le moyen le plus économique de remporter la victoire, ou qu’elle soit nécessaire. Il faut alors s’attacher à créer les conditions pour « vainc[re] un ennemi déjà défait » (p.120).
Attaquer la stratégie et l’esprit du chef adverse
Tout l’art du général va donc être de créer les conditions d’une victoire à moindre coût, en attaquant la stratégie adverse et l’esprit du chef ennemi avant d’attaquer ses troupes. « Ce qui est (…) de la plus haute importance dans la guerre, c’est de s’attaquer à la stratégie de l’ennemi » (p. 108).
Un général accompli mettra en œuvre plusieurs techniques pour atteindre ce but.
La première est d’attaquer la cohésion morale de l’ennemi, non pas entendue comme le moral des troupes, mais comme l’« harmonie » unissant le souverain et son peuple. Il faut user d’influence sur les dirigeants adverses, de corruption, d’agents secrets, de trahisons pour mettre à bas cette cohésion morale. La victoire est alors acquise depuis le palais du souverain ennemi et son État s’effondre sans avoir à livrer bataille. « Généralement dans la guerre, la meilleure politique, c’est de prendre l’État intact ; anéantir celui-ci n’est qu’un pis aller » (p. 108).
Le général avisé doit également s’attaquer à l’esprit du chef adverse, ou à son plan, en jouant sur ses perceptions. « Tout l’art de la guerre est basé sur des duperies » (p. 95). Il peut tromper l’ennemi grâce à des stratagèmes visant à l’induire en erreur sur l’état de ses forces, sur ses capacités, pour l’inciter à attaquer alors qu’il devrait se retirer, ou à se retirer alors qu’il devrait attaquer. Bref, à agir contre ses propres intérêts.
Le chef sage doit également savoir manœuvrer habilement pour pousser l’adversaire à la faute. Par exemple, il peut utiliser le terrain pour forcer l’ennemi à disperser ses forces, puis l’attirer sur un point précis pour l’attaquer. Il peut aussi le prendre de vitesse pour le frapper sur un point qu’il pensait hors d’atteinte.
Sur le champ de bataille
Enfin, sur le champ de bataille la victoire doit s’acquérir en usant d’actions « Cheng » et « Ch’i ». La force « Cheng » est celle qui mène une attaque traditionnelle, qui fixe ou qui distrait l’ennemi, tandis que la force « Ch’i » conduit des actions imprévues, indirectes et décisives. « Utiliser la force Cheng pour engager le combat, utiliser la force Ch’i pour remporter la victoire » (p. 125). La force et la ruse, les techniques conventionnelles et non conventionnelles, les apparences et la réalité, loin de s’opposer, se complètent.
Pour terminer, la constance essentielle dans la pensée de Sun Tzu et qu’il faut éviter l’ennemi là où il est fort. « Une armée peut être comparée exactement à de l’eau car, de même que le flot qui coule évite les hauteurs et se presse vers les terres basses, de même une armée évite la force et frappe la faiblesse » (p. 137).
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Pour résumer, Sun Tzu considère le coût humain et économique de la guerre comme une source de danger pour l’État. De là, il décrit une façon de combattre dont le but est de limiter le prix à payer. Il faut agir d’abord sur l’esprit du chef adverse, et sur sa stratégie, avant d’entreprendre des actions contre ses forces, afin de pouvoir s’emparer de ses armées et de son État avec un coût économique et humain réduit.
« Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ; en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger »
Sun Tzu, L’art de la guerre, Paris, Champs, 2008, p. 116.
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Voir aussi Quand le général Poirier théorisait la guerre hybride avant la guerre hybride.