Comprendre l’étonnante trinité chez Clausewitz. Et aussi pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon

Selon Clausewitz, la guerre est un caméléon, parce qu'elle procède de l'étonnante trinité.

Dans le premier chapitre du livre Un de De la Guerre, Carl von Clausewitz analyse la guerre pour en élaborer une théorie unique, qui parviendrait à expliquer la diversité de ses formes au sein d’une nature immuable. Dans la pensée de Clausewitz, la nature même de la guerre est de revêtir des formes changeantes, en raison de sa soumission à la politique et parce qu’elle procède de l’étonnante trinité. Si bien qu’il la compare à un caméléon, qui voit son apparence se modifier en fonction de son environnement.

Clausewitz, l'étonnante trinité.

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La guerre est l’instrument de la politique

Le premier facteur qui provoque le changement perpétuel de la forme de la guerre est sa soumission à la politique. Elle est la « continuation de la politique par d’autres moyens », comme le veut la formule immortelle.

En effet, si elle est l’instrument de la politique, la forme de la guerre dépendra d’abord du motif du conflit. En fonction de son importance, il sera plus ou moins à même d’exciter ou d’apaiser les passions des deux camps.

Ensuite, la forme que prend la guerre dépend des conditions préexistantes dans lesquelles elle s’insère. Les deux adversaires ne surgissent pas ex nihilo. Ils possèdent déjà des relations politiques, qui vont influencer leurs perceptions mutuelles et donc la forme de la guerre à venir.  

« les guerres doivent être aussi différentes les unes des autres que les motifs qui les font entreprendre et les rapports qui les précèdent »

Carl von Clausewitz, De la guerre, livre I, §27, p. 47.

C’est en analysant ce caractère politique singulier d’une guerre singulière que l’on peut déterminer quelle forme elle prendra. Mais on ne peut y parvenir sans comprendre que la guerre procède également de l’étonnante trinité.

Lire aussi La Friction chez Clausewitz

L’étonnante trinité

Le second facteur de changement dans la forme de la guerre est l’« étonnante trinité », sur l’évocation de laquelle Clausewitz conclut le chapitre I de De la guerre.

La guerre procède à la fois des trois parties distinctes d’une trinité : « instinct naturel aveugle », « libre activité de l’âme » et « acte de raison ».

Elle est la manifestation de « l’instinct naturel aveugle », des sentiments de haine, des passions qu’elle est prompte à embraser. Ces caractéristiques sont associées au peuple.

Mais elle est aussi « libre activité de l’âme », parce qu’elle est soumise au « jeu des probabilités et du hasard », au sein duquel peuvent s’exprimer à divers degrés les vertus guerrières de l’armée et le talent du général.

Enfin, la guerre est un « acte de raison », puisqu’elle est dirigée par la politique. Le gouvernement en détermine rationnellement (enfin, de son point de vue) le but.

Instinct, âme, raison ; peuple, armée, gouvernement ; passions, vertus, intelligence : voici l’étonnante trinité dont procède la guerre chez Clausewitz.

Influence de la trinité sur la forme de la guerre

La guerre doit sa forme aux rapports que possèdent entre eux les éléments de la trinité. Or, chacune de ces variables possède une autorité et une intensité propres à chaque conflit. L’aspect de la guerre se révèle donc perpétuellement changeant.

Prenons l’exemple d’une guerre de cabinet. Son objectif est de se saisir de gages territoriaux lointains afin de les échanger. Elle est menée au moyen d’une armée professionnelle. Elle ne devrait donc pas provoquer d’enthousiasme chez peuple, ni de haine de l’adversaire. En revanche, laver un affront ou reconquérir un territoire perdu au moyen d’une armée de conscrits devrait déchaîner les passions et la violence.

Lettre et esprit de l’« étonnante trinité »

Les trois parties de la trinité ne devraient pas être prises pour strictement séparées dans les faits. Le peuple peut très bien être en armes, ou le général être aussi le gouvernement. Mais leur séparation permet d’identifier la source des ressorts qui vont donner sa forme spécifique à la guerre. C’est là l’intérêt de cette étonnante trinité.

En toute hypothèse, avec nos outils théoriques, nous pourrions aujourd’hui tenter de caractériser l’aspect d’un conflit en analysant la sociologie, la culture et la politique des acteurs. Et cela, même si le peuple et l’armée se confondent, que l’« armée » est irrégulière où que les buts de guerre sont objectivement irrationnels.

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Salutaire rappel sur la réalité de la guerre

C’est la nature de la guerre que d’être toujours changeante dans ses formes. Cela, parce qu’elle obéit à un but politique, prend place dans un contexte spécifique et est conduite sous les auspices d’une combinaison singulière de l’étonnante trinité.

Nous aurions pu nous arrêter là. Cependant, cette simple conclusion, selon laquelle la nature de la guerre est de posséder une forme toujours changeante, amène à une réflexion supplémentaire pour les praticiens.

La guerre que nous conduirons ne sera jamais celle que nous avons étudiée, pour laquelle nous nous sommes préparés et entraînés. Si l’on peut tenter de prévoir la forme qu’elle prendra, ou mieux, inventer cette forme future, cet exercice ne pourra jamais aboutir à conduire la guerre que nous aurons préparée.

De là, la formation des chefs militaires ne doit pas viser à faire appliquer une doctrine, mais bien à être en mesure d’adapter cette doctrine aux conditions réelles, toujours prévues, mais chaque fois inattendues. Pour cela, une seule solution : former son instinct ; et un impératif : disposer de chefs jeunes, dotés de la plasticité intellectuelle nécessaire pour remettre en question leurs certitudes lorsqu’elles se fracasseront sur la réalité. Ce qu’elles ne manqueront pas de faire.

« Nous serons perdus, si nous nous replions sur nous-mêmes ; sauvés, seulement, à condition de travailler durement nos cerveaux, pour mieux savoir et imaginer plus vite. »

Marc Bloch, l’étrange défaite

L’imagination serait-elle la qualité la plus nécessaire à un chef militaire ?

Nicolas Farce

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Voir aussi : notre mini-dossier sur Clausewitz.

L’étonnante trinité, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz.

Comprendre la montée aux extrêmes chez Clausewitz en cinq minutes

Guerre absolue et guerre réelle

La guerre absolue, royaume de la montée aux extrêmes, n’existe donc qu’en théorie. Dans la guerre réelle, plusieurs principes de modération empêchent cette montée aux extrêmes.

Aux livres I et VIII de De la guerre, Clausewitz développe le concept de montée aux extrêmes.

Cet article est le premier d’une série consacrée aux grands thèmes clausewitziens.

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Guerre absolue, guerre théorique

Dès l’abord du livre I, Clausewitz propose une définition de la guerre. Elle est « un acte de la force par lequel nous cherchons à contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté ». De là, la mise hors d’état de se défendre de l’ennemi devient un but intermédiaire. C’est la condition pour le plier à notre volonté.

Dans une approche purement logique, Clausewitz montre qu’en théorie cet « acte de force » qu’est la guerre ne peut que monter aux extrêmes. C’est la guerre absolue (pour guerre prise dans l’absolu, dans son principe).

Trois « actions réciproques » permettent la montée aux extrêmes selon Clausewitz.

L’emploi réciproque illimité de la force. Celui qui en fait le plus complet usage possède un avantage sur son ennemi. Ce dernier se voit alors forcé d’en faire autant.

La recherche du renversement de l’adversaire. Chacun des deux camps tente de soumettre l’autre à sa volonté. Il va donc tâcher de réduire son ennemi à l’impuissance. Aucun des deux ne se trouve dès lors en sécurité tant que l’autre n’est pas hors d’état de se défendre.

Le calcul des efforts nécessaires et l’escalade. Chacun des deux adversaires calcule les efforts qui seront nécessaires pour surpasser l’autre. Cela ne peut qu’entrainer une gradation perpétuelle conduisant aux extrêmes.

La montée aux extrêmes, c’est donc un emploi illimité de la force. En raison de ces trois « actions réciproques », dans le monde des idées, le mouvement naturel de la guerre conduit à la montée aux extrêmes.

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Guerre réelle

Cependant, le principe théorique de montée aux extrêmes ne s’applique pas dans la guerre réelle. En effet, il existe dans la guerre réelle des freins à cette montée aux extrêmes.

La guerre réelle ne peut pas monter aux extrêmes

Les belligérants ne sont pas des entités abstraites sorties du néant pour une confrontation instantanée. Ils se connaissent, et sont capables d’estimer la volonté de leur adversaire. Cela introduit un premier principe de modération.

De plus, la guerre possède une durée. Une erreur dans l’estimation de la volonté de l’ennemi peut donc être réparée. Cela introduit une seconde possibilité de modération réciproque. Et même en cas de défaite, le résultat n’est jamais définitif.

Il existe d’autres obstacles à la réalisation de la guerre absolue. Il en va ainsi des faiblesses humaines comme l’indécision ou l’imperfection du jugement ; ou bien de la friction dans la conduite de la guerre par les appareils étatiques. Enfin, des enjeux faibles peuvent décourager la montée aux extrêmes.

La guerre réelle possède des bornes

Les bornes de l’emploi de la force dans la guerre réelle ne vont donc pas être positionnées aux extrêmes. Elles seront déterminées par le calcul, le raisonnement et les probabilités.

Ces bornes seront placées en fonction du but politique. Il exigera pour l’un des efforts plus ou moins importants, et provoquera chez l’autre une volonté de combattre plus ou moins grande.

C’est ce but politique qui déterminera le résultat que l’action militaire devra atteindre.

La guerre absolue, royaume de la montée aux extrêmes, n’existe donc qu’en théorie. Dans la guerre réelle, plusieurs principes de modération empêchent cette montée aux extrêmes. Si Clausewitz reconnait qu’essayer d’éviter l’effusion de sang à la guerre irait contre l’essence de celle-ci, il ne recommande pas pour autant d’introduire l’ascension aux extrêmes de la violence dans la guerre réelle. La montée aux extrêmes n’est qu’un objet théorique qui a vocation à le rester.

Cependant, et c’est là l’utilité de la théorie, ce concept doit être conservé à l’esprit comme la direction naturelle de toute guerre.

Le principe de modération dans la guerre

Ceci nous amène à analyser une citation du maître souvent reprise, mais souvent mal comprise :

« ce sera toujours commettre une absurdité que de vouloir introduire un principe de modération à la guerre ».

De la guerre, p. 28

Prise ainsi, elle serait la profession de foi d’un Clausewitz apôtre de la montée aux extrêmes, qui prônerait un emploi maximal de la force sans tenir compte des lois et coutumes de la guerre ou du contexte politique. Le déchainement aveugle de la violence serait le seul moyen de vaincre.

Rien de plus faux, rien de plus criminel contre la pensée du maître. Remettons la citation dans son contexte :

« Si les guerres des peuples civilisés sont beaucoup moins cruelles et dévastatrices que celles des peuples frustes, cela tient à l’état social des premiers et à leurs relations internationales. La guerre subit l’influence de cet état et de ces relations qui la modifient et la tempèrent, mais ces éléments lui restent étrangers, une simple donnée extérieure, de sorte que ce sera toujours commettre une absurdité que de vouloir introduire un principe de modération à la guerre ».

De la guerre, p. 28. C’est nous qui soulignons.

Si la guerre prise en théorie ne connaît pas de principe modérateur et monte naturellement aux extrêmes, la guerre réelle se trouve de fait modérée. Cependant, l’élément modérateur ne provient pas de la nature de la guerre elle-même, mais de son environnement. Il n’en possède pas moins une influence bien réelle. La maxime qui clôt notre citation ne s’applique donc qu’a la guerre absolue. Elle est tout sauf une négation de la modération dans la réalité de la guerre.

Nous nous rapprochons par là d’un des grands thèmes de De la guerre, qui est que la guerre ne doit pas être considérée comme un phénomène autonome, mais comme un phénomène politique soumis à des décisions d’ordre politique. Mais l’aborder ici nous ferait dépasser les cinq minutes…

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Ainsi, s’il place la violence au cœur de la guerre, absolue comme réelle, Clausewitz ne recommande nullement de laisser libre cours à une violence débridée pour remporter la victoire. La montée aux extrêmes est un objet théorique qui n’a pas vocation à s’incarner dans la guerre réelle. Cette dernière est bel et bien marquée par plusieurs limitations extérieures à sa nature.

« Nous sommes ainsi conduits à considérer la guerre non telle qu’elle devrait être d’après son concept, mais telle qu’elle est dans la réalité, c’est-à-dire avec tous les éléments étrangers qui s’y introduisent et la modifient »

Carl Von Clausewitz, De la guerre, Livre VIII

L’édition utilisée pour les citations est Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Ivrea, 2000.

Note de LA RÉDACTION :

Certains auteurs considèrent que la guerre absolue pourrait advenir dans la réalité, comme dans le cas d’une guerre nucléaire. Au livre VIII, Clausewitz indique lui-même que les guerres napoléoniennes ont fait advenir sur terre la guerre absolue.

Toutefois, il nous semble que même dans le cas d’un déchaînement de violence extrême, un certain nombre de freins subsisteraient. Par exemple, en raison de la friction qui surviendrait dans les unités chargées d’anéantir les cités adverses, comme des mésententes, un mauvais fonctionnement du matériel, des hésitations voire des refus d’obéissance. Le fait qu’une guerre puisse prendre une forme apocalyptique ne signifie pas qu’elle serait sans freins.

L’hypothèse selon laquelle la guerre absolue est un idéal (dans le sens théorique de forme pure et parfaite de la guerre) qui servirait de boussole pour comprendre la direction prise par la guerre réelle nous semble la plus riche. Tout simplement, sans cela le concept de guerre absolue n’aurait pas beaucoup d’intérêt.

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Voir notre mini-dossier sur Clausewitz.

La guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

Comprendre l’approche indirecte chez Liddell Hart en moins de cinq minutes

Dans Strategy, Sir Basil Henry Liddell Hart développe la notion d’approche indirecte. Il brosse un panorama de l’histoire militaire de l’antiquité à la Seconde Guerre mondiale, pour démontrer que l’approche indirecte permet des résultats bien plus décisifs pour un coût sensiblement moindre que l’approche directe.

Dans Strategy, Sir Basil Henry Lidell Hart développe la notion d’approche indirecte. Il brosse un panorama de l’histoire militaire de l’antiquité à la Seconde Guerre mondiale, pour démontrer que l’approche indirecte permet des résultats bien plus décisifs pour un coût sensiblement moindre que l’approche directe.

Eviter l’action du fort au fort

Liddell Hart oppose l’approche indirecte, qu’il entend défendre, à l’attaque directe de l’armée ennemie, dont il fait de Clausewitz le principal apôtre. En effet, dans une approche du fort au fort, même en cas de victoire, il est probable que le vainqueur ne soit plus en mesure d’exploiter son succès.

Il utilise, entre autres exemples, la bataille de Malplaquet. En 1709, les Français sont aux abois ; la supériorité numérique des coalisés (Angleterre, Autriche, Hollande) est très importante. De ce fait, Marlborough et le prince Eugène choisissent l’approche directe, avec le résultat que l’on connaît. Leurs pertes sont telles que malgré la victoire elles ruinent tout espoir de gagner la guerre.

Une approche géographique

Selon Liddell Hart, une série de mouvement sur la ligne de moindre attente, qui menacerait plusieurs objectifs à la fois, doit permettre de surprendre l’ennemi et de le frapper là où il est faible, tout en le maintenant dans l’incertitude, « sur les cornes d’un dilemme » (Sherman). Ce procédé se serait montré beaucoup plus décisif et économe à travers l’histoire que l’attaque directe de l’armée adverse.

Ainsi, en 1864, le raid de Sherman ne vise pas l’armée sudiste, mais les villes. Il prend soin de toujours se déplacer sur une direction qui oblige les forces confédérées à couvrir plusieurs objectifs. Ce mouvement se montre décisif et précipite la défaite de la confédération.  

L’approche indirecte chez Lidell Hart est donc dans un premier temps géographique, mais elle possède aussi une autre dimension.

Ruse et psychologie

La dimension géographique de l’approche indirecte, qui apporte surprise et indécision, est indissociable de sa dimension psychologique.

Les récits de ruses de guerre sont nombreux dans Stratégie, comme celle de Bonaparte à Arcole, qui envoie ses trompettes derrière les lignes ennemies pour sonner une charge fictive. La ruse recherche un effet psychologique. Elle cible l’esprit du chef adverse. L’approche indirecte vise à déséquilibrer l’ennemi psychologiquement au moins autant que physiquement.

Liddell Hart prend l’exemple de la capitulation allemande à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1918, les armées allemandes, indéniablement en mauvaise posture, ne sont pas pour autant vaincues. Pourtant, l’Allemagne capitule. Cela s’explique par le fait que l’offensive de l’Entente dans les Balkans a ébranlé la confiance de l’État-major allemand, qui ne voyait, peut-être à tort, aucune issue possible à sa situation.

Déséquilibre et centre de gravité

L’objectif reste donc la mise en déséquilibre de l’ennemi, par l’action sur ses forces, mais aussi sur la psychologie de son chef.

Finalement, le cœur de l’analyse de Liddell Hart reste la recherche du centre de gravité ennemi, qui n’est certes pas nécessairement son armée. Il peut être matériel, par exemple ses arrières, comme immatériel : l’esprit de son chef.

Il ne s’agit pas d’attaquer l’ennemi simplement là ou il est le plus faible, mais bien de trouver sur quel point appuyer pour déséquilibrer le dispositif ennemi avec un minimum de pression. Liddell Hart est probablement beaucoup plus proche de Clausewitz qu’il ne le pense…

Stratégie et Grande stratégie

L’analyse se limite à l’emploi de moyens militaires, au sein d’un conflit armé. C’est parce que chez LIdell Hart la « stratégie » est bornée par la guerre et se limite à l’emploi des forces armées. Seule la « grande stratégie » regarde au-delà de l’horizon de la guerre et envisage l’emploi de moyens non militaires.

Notons enfin que la lecture que Liddell Hart fait de Clausewitz semble un peu rapide. Sa pensée est caricaturée en un dogme de l’attaque frontale et irréfléchie du point le plus fort de l’ennemi. Or, De la guerre contient bien davantage. Mais l’aborder ici nous ferait dépasser cinq minutes…

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Comparer avec la stratégie intégrale du général Poirier.

Se faire une idée sur Clausewitz avec notre mini-dossier :

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

Quand le général Poirier théorisait la guerre hybride avant la guerre hybride.

Dans Stratégie théorique II, le général Poirier décrit une conflictualité qui déborde du cadre de la guerre sous la pression des armes nucléaires. Cet état entre guerre et paix n’est pas sans rappeler ce que nous appelons aujourd’hui la « guerre hybride ». Qui d’ailleurs à toujours existé mais c’est un autre débat…

Dans Stratégie théorique II, le général Poirier décrit une conflictualité qui déborde du cadre de la guerre sous la pression des armes nucléaires, ce qui n'est pas sans rappeler ce que nous appelons aujourd'hui la « guerre hybride »

Commerce compétitif

Il introduit dans le champ théorique le concept de « Stratégie intégrale ». Afin de réaliser leur projet politique tout en contrant ceux de leurs adversaires, les acteurs sociopolitiques combinent des stratégies militaire, économique et culturelle.

L’état de tension conflictuel sans recours à la violence physique qui naît de l’opposition des projets politiques des différents acteurs est appelé « commerce compétitif ». Or, avec l’apparition des armes nucléaires, cet état de tension va évoluer vers ce que le général nomme « agressivité généralisée ».

Manœuvre des crises

En effet, à cause de la perspective d’un affrontement nucléaire, la réalisation du projet politique des États se retrouve en grande partie privée de la dimension militaire de leur stratégie intégrale. Cela entraîne un surcroît d’activité et d’agressivité dans les stratégies économiques et culturelles, mais avec pour obligation de rester « en deçà du seuil critique du conflit ouvert », brouillant la distinction entre paix et guerre dans une « manœuvre des crises ».

La stratégie militaire doit dans ce contexte utiliser des « formes infra-guerre ». Auparavant, la guerre englobait la stratégie militaire. Elle n’en est désormais que l’une des modalités.

Enfin, lisons la description que nous fait le général ce type de conflictualité, qui si elle exprime la réalité de la guerre froide, pourrait être à peu de choses près celle de la guerre hybride :

« Des interventions, très localisées et ponctuelles, d’une violence plus ou moins bien contrôlée (agitation, attentats, sabotages, coups d’État, piraterie, terrorisme, subversion, etc.), appuient des propagandes idéologiques et des pressions économiques qui tournent au défi, des marchandages qui ne se cachent plus d’être chantages. »

Lucien Poirier, Stratégie Théorique II

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Voir aussi Les métamorphoses de l’hybridité.

Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

La stratégie intégrale combine les actions dans les champs économique, culturel et militaire en permanence pour réaliser un projet politique.

Dans Stratégie théorique II, compilation d’articles rédigés dans les années 1970, le général Lucien Poirier introduit le concept de « stratégie intégrale ».

Projet politique et stratégie

Pour commencer, le général Poirier s’interroge sur la nature de la stratégie. Il part de la politique, « science et art de gouverner les sociétés organisées » qui réalise son idéologie à travers un projet politique. C’est lui qui transcrit l’idéologie en actes.

Afin de réaliser son projet, le politique n’a que deux domaines d’action habituels : l’économie (tout ce qui est nécessaire à l’existence physique) et le culturel (tout ce qui concerne la connaissance et les idées). Le troisième domaine est extraordinaire, c’est celui de la violence physique. Le recours à la force physique peut avoir lieu si la liberté d’action dans les domaines économique et culturel est nulle, face à un projet concurrent inacceptable et si le rapport coût/bénéfice parait suffisant. 

Or, il y a stratégie dès qu’il y a conflit, c’est-à-dire opposition de projets politiques, donc en permanence, et pas uniquement en cas de guerre. Le général Poirier choisit de nommer « commerce compétitif » la conflictualité plus ou moins pacifique qui naît de l’opposition des projets politiques des différents acteurs.

La stratégie intégrale de Lucien Poirier

Dans ce cadre, comme dans celui d’une guerre, les acteurs sociopolitiques combinent les stratégies militaire, économique et culturelle pour accomplir leur projet politique tout en contrant le projet politique adverse. C’est la « stratégie intégrale ».

Pour terminer, notons qu’à la différence de la « stratégie totale » du général Beaufre qui ne s’applique que dans une guerre, la « stratégie intégrale » est mise en œuvre en temps de paix comme de temps de guerre.

« Théorie et pratique de la manœuvre de l’ensemble des forces de toute nature, actuelle ou potentielle, résultant de l’activité nationale, elle [la stratégie intégrale] a pour but d’accomplir l’ensemble des fins définies par la politique générale ».

Lucien Poirier, Stratégie théorique II.

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Voir aussi Quand le général Poirier théorisait la guerre hybride avant la guerre hybride.

Voir aussi l’approche indirecte chez Liddell Hart en moins de cinq minutes.