Pourquoi les hommes combattent selon Martin Van Creveld, en moins de cinq minutes

Pourquoi les hommes se battent-ils ? Dans la transformation de la guerre Martin Van Creveld explique leurs motivations.

Dans La transformation de la guerre, Martin Van Creveld aborde les motivations qui poussent les hommes à se jeter dans la guerre. Ce n’est pas la thèse centrale de l’ouvrage, qui est que les conflits de basse intensité sont l’avenir de la guerre et que la conception occidentale de la guerre, basée sur le modèle trinitaire clausewitzien, est erronée, mais elle m’a paru davantage digne d’intérêt.

Les hommes et la guerre

Les hommes se battent pour quatre raisons principales.

Par amour du danger. Il exerce depuis toujours une grande fascination sur l’homme, qu’il transcende et grandit en le confrontant à sa propre mort.

« Le caractère unique de la guerre réside précisément dans le fait qu’elle a toujours été, et demeure encore la seule activité créatrice qui non seulement permet mais exige l’engagement total de toutes les facultés humaines contre un adversaire aussi fort que soi-même ».

Martin Van Creveld, La transformation de la guerre, p. 214.

La guerre est un jeu avec la mort, le plus fort des jeux. La guerre serait donc… la continuation du sport, compris comme une situation de prise de risque volontaire, par d’autres moyens.

Pour une noble cause. Cette cause peut être mythique ou idéalisée, comme la liberté, la justice, ou une région rendue symbolique par les conflits passés. Cette cause est coupée de la raison, et n’a d’existence que dans l’esprit des hommes.

Pour l’honneur, qui est la seule chose que l’on emporte dans la tombe. Ce sentiment de l’honneur est renforcé par des rites, mais aussi par la symbolique de certaines armes, tenues ou d’objets. On ne compte plus les soldats qui se sont sacrifiés pour sauver leur étendard.

Pour la survie, dans le cadre d’une guerre d’extermination. C’est un des rares cas dans lesquels les motifs individuels et collectifs de la guerre sont identiques.

Les motivations individuelles sont les véritables raisons des guerres

Sans ces motivations individuelles, point de guerre. Selon Van Creveld, ce qui pousse individuellement les hommes à se battre est aussi la cause des guerres.

Le péché originel des stratèges occidentaux est de croire que la guerre permet d’atteindre un but politique abstrait, et de ne pas prendre en compte les motifs de ceux qui se battent. Or, pour ceux-ci la guerre est une fin en soi. Les hommes font aussi la guerre… parce qu’ils aiment ça.

Pourquoi les femmes ne combattent pas

Les hommes, oui, mais les femmes ? Hormis certaines exceptions très locales dans des situations désespérées, la guerre est un exercice presque spécifiquement masculin.

Or, l’absence des femmes ne s’explique ni par la peur du viol ni par une prétendue infériorité physique. Selon Martin Van Creveld, la cause réelle en est la dévalorisation systématique aux yeux des hommes des activités auxquelles les femmes participent. Les hommes donneraient de l’importance à ce qu’ils réalisent, pour sublimer le fait de ne pas pouvoir enfanter : la guerre en est l’exemple par excellence : ils en privent donc les femmes. Si les femmes combattaient sur un pied d’égalité avec les hommes… les jours de la guerre seraient comptés ! Dans ces conditions, la féminisation des armées occidentales s’expliquerait par le fait que ces armées auraient entériné qu’elles ne partiraient plus véritablement en guerre.

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« La guerre est la vie écrite en majuscules »

Martin Van Creveld, La transformation de la guerre

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L’édition utilisée pour cet article est Martin van Creveld, La transformation de la guerre, Monaco, éditions du rocher, 1998.

Voir aussi l’étonnante trinité chez Clausewitz.

Carnage et culture. Comprendre les raisons de la supériorité militaire occidentale selon V. D. Hanson en cinq minutes

Selon Victor Davis Hanson dans Carnage et culture, la supériorité militaire occidentale serait d’origine culturelle.

Dans Carnage et culture, Victor Davis Hanson estime que la supériorité militaire occidentale est d’origine culturelle.

Il ne s’agit pas de démontrer une hypothétique supériorité culturelle occidentale, mais d’expliquer que les raisons de la suprématie militaire de l’Occident se trouvent dans les éléments constitutifs de sa culture.

Nous reprenons ci-dessous ces différents éléments illustrés par les exemples historiques sélectionnés par V.D. Hanson.

Liberté

Les combattants occidentaux sont des hommes libres, et non pas des esclaves. Cette liberté amène une supériorité dans le domaine du moral des troupes, comme pour les Grecs à Salamine en 480 av. J.-C. De plus, elle permet de questionner le chef et de prendre des décisions collégialement. Elle favorise enfin la prise d’initiative.

Bataille décisive

Selon V.D. Hanson, la bataille décisive est apparue au VIIIe siècle av. J.-C., en Grèce, pour régler les conflits entre groupes de petits propriétaires terriens rapidement et à moindre coût. En effet, l’alternative à la bataille est un enchaînement de campagnes de destruction des moyens de subsistance adverses, qui, s’ils se prolongent, empêchent les hommes de retourner à temps aux champs.

Cette recherche de la bataille rangée, frontale et décisive est un facteur de supériorité face à des cultures qui privilégient l’escarmouche, le raid, le pillage et la mobilité, comme à Gaugamelès en 331 av. J.-C. En effet, alors que les Perses ont réussi à percer le dispositif macédonien, ils n’encerclent pas les phalanges pour les détruire, mais se ruent vers le camp ennemi pour le piller. En revanche, une fois Darius hors d’atteinte, et alors même qu’il est déjà vainqueur, Alexandre se retourne contre la cavalerie perse pour l’anéantir.

La recherche occidentale de la bataille rangée conduit cependant à une impasse : au XXe siècle, personne ne souhaite plus affronter les armées occidentales en face, à part d’autres européens, et dans un cas comme dans l’autre la décision n’est ni rapide ni peu coûteuse.

Militarisme civique

Le militarisme civique, avec le modèle du soldat-citoyen, donne une grande résilience à l’Occident, qui peut perdre des armées entières et en lever de nouvelles très rapidement. Par exemple, à Cannes, en 216 av. J.-C., les Carthaginois infligent aux Romains une défaite écrasante. Mais ces derniers réussissent à lever une nouvelle armée grâce à l’extension de l’attribution de la citoyenneté à tous ceux qui servent dans la légion et à la mise en place d’un service militaire.

C’est Rome qui fixe le modèle occidental du citoyen-soldat possédant le droit de vote. La condition du légionnaire est codifiée par écrit dans le droit, dans les domaines de la solde, de la retraite, ou des sanctions.

Note de l’auteur : il est curieux de noter que la bataille de Cannes, idéal-type de la bataille décisive… n’a pas été décisive du tout.

Infanterie

L’Occident donne la primauté donnée à l’infanterie lourde d’hommes libres inspirée de la tradition antique, à la discipline et au collectif. La bataille de Poitiers en 732 illustre son efficacité face au nombre, à la cavalerie et aux prouesses individuelles des musulmans. Elle sera plus tard renforcée par l’usage des armes à feu.

Technologie

Les Occidentaux bénéficient d’une domination technologique qui est rendue possible par leur culture. En effet, si la poudre à canon a été inventée en Chine, ce sont bien les Européens qui ont développé les armes à feu à grande échelle. Ce sont l’organisation économique (capitalisme), politique (liberté) et la tradition intellectuelle (rationalisme) qui autorisent l’adoption et le développement d’une technique.

C’est cette domination technique qui permet à Cortès de s’emparer de Tenochtitlan en 1520-1521 malgré sa très nette infériorité numérique.

Capitalisme

Le capitalisme permet à l’occident de produire des armes très efficacement.

Les Occidentaux remportent la bataille de Lépante en 1571 parce que le capitalisme a permis à Venise de produire à profusion des armes efficaces, en l’occurrence des navires, sans que sa puissance soit tributaire de ses ressources, de la taille de son territoire ou de sa population. Le capitalisme lui-même n’existe que grâce à la liberté politique et au rationalisme.

Discipline

La discipline, qui n’est pas l’obéissance aveugle, est ce qui permet aux hommes de combattre en ordre et de tenir les rangs. Elle n’existe que parce que les relations entre le soldat et le pouvoir politique sont codifiées et acceptées. Pour l’Occident, la discipline est plus importante que la force ou la bravoure personnelle.

À Rorke’s drift, en 1879, c’est leur discipline qui donne la victoire à des Anglais largement en sous nombre.

Individualisme

La foi de l’Occident dans l’individu autorise des adaptations rapides à tous les niveaux. À la bataille de Midway en 1942, la chaîne de commandement américaine fut souple, capable de s’adapter et de faire preuve d’hétérodoxie, alors que les Japonais avaient un plan de conception et d’exécution rigide.

La puissance militaire du Japon, et sa technologie copiée sur l’Occident s’accordait mal avec sa culture, qui ne comprenait ni rationalisme ni liberté, et qui lui rendait difficile toute adaptation rapide.

Autocritique

Les opérations militaires occidentales sont soumises à un audit politique et à un examen public. Cela entretient un sentiment de responsabilité et permet une amélioration perpétuelle, même si paradoxalement ils gênent la conduite de la guerre en cours. Si l’offensive du Têt, en 1968, est repoussée par les Américains qui infligent de fortes pertes au Viêt-Cong, elle montre surtout à l’opinion publique états-unienne que les objectifs fixés sont loin d’être atteints. L’autocritique met à jour une impasse stratégique.  

Et finalement, si l’Amérique perd la guerre, son modèle en sort renforcé dans le monde. Grâce à la culture de la liberté et de l’acceptation de la contradiction, l’Occident conserve le monopole du récit.

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Selon V. D. Hanson dans Carnage et culture, la guerre à l’occidentale ne se fonde donc pas que sur la suprématie technique, mais sur tout un éventail d’institutions sociales, politiques, culturelles, responsables, en système, d’avantages militaires qui vont bien au-delà de la possession d’armes sophistiquées. Le paradigme occidental de la guerre mis en place depuis l’antiquité se caractérise aussi par sa létalité et son absence de rituels.

Finalement, la culture occidentale donne à notre manière de faire la guerre une plus grande résilience et une plus grande capacité de destruction. Elle ne s’accompagne d’aucun avantage sur le plan de la conduite stratégique des opérations. Nous tuons mieux, mais cela ne suffit pas aujourd’hui plus qu’hier pour gagner les guerres.

Loin d’une glorification de notre manière de faire la guerre, c’est cela qu’il nous faut retenir de Carnage et culture.

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Voir aussi Comprendre la montée aux extrêmes chez Clausewitz en cinq minutes.

Comprendre les cinq formes de courage chez Aristote en moins de cinq minutes

Aristote décrit cinq formes de courage dans Ethique à Nicomaque.

Dans Éthique à Nicomaque, Aristote traite de la morale, du bien et des vertus. Au livre III, il s’arrête quelques pages sur le courage.

Le courage chez Aristote

Pour Aristote, le courage est une vertu empreinte de modération, juste milieu entre la témérité et la crainte excessive.

Est courageux celui qui est capable d’endurer le risque de la mort, particulièrement à la guerre « au milieu des périls les plus grands et les plus glorieux ». Mais il existe une condition : que ses actes soient guidés par la raison. En effet, celle-ci doit amener à la conviction que soutenir les périls est ce qui est beau, c’est-a-dire au sommet du système de valeurs de la cité. Sans noblesse du motif de l’action, pas de véritable courage.

Aristote passe au crible cinq formes de courage, ou plutôt cinq comportements qui se rapprochent plus ou moins du courage tel qu’il l’a défini.

1. Le courage du citoyen

C’est celui qui se rapproche le plus du courage véritable. En effet, « les citoyens, semble-t-il, affrontent  les dangers tant par crainte des peines infligées par les lois et du déshonneur que par désir des charges honorifiques ». Il est donc produit tant par la recherche de l’honneur que par la volonté d’éviter la honte. Le courage des troupes contraintes par leur chef est d’un ordre inférieur, puisque ces hommes agissent par crainte, non du déshonneur, mais du châtiment. Elles sont forcées de se montrer braves, mais la fin qu’elles recherchent n’est pas en accord avec leur conduite.

2. L’attitude martiale

Le courage peut aussi provenir de l’expérience de la proximité des dangers : les troupes professionnelles savent faire la différence entre une situation sans véritable risque et un danger réel. Cependant, il n’y a là que l’apparence du courage, puisque cette expérience ne permet que de connaître la nature réelle du danger, non d’y faire face avec bravoure. Ainsi, des soldats de métier peuvent paraître courageux en présence de dangers qu’eux seuls savent inoffensifs, pour tourner les talons dès qu’une véritable menace apparaît.

3. Le courage de la colère

Le courage que procure la colère n’est là encore que l’apparence du courage véritable. En effet les choix opérés sous l’emprise de la passion ne le sont pas dans la recherche de l’honneur. C’est le courage des bêtes. L’homme aiguillonné par la passion ne devient véritablement courageux que s’il est d’abord guidé par la raison et qu’il poursuit un but noble.

4. Le courage procuré par la confiance

Le courage des gens pleins d’assurance n’est pas le véritable courage. Leur confiance ne provient que des victoires passées, et du fait qu’ils pensent qu’ils n’ont rien à craindre. C’est donc une illusion rassurante. Que survienne un revers, et elle s’effondre. 

5. L’ignorance du danger

Enfin, l’ignorance du danger ne saurait s’apparenter au courage. Elle n’est qu’inconscience.

Chez Aristote, le courage est donc une vertu individuelle et guerrière. Elle n’est réalisée que par une action noble conduite au nom d’un motif noble. Cette vertu s’insère dans le faisceau des représentations de la société grecque : c’est la cité qui prescrit ce qui est noble ou honteux. Le courage, même s’il est une vertu individuelle, est donc politiquement construit.

« l’homme courageux est à l’épreuve de la crainte autant qu’homme peut l’être. Aussi, tout en éprouvant même de la crainte dans les choses qui ne sont pas au delà des forces humaines, il leur fera face comme il convient et comme la raison le demande, en vue d’un noble but »

Aristote, Éthique à Nicomaque

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Voir aussi Comprendre la dimension morale du combat chez Ardant du Picq en moins de cinq minutes.

Comprendre la dimension morale du combat chez Ardant du Picq en moins de cinq minutes

Dans ses Études sur le combat (1880, posthume), le colonel Charles Ardant du Picq (1821 – 1870) se propose de partir du soldat et du combat tels qu’ils sont en réalité, et non de conceptions théoriques, afin de déterminer ce qu’il est possible de faire à la guerre.

En effet, les choses qui se conçoivent en esprit ou se mettent en œuvre sur le champ de manœuvre ne sont pas forcément réalisables au combat, à cause de cet « instrument premier de la guerre » qu’est l’homme, et de l’émotion souveraine à la guerre, la peur.

Il analyse les guerres antiques, et notamment les formations tactiques des Romains, avant de décortiquer le combat du XIXe siècle.

Dans ses Études sur le combat (1880, posthume), le colonel Charles Ardant du Picq (1821 - 1870) se propose de partir du soldat et du combat réels, et non de conceptions théoriques pour déterminer ce qu’il est possible de faire à la guerre. En effet, les choses qui se conçoivent en esprit ou se réalisent sur le champ de manœuvre ne sont pas forcément réalisables au combat, à cause de « instrument premier de la guerre » : l'homme.

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Le moral est la dimension clef du combat

Pour Ardant du Picq, le moral est la dimension clef du combat. Dès lors, toutes les prétentions à aborder la guerre de façon mathématiques sont vaines.

Il remarque qu’au combat, le feu n’est pas efficace. Les études de l’époque montraient qu’il fallait environ 3000 cartouches pour blesser un adversaire, en raison des conditions du combat comme la fumée provoquée par les armes, et surtout de la peur. On tirait alors vite et sans viser, afin de construire l’illusion de la sécurité et oublier le danger. A bien des égards, cela n’a pas changé. Il note que le feu des tirailleurs, moins exposés au danger parce que dispersés, est beaucoup plus efficace que celui des bataillons.

Le feu, physique, a moins d’effet sur l’ennemi que le mouvement, qui apporte la perspective morale du choc qui fait lâcher le plus fébrile. Ardant du Picq analyse des combats de cavalerie et d’infanterie pour montrer que le choc, le corps à corps, ne se produit pour ainsi dire pas. Il démontre que l’unité dont le moral est le plus faible, souvent l’unité qui doit soutenir le choc, tournera les talons à la seule perspective du contact physique avec l’ennemi.

La discipline selon Ardant du Picq

Dans ces conditions, comment maintenir les hommes au combat ? Seule la discipline le permet. Dans Études sur le combat, elle peut s’apparenter à de la surveillance mutuelle entre soldats, ou à ce que l’on pourrait appeler la pression sociale de l’unité. Notons que l’auteur considère que les châtiments permis à l’époque n’étaient plus assez efficaces pour faire tenir la troupe en ligne et qu’il fallait un autre levier.

La discipline ne doit en effet pas être comprise comme le fait d’obéir aux ordres sans broncher, mais bien comme ce qui rend capable de rester avec et pour ses camarades dans une situation que l’instinct commande de fuir.

Finalement, les organisations militaires et les systèmes de commandement sont d’abord et avant tout des mécanismes de gestion de la peur.

« Le combattant est de chair et d’os, il est corps et âme, et, si forte que soit l’âme, elle ne peut dompter le corps à ce point qu’il n’y ait révolte de la chair et trouble de l’esprit en face de la destruction ».

Colonel Charles Ardant du Picq, Études sur le combat, PARIS, HACHETTE, 1880

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Études sur le combat sur Gallica

Voir aussi Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

Voir aussi L’Apparition du Soldat : La Bataille de Solférino, Sur le champ.