Sobriété énergétique et engagement opérationnel

« Comme toute action, la guerre est travail : elle consomme de l’énergie, sous diverses formes, prélevées sur les potentiels et activités des belligérants au profit de leurs appareils de guerre. »

Lucien Poirier, Des stratégies nucléaires (Paris : Éditions Complexe, 1988) : 166.
Sobriété énergétiques et forces armées

La guerre ne semble pas compatible avec la notion de sobriété énergétique. En effet, dans ce choc des volontés où les protagonistes ont choisi la force pour résoudre leurs différends, il s’agit bien d’imposer sa supériorité sur son adversaire.

Cependant, une sobriété énergétique adaptée aux enjeux opérationnels ne pourrait-elle pas représenter un élément de supériorité opérationnelle ?

La notion de sobriété énergétique a progressivement émergé comme une des réponses pour faire face aux enjeux environnementaux et aux contraintes pesant sur l’approvisionnement en énergie (accessibilité, raréfaction, besoins croissants). Elle est définie comme une démarche visant à réduire les consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective.

Appliquée aux armées, cette sobriété énergétique prendrait la forme d’un ensemble de mesures qui modèreraient et optimiseraient l’utilisation des ressources énergétiques, tout en assurant la primauté des enjeux opérationnels. Elle reposerait sur un changement de comportement individuel et collectif, et sur un ethos de sobriété.

La question énergétique dans les armées

Dans les armées, l’énergie est scindée en deux ensembles à la finalité différente : énergie de mobilité et énergie d’infrastructure ou de stationnement.

Il est aussi nécessaire de distinguer les contextes de sa consommation. Un contexte opérationnel (la préparation opérationnelle, les engagements) diffèrera du service courant. Par conséquent, en fonction du « consommateur » et du contexte, la nature du besoin, en quantité comme en qualité, et les contraintes seront différentes.

Des besoins hétérogènes

Le besoin est hétérogène et s’inscrit dans une tendance haussière. En effet, la modernisation des équipements, indispensable pour asseoir une supériorité technologique, l’amélioration des conditions de stationnement des troupes ainsi que la numérisation des postes de commandement ont induit une forte dépendante à l’électricité. Dès lors, les forces doivent piloter leurs approvisionnements en énergie sous forme électrique. Ces derniers sont issus d’accumulateurs, de groupes électrogènes, ou issus à la marge du réseau électrique local.

À ce besoin d’énergie électrique vient s’adjoindre le besoin principal des armées : l’énergie de mobilité, celle nécessaire pour combattre en opération. Ce besoin est principalement satisfait par les hydrocarbures dont les propriétés attendues dépendent du consommateur. Par exemple, l’armée de l’air possède des exigences de performance spécifiques pour ses aéronefs. Certaines puissances maîtrisant l’atome y ont recours pour fournir les ressources énergétiques à des navires tels que des porte-avions et des sous-marins. L’usage de cette technologie, loin d’être anecdotique, ne peut toutefois être une solution pour la totalité d’une force militaire.

Des besoins dissymétriques

Mais surtout, le besoin énergétique pour produire de la puissance militaire est dissymétrique. Il l’est pour des questions de quantité et de répartition physique du besoin sur le théâtre d’opérations. L’armée de l’Air constitue de loin la première consommatrice de carburant, devant la marine et l’armée de Terre.

Cette énergie opérationnelle s’articule autour de stocks et de flux. Ils sont répartis entre la zone logistique principale en entrée de théâtre et la ligne des contacts. Aussi, à une massification des stocks en zone arrière s’opposera un fractionnement de la ressource vers l’avant.


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Sobriété énergétique : gains espérés

Les gains générés par une sobriété énergétique adaptée seraient de trois ordres : opérationnel, financier et de réputation.

Tout d’abord, d’un point de vue opérationnel, une moindre consommation réduirait notamment l’empreinte logistique de la force. Elle limiterait en outre l’allocation de ressources pour acheminer et protéger les flux et les stocks. Par ailleurs, une moindre consommation permettrait de donner une liberté d’action supplémentaire au chef tactique. Il pourrait conduire sa manœuvre et ainsi conserver et saisir l’ascendant sur un ennemi lui-même soumis à des contraintes énergétiques. Par transposition, ces gains de niveau tactique s’appliqueraient également au niveau opératif, en renforçant l’endurance de la force sur un théâtre, notamment dans un contexte expéditionnaire ou de déni d’accès.

D’un point de vue financier, la courbe des prix des carburants possède une incidence forte sur le budget des armées. Le poids financier des ressources énergétiques dans les opérations se renforcera inexorablement sous l’effet de facteurs tant endogènes (hausse du besoin énergétique) qu’exogènes (raréfaction des ressources… etc.). Les surcoûts induits pourraient notamment pénaliser la préparation opérationnelle. Pour donner un ordre de grandeur, le coût actualisé du carburéacteur acheté s’élève à 888 euros par mètre cube (euros/m3) en moyenne sur l’ensemble de l’exercice budgétaire 2022. Or, les hypothèses ne prévoyaient que 512 euros/m3. Ainsi, une approche des opérations plus frugale en matière d’énergie contribuerait à la soutenabilité de l’effort militaire, notamment dans le cadre d’un engagement choisi. Cela offrirait aussi des économies substantielles.

Enfin, l’appropriation d’une sobriété énergétique choisie par les armées induirait aussi des gains subsidiaires pour son image et son acceptabilité. En effet, elle favoriserait l’attractivité des armées dans des perspectives de recrutement et de fidélisation. Elle renforcerait de surcroît l’acceptabilité de la force lors de son engagement à l’étranger en réduisant son empreinte environnementale locale.

Leviers possibles pour gagner en sobriété énergétique

La recherche d’une meilleure performance énergétique est depuis longtemps un dénominateur commun dans le développement des capacités militaires. Il s’agit d’une amélioration de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire réaliser le même « service » en consommant moins d’énergie.

La première piste d’évolution n’est pas des moindres. Il s’agirait de bâtir un éthos de sobriété énergétique afin d’inscrire cet enjeu dans les actions individuelles et collectives d’une force opérationnelle. En maniant les outils que sont la responsabilisation et la contrainte, il serait possible d’infléchir les comportements et les habitudes. Dès lors, la contrainte énergétique serait intégrée au plus tôt dans la formation et la préparation opérationnelle. Cette démarche s’inscrirait ainsi dans l’esprit d’un système de management de l’énergie. Chacun y deviendrait un acteur de la performance globale au travers du pilotage de la ressource. Une fois acquis les savoir-faire tactiques et techniques, les procédures mériteront d’être revues à l’aune de ce nouveau facteur. Ceci devrait également se traduire par une meilleure préservation de la ressource en favorisant sa dissimulation, sa dispersion ou encore le durcissement de la protection des stocks.

Capitalisant sur la transformation entreprise, il deviendrait pertinent de considérer l’énergie comme un élément à part entière du potentiel de combat d’une force au même titre que les potentiels humain et matériel. Les travaux de planification opérationnelle devraient inclure le facteur énergétique au juste niveau. Il suffirait pour cela d’inclure le poids de l’énergie opérationnelle dans les critères d’analyse et de comparaison. De même, un pilotage de cette ressource à l’échelle du théâtre permettrait l’optimisation de la logistique du niveau tactique. Ces deux aspects seront tributaires du développement de la fonction conseiller « Énergie » à tous les niveaux stratégique, opératif et tactique.

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Les armées modernes transforment l’énergie en puissance militaire. Or, on peut constater le renforcement permanent des contraintes sur l’énergie. La sobriété énergétique permettrait de dégager des marges de manœuvre supplémentaires au profit de l’efficacité opérationnelle. Elle constituerait un levier supplémentaire pour contribuer à préserver la liberté d’action de la force et son endurance.