Histoire du porte-avions

L’histoire du porte-avions est un élément clef mais peu connu de notre histoire militaire. Premier article de Le Grognard nous emmène dans un périple dédié aux monstres de mers.

Entre les premiers porte-avions comme le HMS Furious et le dernier-né Gerald Ford, un siècle d’évolution technique s’est écoulé. Une rétrospective s’impose pour comprendre la naissance et l’évolution de ces géants des mers.

Histoire du Porte-avions. Le HMS Furious, dérivé de la classe de croiseur de bataille courageous en service dans la Royal Navy de 1917 à 1948.

Le HMS Furious, dérivé de la classe de croiseur de bataille courageous en service dans la Royal Navy de 1917 à 1948.

La naissance du porte-avions

Histoire des premiers porte-avions

Le porte-avion apparaît peu de temps après l’aviation militaire, au début du XXe siècle. Au commencement, on transforma des bâtiments déjà existants (contre-torpilleur Foudre, USS Pennsylvania) pour leur permettre la mise en œuvre d’aéronefs. L’aéronavale durant le premier conflit mondial fut essentiellement composée d’hydravions, et peu active. On doit la première attaque aéronavale de l’histoire aux Japonais en 1914. Ils opèrent depuis le transporteur d’hydravions Wakamiya pour bombarder la baie de Jiaozhou sous contrôle de l’empire colonial allemand en Chine continentale.

l’entre-deux guerres

Ce n’est que dans l’entre-deux-guerres que le porte-avion pris une forme se rapprochant de la silhouette actuelle qu’on lui connait. Clément Ader, le père français des porte-avions, dira en 1909 dans son ouvrage l’Aviation militaire :

« Un bateau porte-avions devient indispensable. Ces navires seront construits sur des plans différents de ceux usinés actuellement. D’abord, le pont sera dégagé de tout obstacle ; plat, le plus large possible, sans nuire aux lignes nautiques de la carène, il présentera l’aspect d’une aire d’atterrissage. Le mot atterrissage n’est peut-être pas le terme à employer, puisqu’on se trouvera sur mer, nous lui substituerons celui d’appontage ».

Clément Ader, l’aviation militaire 1911.

On ajouta un îlot, puis on décida la construction de bâtiments spécialisés (HMS Furious, Béarn). Le porte-avion était né. Son utilisation fut démocratisée lors du second conflit mondial par la flotte impériale japonaise et l’US Navy dans la bataille du Pacifique, notamment lors des batailles de la mer de Corail et Midway. Ils redéfinirent la tactique navale en allongeant  le rayon d’engagement d’une force, permirent le renouveau du « fleet in being » et  deviennent un élément clef de la diplomatie navale

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N.B. : La doctrine « fleet in being » ou flotte de dissuasion trouve son origine avec le comte de Torrington, connu sous le nom d’Herbet en 1690. À ce moment-là, il fait face à une flotte française à son apogée (bataille de Bévézier). L’idée était de conserver sa flotte intacte, même en état d’infériorité et de livrer le combat dans des conditions favorables. Le simple fait qu’une force britannique, même inférieure, croise au large des côtes continentales, faisait peser une menace existentielle qui obligeait la flotte française à scinder ses forces pour parer à cette menace. La doctrine a plus tard été reprise par l’amiral Phillip Colomb dans son ouvrage « naval warfare » de 1891. Côté français, on peut citer plus récemment l’amiral Duval qui fait lien entre « flotte in being » et l’actuelle dissuasion.

La Bataille du pacifique : un moment clef de l’histoire des porte-avions

Pearl Harbor

C’est lors de la bataille du pacifique qui opposa l’US Navy a la Marine impériale japonaise que les portes avions s’imposèrent. Le moment le plus connu est l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941 à Hawaï dans le pacifique.

L’objectif pour les Japonais est la destruction de la flotte américaine et le lancement d’une vaste opération navale et terrestre en direction de la Malaisie, Birmanie, Hong Kong, Singapour et enfin des Philippines. L’amiral Yamamoto disait : « Si nous devons faire la guerre à l’Amérique notre seule chance de vaincre serait de détruire la flotte américaine des eaux d’Hawaï ».

Pour la réussite du plan, la flotte impériale mise sur l’effet de surprise et sa concentration de force composée de six porte-avions mettant en œuvre 180 aéronefs (40 avions torpilleurs, 100 bombardiers, 43 chasseurs). Le résultat fût terrible, du côté américain on dénombre :

  • 2 cuirassés coulés
  • 6 cuirassés endommagés
  • 200 avions détruits
  • 128 avions endommagés
  • 2 403 tués ou disparus

Le lendemain, les États-Unis déclarent la guerre au Japon, ils entrent officiellement dans le conflit mondial.

L’amiral Yamamoto

Les armes et la toge, l'amiral Yamamoto

Isoroku Yamamoto (1884-1943) est un marin Japonais. Personnalité marquante de la Seconde Guerre mondiale, il a commandé les forces navales japonaises pendant la première partie de la guerre du Pacifique. Il a organisé et dirigé l’attaque de Pearl Harbor. Il connait bien les états unis pour y avoir séjourné de 1919 à 1921 à l’université Harvard. Considéré comme un stratège brillant, il avait très vite compris le potentiel des porte-avions et des sous-marins. Il avait aussi prédit que la supériorité japonaise ne durerait que six mois à un an dans le Pacifique, la bataille de Midway lui donna raison. Il mourut le 18 avril 1943 lors de l’opération Vengeance, lorsque le bombardier qui le transportait fut attaqué, ainsi que son escorte, par une escadrille américaine, avertie du voyage après avoir percé le code de transmission japonais.

Bataille de la mer de Corail

La bataille de la mer du corail eut lieu du 7 au 8 mai 1942, opposant l’US Navy à la Marine impériale japonaise. C’est la première bataille uniquement aéronavale. Elle résulte de la volonté Nippone d’envahir Port Moresby, au sud de la Nouvelle-Guinée, et Tulagi, au sud-est des îles Salomon. Leur force d’invasion est composée de :

  • 2 porte-avions
  • 1 porte-avion léger
  • 9 croiseurs
  • 15 destroyers
  • 1 pétrolier
  • 1 transport d’hydravions
  • 12 transports
  • 127 appareils

Quant à elle l’US Navy était composée de :

  • 2 porte-avions
  • 9 croiseurs
  • 13 destroyers
  • 2 pétroliers
  • 1 transport d’hydravions
  • 128 appareils

La bataille voit les deux forces se neutraliser. Le bilan est équilibré avec un porte-avions coulé de part et d’autre. Concernant les pertes humaines, le bilan est plus lourd côté japonais et va provoquer un manque de pilotes, les plus expérimentés étants morts durant l’affrontement.

Midway : la suprématie des porte-avions

La bataille de Midway eu lieu le 6 juin 1942 et marque définitivement l’ascendant américain sur la Marine impériale, donnant raison à l’amiral Yamamoto. La présence américaine dans cet archipel est une menace permanente pour les Japonais qui décident de s’en emparer. Sur le papier ils disposent de moyens considérables :

  • 4 porte-avions
  • 2 cuirassés
  • 2 croiseurs lourds
  • 1 croiseur léger
  •  8 destroyers
  • 10 navires de soutien
  • 248 avions embarqués

La flotte américaine se compose de :

  • 3 porte-avions
  • 7 croiseurs lourds
  • 1 croiseur léger
  • 15 destroyers
  • 233 avions embarqués
  • 127 avions basés à terre

L’amiral Yamamoto commit une erreur qui coûta chère aux Japonais. Il dispersa sa force en trois groupes qui ne purent se porter assistance. Ils perdirent leurs avantages numériques et matériels. Les Américains concentrèrent leurs forces sur le groupe de l’amiral Nagumo[1].

Les pertes japonaises furent terribles avec :

  • 4 porte-avions
  • 1 croiseur lourd
  • 248 avions
  • 3 057 morts

Du coté américain les pertes sont relativement faibles :

  • 1 porte-avion
  • 1 destroyer
  • 107 avions
  • 307 morts

La victoire de l’US Navy est décisive, la Marine impériale perd définitivement sa suprématie.

Comme on vient de le voir, ces trois batailles illustrent le bouleversement que produisit l’utilisation de groupes aéronavals. Que ce soit via des raids navals comme l’avait prédit l’amiral Castex, ou du « combat d’escadre », qui va nécessiter le contrôle aéromaritime d’une zone dans le cadre d’une projection de puissance.

Dès lors la supériorité aéromaritime devient une nécessité dans le combat naval.

À la sortie du second conflit mondial, le porte-avion était devenu le capital ship[2], succédant au cuirassé. Soutien aux opérations amphibies, frappe dans la profondeur, supériorité navale, éclairage d’une force navale, il devint un atout incontournable pour toute marine ayant pour ambition d’être une force de premier rang.

Histoire des porte-avions : l’évolution de la flotte mondiale depuis 1945

Après la Seconde Guerre mondiale l’US Navy alignait une centaine de porte-avions [20 porte-avions lourds classe Essex, 8 porte-avions légers classe Independence, 70 porte-avions d’escorte]. Elle en céda une partie à ses alliés et condamna le reste. Comme le souligne Hervé Coutau-Bégarie, dans les années 60, en dehors des États-Unis, seules la France et la Grande-Bretagne sont capables de construire des porte-avions[3], de sorte que dix marines mettent en œuvre des porte-avions. Trois d’entre elles en arment plusieurs : États-Unis, Grande-Bretagne, France. Sept n’en possèdent qu’un : Argentine, Australie, Brésil, Canada, Espagne, Inde et Pays-Bas.

Par la suite, le développement des technologies à réaction, rendant les avions toujours plus lourds, et l’apparition de la propulsion nucléaire firent monter drastiquement les coûts d’acquisition de ces géants. C’est pourquoi plusieurs marines abandonnèrent leurs capacités aéronavales. De sorte qu’à la fin de la guerre froide en 1990, seuls neuf pays possédaient des capacités aéronavales, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’URSS, Italie, Espagne, Inde, Argentine et Brésil.

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Nous venons de voir la naissance de géants des mers et l’évolution qu’ils ont apportés dans le combat naval à travers le second conflit mondial, entrainant leur statut de capital ships. Dans notre prochain article, nous différencierions les différentes catégories de porte-avions.

Le Grognard

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[1] Chūichi Nagumo (1887-1944) est une personnalité importante de la Marine impériale japonaise. Il a commandé la Force Mobile de grands porte-avions, qui est allée de succès en succès, de l’attaque de Pearl Harbor (7 décembre 1941) au raid sur Ceylan (5-9 avril 1942), mais qui a subi une terrible défaite à la bataille de Midway. Il n’a plus eu de commandement à la mer après novembre 1942. En juillet 1944, il se suicide pour ne pas être fait prisonnier lors de l’attaque américaine sur les îles Mariannes.

[2] Voir section 2.4 vaincre en mer au XXIe siècle, Thibault Lavernhe (Commandant) Francois-Olivier Corman (Commandant), équateur 2023 : « la première catégorie est celle des escadres composées de bâtiments dits “capitaux” (capital ships en terme anglo-saxons) et de leurs escortes, conçues pour la guerre d’escadre dans un but de destruction de la flotte adverse. Hier galères puis vaisseaux, ces bâtiments capitaux se sont incarnés à l’époque contemporaine dans les cuirassés puis dans les portes-avions.(…) d’autre part, car les capital ship ont vu leur action basculer progressivement de la conquête du milieu maritime vers son exploitation, comme en témoigne l’emploi majoritaire des portes avions dans des campagnes aéroterrestres depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. »

[3] Hervé Coutau Bégarie, Le problème du porte-avion Economica 1990.