Qu’est-ce que la guerre asymétrique ?

Qu’est-ce que la guerre asymétrique ?Soldats américains en Afghanistan

La guerre asymétrique, tout le monde sait ce que c’est… à peu près. Mais curieusement, il est assez difficile de trouver des articles de vulgarisation de qualité qui en traitent. Il n’y a qu’à regarder la page Wikipédia sur le sujet… Pourtant, ce concept a donné naissance à une littérature particulièrement abondante chez les spécialistes. D’autant que les forces armées occidentales, depuis 2001, se montraient incapables de s’imposer dans ce type de conflits.

Alors, la guerre asymétrique, c’est quoi ?

Une asymétrie, des asymétries

Commençons par un peu de vocabulaire. Un conflit est dit « symétrique » lorsqu’il oppose deux armées de même nature et dont les moyens sont à peu près du même niveau. Par exemple, la France et l’Allemagne en 1914 ou 1939. Il est dissymétrique quand les forces en présence utilisent des systèmes de combat plus ou moins identiques, mais ont des moyens très inégaux, comme pendant de la guerre du Golfe ou celle de Géorgie en 2008. 

Une guerre est asymétrique lorsque les différences entre les parties au conflit sont de trois ordres : moyens, procédés, volonté.

Asymétrie de moyens et de procédés

Elle oppose deux adversaires aux moyens particulièrement déséquilibrés. L’un a la capacité de se projeter pour détruire l’adversaire chez lui, ce que l’autre n’a pas les moyens de faire. Le meilleur exemple est bien sûr la guerre d’Afghanistan. La première armée du monde, dotée d’une supériorité technologique écrasante, affronte des bandes de talibans très légèrement équipés. Ces derniers sont incapables s’opposer de vive force à la coalition et doivent recourir à des tactiques de guérilla.

Cette asymétrie des moyens provoque en effet une asymétrie de procédés tactiques. Face à un ennemi très supérieur en nombre et en moyens, qui recherche le contact et la destruction, le combattant asymétrique n’a pas d’autre choix que d’employer les procédés tactiques de la guerre irrégulière : l’évitement, la guérilla, le terrorisme. Il tente simplement de survivre. Pour lui, ne pas être anéanti représente déjà une victoire.

Il se sert de sa connaissance du terrain et de la population pour poser un insoluble dilemme de sureté à son adversaire. Partout il porte des petits coups, sur des cibles peu défendues, puis se dissout dans la population. Il fait donc durer la guerre en usant la volonté de combattre de son adversaire. C’est la « manœuvre par lassitude » décrite par le général Beaufre.

Asymétrie des volontés

C’est là la dernière asymétrie, et la plus importante : l’asymétrie des volontés. Dans Why big nations loose small wars, qui est le texte qui introduit le concept d’asymétrie en 1975, Andrew Mack ne parle pas d’asymétrie de moyens ou de procédés, mais d’asymétrie des volontés. En effet, Mack tente de tirer les leçons de la guerre du Vietnam et des conflits de décolonisation. Il note que la volonté du camp qui lutte dans une opération étrangère, loin de chez lui, dans une guerre choisie à laquelle il peut mettre fin à tout moment, mais qui lui coûte économiquement et politiquement, s’effritera plus vite que celle de celui qui combat pour sa survie. Comme le cœur de l’affrontement guerrier est la dialectique des volontés, le plus faible n’est pas celui que l’on croit…

Qu’est-ce que la guerre asymétrique ?
Asymétrie des volontés au Vietnam.

Cette asymétrie des enjeux ou des volontés est au centre de la guerre asymétrique. Nul ne songe à parler de guerre asymétrique pour évoquer, par exemple, les conflits en Tchétchénie. En effet pour les Russes la défaite n’était pas une option.

Attention aussi à l’anachronisme, qui voudrait voir dans n’importe quel emploi de troupes légères ou de tactiques de guérilla dans l’histoire un conflit asymétrique… Andrew Mack introduit ce concept au milieu des années 70 pour faire référence à un type de conflit bien particulier, qui s’est ensuite trouvé « enrichi », quoique l’on puisse légitimement dire « dévoyé », au début du XXIe siècle, mais toujours en rapport avec une certaine synthèse contemporaine de l’art de combattre occidental.

Une guerre asymétrique est donc caractérisée par une asymétrie de moyens, qui mène à une asymétrie de procédés, dans le cadre d’un affrontement des volontés aux enjeux asymétriques.

Guerre asymétrique ou guerre irrégulière ?

L’asymétrie utilise les procédés tactiques de la « guerre irrégulière » .

Le modèle de l’« irrégularité » se comprend par rapport au modèle « régulier », dont il serait la quasi-antithèse. Ce modèle « régulier » est bien sûr le modèle occidental de la guerre, qui est aujourd’hui partagé par bien des nations non occidentales.

NDA : précisons qu’il ne s’agit pas ici de déterminer si ce modèle est justement analysé ou s’il est une construction artificielle contre-productive.

Le modèle occidental serait celui de la bataille, de la recherche de la destruction dans le choc de masses de manœuvre équipées d’armement lourd et sophistiqué. L’anéantissement des forces armées est, dans ce paradigme, nécessaire et suffisante pour créer un nouveau rapport de forces politique qui mettra fin à la guerre. Ce type d’affrontement particulièrement violent est tout de même borné par un certain nombre de règles, le droit de la guerre. La première de ses lois est la distinction entre combattants et non-combattants.

L’irrégulier défie ce modèle point par point. Refusant la bataille, il pratique l’esquive, et évite par-dessus tout les combats d’anéantissement. Légèrement équipé, il réfute l’opposition entre combattants et non-combattants, en se fondant dans la population et s’en prenant à elle si nécessaire. Comme il est déjà dans la clandestinité, la destruction de ses unités n’influe que peu sur le rapport de force politique. Bref, s’il joue selon les règles de la guerre fixées par le camp le plus puissant, il perd. Il lui faut donc en inventer d’autres.

Distinction guerre asymétrique – guerre irrégulière

Mais alors, quelle différence entre guerre asymétrique et guerre irrégulière ? Si l’on peut dire que le concept de guerre irrégulière est plutôt centré autour de procédés tactiques, et de son lien avec un art de la guerre dit « classique », celui d’asymétrie porte d’abord sur la caractérisation des parties au conflit. Toutefois, ces deux concepts sont très proches, car l’asymétrique est contraint d’employer exclusivement les procédés de la guerre irrégulière à cause de son rapport de forces très défavorable.

Pourquoi perd-on ces guerres asymétriques ?

Qu’est-ce que la guerre asymétrique ?

À l’heure de la chute de Kaboul, pourquoi perd-on ces guerres ? Pour Mack, la réponse serait claire : les enjeux n’étant pas du même niveau, la volonté du camp expéditionnaire s’avère rapidement insuffisante pour mener la guerre aussi longtemps et aussi durement qu’il le faudrait. Il finit par se lasser et se retire. Mais développons un peu, pour les guerres expéditionnaires conduites par les démocraties occidentales après 2001.

Dépolitisation de la guerre

La première raison de ces échecs, et sans aucun doute la principale, est la dépolitisation de la guerre. En considérant de l’ennemi comme un terroriste, donc un criminel, on nie la dimension politique de son combat. Nous recherchons donc son anéantissement total et refusons de négocier avec lui pendant qu’il en est encore temps. Par voie de conséquence, la victoire militaire ne peut pas produire d’effet politique. Cela d’autant plus que les objectifs politiques des occidentaux, quand ils existent, sont peu clairs ou irréalistes. Comment croire en effet que l’on peut démocratiser l’Afghanistan en quelques années ? Entre la Révolution française et un régime démocratique stable en France, il s’est passé près d’un siècle et plusieurs guerres qui ont enflammé l’Europe. Si la contre-insurrection est incapable de couper la guérilla de ses soutiens extérieurs, la guerre se poursuit donc indéfiniment, tendue vers un impossible anéantissement.

Face à un blocage militaire — la destruction des forces ennemies ne provoque pas de victoire politique —, les armées cherchent alors d’autres moyens de créer ce nouveau rapport de forces politique. Elles vont s’adapter au style de combat adverse, et tenter de « gagner les cœurs et les esprits » de la population.

Gagner les cœurs et les esprits, mais perdre les corps

Évidemment, des armées professionnelles aux effectifs réduits ne peuvent contrôler cette population ; il faut donc mettre en avant les troupes locales, formées, entraînées et équipées à l’occidentale. Mais leur combativité, peut-être de ce fait même, s’avère souvent questionnable. Or, quand bien même le peuple plébisciterait le projet politique porté par ces troupes (ce qui est déjà assez improbable), cette bataille des cœurs et des esprits est, elle aussi, asymétrique. Quand le camp soutenu par l’Occident va rechercher l’adhésion de la population, l’adversaire asymétrique utilisera lui un mélange d’adhésion et de terreur. Qui dénoncerait des combattants cachés dans son village au risque de voir sa famille massacrée ?

Enfin, lorsqu’au bout de plusieurs années, de guerre lasse, les nations occidentales acceptent de négocier, elles ne sont plus en position de force. Elles doivent se retirer sans lauriers.

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La guerre asymétrique, c’est donc la rencontre entre des belligérants dont les forces sont si inégales que le plus faible ne peut accepter un combat direct. Il doit recourir des modes d’action alternatifs, tels que la guérilla ou le terrorisme. Mais une asymétrie des enjeux vient compenser cette asymétrie de moyens. L’un lutte pour sa survie, l’autre dans un conflit choisi qu’il peut abandonner à tout moment. La dialectique des volontés étant au cœur de la guerre, le rapport de forces s’inverse peu à peu.

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C’est dans cette asymétrie des volontés que réside en réalité l’essence de la guerre asymétrique. Loin de représenter un quelconque changement dans la nature de la guerre, cela confirme son caractère politique.

Tipez ici !

On se sent toujours un peu idiot quand on découvre un nouveau concept dans une publication anglo-saxonne. Il va de soi pour l’auteur (mais oui, enfin, la 4rth generation warfare !), mais nous, on n’en a jamais entendu parler… La guerre en boîte est une nouvelle série d’articles consacrée à des concepts stratégiques et militaires qui tentent, parfois à leur corps défendant, de caractériser la guerre, de la mettre en boîte.

Voir aussi le système thalassocratique chez Thucydide.