Comprendre l’approche indirecte chez Liddell Hart en moins de cinq minutes

Dans Strategy, Sir Basil Henry Liddell Hart développe la notion d’approche indirecte. Il brosse un panorama de l’histoire militaire de l’antiquité à la Seconde Guerre mondiale, pour démontrer que l’approche indirecte permet des résultats bien plus décisifs pour un coût sensiblement moindre que l’approche directe.

Dans Strategy, Sir Basil Henry Lidell Hart développe la notion d’approche indirecte. Il brosse un panorama de l’histoire militaire de l’antiquité à la Seconde Guerre mondiale, pour démontrer que l’approche indirecte permet des résultats bien plus décisifs pour un coût sensiblement moindre que l’approche directe.

Eviter l’action du fort au fort

Liddell Hart oppose l’approche indirecte, qu’il entend défendre, à l’attaque directe de l’armée ennemie, dont il fait de Clausewitz le principal apôtre. En effet, dans une approche du fort au fort, même en cas de victoire, il est probable que le vainqueur ne soit plus en mesure d’exploiter son succès.

Il utilise, entre autres exemples, la bataille de Malplaquet. En 1709, les Français sont aux abois ; la supériorité numérique des coalisés (Angleterre, Autriche, Hollande) est très importante. De ce fait, Marlborough et le prince Eugène choisissent l’approche directe, avec le résultat que l’on connaît. Leurs pertes sont telles que malgré la victoire elles ruinent tout espoir de gagner la guerre.

Une approche géographique

Selon Liddell Hart, une série de mouvement sur la ligne de moindre attente, qui menacerait plusieurs objectifs à la fois, doit permettre de surprendre l’ennemi et de le frapper là où il est faible, tout en le maintenant dans l’incertitude, « sur les cornes d’un dilemme » (Sherman). Ce procédé se serait montré beaucoup plus décisif et économe à travers l’histoire que l’attaque directe de l’armée adverse.

Ainsi, en 1864, le raid de Sherman ne vise pas l’armée sudiste, mais les villes. Il prend soin de toujours se déplacer sur une direction qui oblige les forces confédérées à couvrir plusieurs objectifs. Ce mouvement se montre décisif et précipite la défaite de la confédération.  

L’approche indirecte chez Lidell Hart est donc dans un premier temps géographique, mais elle possède aussi une autre dimension.

Ruse et psychologie

La dimension géographique de l’approche indirecte, qui apporte surprise et indécision, est indissociable de sa dimension psychologique.

Les récits de ruses de guerre sont nombreux dans Stratégie, comme celle de Bonaparte à Arcole, qui envoie ses trompettes derrière les lignes ennemies pour sonner une charge fictive. La ruse recherche un effet psychologique. Elle cible l’esprit du chef adverse. L’approche indirecte vise à déséquilibrer l’ennemi psychologiquement au moins autant que physiquement.

Liddell Hart prend l’exemple de la capitulation allemande à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1918, les armées allemandes, indéniablement en mauvaise posture, ne sont pas pour autant vaincues. Pourtant, l’Allemagne capitule. Cela s’explique par le fait que l’offensive de l’Entente dans les Balkans a ébranlé la confiance de l’État-major allemand, qui ne voyait, peut-être à tort, aucune issue possible à sa situation.

Déséquilibre et centre de gravité

L’objectif reste donc la mise en déséquilibre de l’ennemi, par l’action sur ses forces, mais aussi sur la psychologie de son chef.

Finalement, le cœur de l’analyse de Liddell Hart reste la recherche du centre de gravité ennemi, qui n’est certes pas nécessairement son armée. Il peut être matériel, par exemple ses arrières, comme immatériel : l’esprit de son chef.

Il ne s’agit pas d’attaquer l’ennemi simplement là ou il est le plus faible, mais bien de trouver sur quel point appuyer pour déséquilibrer le dispositif ennemi avec un minimum de pression. Liddell Hart est probablement beaucoup plus proche de Clausewitz qu’il ne le pense…

Stratégie et Grande stratégie

L’analyse se limite à l’emploi de moyens militaires, au sein d’un conflit armé. C’est parce que chez LIdell Hart la « stratégie » est bornée par la guerre et se limite à l’emploi des forces armées. Seule la « grande stratégie » regarde au-delà de l’horizon de la guerre et envisage l’emploi de moyens non militaires.

Notons enfin que la lecture que Liddell Hart fait de Clausewitz semble un peu rapide. Sa pensée est caricaturée en un dogme de l’attaque frontale et irréfléchie du point le plus fort de l’ennemi. Or, De la guerre contient bien davantage. Mais l’aborder ici nous ferait dépasser cinq minutes…

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Comparer avec la stratégie intégrale du général Poirier.

Se faire une idée sur Clausewitz avec notre mini-dossier :

L’étonnante trinité chez Clausewitz, et pourquoi le maître décrit la guerre comme un caméléon.

La montée aux extrêmes. Guerre absolue, guerre réelle.

La friction chez Clausewitz

Le centre de gravité chez Clausewitz

Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens

Comprendre La France périphérique de Christophe Guilluy en moins de 5 minutes.

Dans Fractures françaises et La France périphérique, Christophe Guilluy, géographe, introduit le concept de France périphérique qui a pu être utilisé pour éclairer le mouvement des gilets jaunes.

Selon C. Guilluy, deux France se font face : la France des métropoles et des banlieues, connectée et dynamique, et la France périphérique.

Selon Christophe Guilluy, deux France se font face qui n’ont pas le même rapport à la mondialisation : la France des métropoles et des banlieues, connectée et dynamique, et la France périphérique, celle des petites villes sinistrées par la désindustrialisation, et du rural que désertent les services publics.

L’exode urbain

Les classes populaires blanches et d’immigration ancienne ont quitté les grandes villes pour suivre l’emploi industriel. Les logements populaires à la périphérie immédiate des villes ont ensuite été occupés par les populations immigrées. Ces nouveaux arrivants servent de prolétariat de service aux employés hautement qualifiés des métropoles.

Des rapports différents à la mondialisation

Les métropoles rassemblent les populations qui se projettent le mieux dans un récit mondialisé, les classes dominantes et les immigrés. Elles concentrent la création de richesse. En effet, 40% de la population y crée les deux tiers de la richesse du pays. L’emploi s’y est spécialisé dans les postes de cadres d’entreprises multinationales de haut niveau, avec de hauts revenus. Quant aux banlieues, si elles sont déconnectées du marché de l’emploi par un manque de qualification, elles parviennent tout de même à s’insérer dans le tissu économique métropolitain en fournissant une main d’oeuvre facilement exploitable. Elles permettent ainsi à la population aisée des métropoles de bénéficier de services à coût raisonnable.

La France périphérique, regroupant 60% de la population, s’identifie davantage à un récit national et montre sa difficulté à se projeter dans la mondialisation. Elle subit de plein fouet la désindustrialisation. Les populations peu qualifiées hors des métropoles sont à la peine financièrement, et sont privées de perspective. En effet elles sont coupées de la meilleure offre scolaire comme des emplois les mieux rémunérés. Le retour en ville est rendu impossible par le prix des loyers et par la volonté d’éviter les quartiers sensibles.

Les classes populaires de la France périphérique subissent un sédentarisme contraint. Elles sont peu mobiles, et souvent prisonnières d’une acquisition immobilière dans un secteur éloigné du marché de l’emploi.

Une France oubliée

Pour la première fois, les classes populaires ne sont pas au centre de la création de la richesse. Cette France périphérique est donc la grande oubliée des médias et de la politique. Elle est aussi la grande impensée dans le milieu universitaire qui se concentre sur les banlieues. Délaissée, elle reçoit infiniment moins d’investissements publics que les quartiers difficiles, alors qu’elle est plus pauvre. La France périphérique est invisible.

N.B. : ou du moins, elle l’était jusqu’au mouvement des gilets jaunes, mais La France périphérique a été rédigé en 2014.

La disparition de la classe moyenne

D’après Guilluy, les représentations de la société française avec une majorité de classes moyennes blanches et intégrées opposées aux banlieues exclues et ethnicisées ne sont pas fondées. Cette grille de lecture est dépassée.

Les « classes moyennes » bénéficiaires de la mondialisation ont en fait disparu. N’en subsistent que les fonctionnaires et les retraités, socles du Parti Socialiste et des Républicains.

Le concept de « classe moyenne » ne survit que parce qu’il est une représentation idéologique refuge et un concept culturel intégrateur. En vérité, on entend par « classes moyennes » ceux qui n’habitent pas dans les quartiers sensibles. Cela rend invisibles les classes populaires blanches et les classes moyennes issues de l’immigration.

L’appartenance à la classe moyenne est aussi un moyen de contrôle social des catégories populaires et moyennes en cours de déclassement. La majorité est enfermée dans un statut petit-bourgeois qui annihile toute velléité de révolte sociale, pendant que la minorité investit le champ de la revendication ethnique sans dommage pour le système.

Le rejet du projet libéral

La fracture culturelle entre métropoles et France périphérique s’exprime lors des élections. La France oubliée y crie son besoin de protection. Le vote d’extrême droite s’explique par le fait que la question sociale ne peut être séparée de celle de la place de la France dans mondialisation, et donc des questions d’immigration et d’insécurité culturelle.

Cependant, l’auteur rejette l’image des classes populaires blanches et fondamentalement racistes. Les classes populaires ont joué le jeu de la mixité sociale, dans un état d’esprit apaisé. Les classes dominantes, elles, imposent la mixité sociale aux classes inférieures, tout en ne s’y astreignant pas. Elle mettent en place des stratégies d’évitement, grâce aux quartiers huppés, aux villages chics et au séparatisme scolaire.

Ces fractures françaises pourraient mettre à mal le modèle républicain, en favorisant le communautarisme et en accentuant des inégalités sociales et territoriales déjà insupportables.

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Voir aussi l’interview de Christophe Guilluy par Natacha Polony.

Voir aussi Comprendre les cinq formes de courage chez Aristote en moins de cinq minutes.

Comprendre les cinq formes de courage chez Aristote en moins de cinq minutes

Aristote décrit cinq formes de courage dans Ethique à Nicomaque.

Dans Éthique à Nicomaque, Aristote traite de la morale, du bien et des vertus. Au livre III, il s’arrête quelques pages sur le courage.

Le courage chez Aristote

Pour Aristote, le courage est une vertu empreinte de modération, juste milieu entre la témérité et la crainte excessive.

Est courageux celui qui est capable d’endurer le risque de la mort, particulièrement à la guerre « au milieu des périls les plus grands et les plus glorieux ». Mais il existe une condition : que ses actes soient guidés par la raison. En effet, celle-ci doit amener à la conviction que soutenir les périls est ce qui est beau, c’est-a-dire au sommet du système de valeurs de la cité. Sans noblesse du motif de l’action, pas de véritable courage.

Aristote passe au crible cinq formes de courage, ou plutôt cinq comportements qui se rapprochent plus ou moins du courage tel qu’il l’a défini.

1. Le courage du citoyen

C’est celui qui se rapproche le plus du courage véritable. En effet, « les citoyens, semble-t-il, affrontent  les dangers tant par crainte des peines infligées par les lois et du déshonneur que par désir des charges honorifiques ». Il est donc produit tant par la recherche de l’honneur que par la volonté d’éviter la honte. Le courage des troupes contraintes par leur chef est d’un ordre inférieur, puisque ces hommes agissent par crainte, non du déshonneur, mais du châtiment. Elles sont forcées de se montrer braves, mais la fin qu’elles recherchent n’est pas en accord avec leur conduite.

2. L’attitude martiale

Le courage peut aussi provenir de l’expérience de la proximité des dangers : les troupes professionnelles savent faire la différence entre une situation sans véritable risque et un danger réel. Cependant, il n’y a là que l’apparence du courage, puisque cette expérience ne permet que de connaître la nature réelle du danger, non d’y faire face avec bravoure. Ainsi, des soldats de métier peuvent paraître courageux en présence de dangers qu’eux seuls savent inoffensifs, pour tourner les talons dès qu’une véritable menace apparaît.

3. Le courage de la colère

Le courage que procure la colère n’est là encore que l’apparence du courage véritable. En effet les choix opérés sous l’emprise de la passion ne le sont pas dans la recherche de l’honneur. C’est le courage des bêtes. L’homme aiguillonné par la passion ne devient véritablement courageux que s’il est d’abord guidé par la raison et qu’il poursuit un but noble.

4. Le courage procuré par la confiance

Le courage des gens pleins d’assurance n’est pas le véritable courage. Leur confiance ne provient que des victoires passées, et du fait qu’ils pensent qu’ils n’ont rien à craindre. C’est donc une illusion rassurante. Que survienne un revers, et elle s’effondre. 

5. L’ignorance du danger

Enfin, l’ignorance du danger ne saurait s’apparenter au courage. Elle n’est qu’inconscience.

Chez Aristote, le courage est donc une vertu individuelle et guerrière. Elle n’est réalisée que par une action noble conduite au nom d’un motif noble. Cette vertu s’insère dans le faisceau des représentations de la société grecque : c’est la cité qui prescrit ce qui est noble ou honteux. Le courage, même s’il est une vertu individuelle, est donc politiquement construit.

« l’homme courageux est à l’épreuve de la crainte autant qu’homme peut l’être. Aussi, tout en éprouvant même de la crainte dans les choses qui ne sont pas au delà des forces humaines, il leur fera face comme il convient et comme la raison le demande, en vue d’un noble but »

Aristote, Éthique à Nicomaque

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Voir aussi Comprendre la dimension morale du combat chez Ardant du Picq en moins de cinq minutes.

Faut-il légaliser le Cannabis ?

L’usage du cannabis est aujourd’hui tellement répandu dans toutes les couches de la société qu’il faut bien reconnaître que la politique de répression à son endroit est un échec. De nombreux pays ont d’ailleurs autorisé sa consommation de manière plus ou moins encadrée. Pourtant, sa toxicité est réelle. Dès lors, doit-on prendre acte de l’échec de la politique de répression de la consommation des drogues douces et accepter la légalisation du cannabis ?

Tout d’abord quelques distinctions et définitions.

Drogue : perturbateur d’activité neuronale.

Stupéfiant : drogue interdite.

Drogue dure : crée une dépendance forte. L’alcool peut être considéré comme une drogue dure.

Drogue douce : crée une dépendance faible. Il s’agit exclusivement de cannabis et de ses dérivés.

Cette classification est contestée. Il y a des usages durs de drogues douces. On étudiera plutôt les drogues comme un continuum, avec différentes dépendances psychiques et physiques, mais aussi différents effets physiques et sociaux.

La légalisation du cannabis serait aujourd’hui un choix rationnel puisque les politiques de répression ont échoué. L’opportunité d’un tel changement de cap pourrait être confirmée par l’analyse de la situation sanitaire des États ayant déjà franchi le pas.

Doit-on prendre acte de l’échec de la politique de répression de la consommation des drogues douces et légaliser le cannabis ?

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I. Une légalisation problématique

La légalisation renforcerait les effets néfastes des produits concernés.

Le cannabis est indéniablement un produit nocif. Particulièrement chez les jeunes, chez qui il peut entrainer un retard mental, ou provoquer la schizophrénie. Par ailleurs, ses fumées sont très nocives. Toutefois, il rend peu dépendant et ses effets sur les adultes sont limités. Par ailleurs, tous les produits nocifs pour la santé ne sont pas interdits.

La légalisation entrainerait mécaniquement une hausse de la consommation. C’est ce qui a été observé dans le Colorado après la légalisation de 2015. Les effets à long terme de la légalisation seraient une augmentation du coût économique et social de traitement des méfaits du cannabis, comme avec le tabac.

Si la toxicité du cannabis est réelle, force est de constater que la politique d’interdiction est un échec majeur.

II. Une opportunité économique et humaine

La prohibition est un échec, et la légalisation permettrait des gains économiques, mais aussi humains importants.

La politique de prohibition est un échec. 40 % des Français auraient déjà touché au cannabis. Chaque année, 100 000 personnes sont arrêtées pour détention ou consommation de cannabis. Cette politique de lutte coûte environ 500 millions d’euros par an. Elle demande un temps et une énergie si considérable aux forces de l’ordre que certaines communes, comme Rennes ou Reims, expérimentent une « amende forfaitaire » pour détention d’une certaine quantité de cannabis, sans passage devant un tribunal.  

Les gains économiques d’une légalisation seraient importants. D’après un rapport du Conseil d’Analyse Économique de 2019, la légalisation et la mise en place d’une filière contrôlée par l’État pourraient rapporter 2 milliards d’euros par an de recettes fiscales, et créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

La légalisation pourrait paradoxalement diminuer la consommation des autres drogues. Une telle mesure pourrait en partie assécher le trafic de drogue, mais nul doute que les trafiquants sauraient rebondir. Mais surtout, en recourant à une filière contrôlée par l’État et à des magasins spécialisés, on limiterait le contact d’une grande partie de la population avec les dealers. Donc, de façon assez contre-intuitive il est vrai, la légalisation limiterait le passage d’une drogue à l’autre.

Si une légalisation à très court terme serait difficile politiquement, agir à moyen terme permettrait de s’appuyer sur l’étude de la situation sanitaire des États ayant décidé de légaliser le cannabis.  

III. Se donner un horizon de 5 ans.

La décision pourrait intervenir progressivement, en s’appuyant sur une étude des résultats de la légalisation au Colorado.

La légalisation du cannabis à usage thérapeutique peut intervenir immédiatement. En effet, elle ne comporte aucun risque et est plébiscitée par le corps médical.

La décision de légaliser ou non le cannabis pourrait avoir lieu à l’horizon de 5 ans. En effet, la légalisation du cannabis au Colorado a eu lieu en 2015, et il faut environ 10 ans pour évaluer une politique. En 2025, nous pourrons juger sur pièce. Les autres pays ayant légalisé sont l’Uruguay (2013), le Canada (2018) et plusieurs autres États américains. Il est autorisé, mais fortement réglementé aux Pays bas, en Espagne, en Italie, en Suisse et en République tchèque, rien que pour les pays d’Europe. Le sujet ne peut donc pas être un tabou.

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Le vieil adage selon lequel il faut contrôler ce que l’on ne peut interdire s’applique à la consommation de cannabis. Sans réelle efficacité des politiques de prévention comme de répression, il est donc possible d’envisager la légalisation du cannabis, mais en se donnant le temps d’évaluer les politiques menées dans les autres pays et de mettre en place une filière contrôlée par l’État.

Une telle décision ne peut cependant reposer que sur des aspects techniques et chiffrables. Il s’agit d’un choix politique.

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Voir aussi L’extraterritorialité du droit américain est-elle une arme économique ?

Comprendre la dimension morale du combat chez Ardant du Picq en moins de cinq minutes

Dans ses Études sur le combat (1880, posthume), le colonel Charles Ardant du Picq (1821 – 1870) se propose de partir du soldat et du combat tels qu’ils sont en réalité, et non de conceptions théoriques, afin de déterminer ce qu’il est possible de faire à la guerre.

En effet, les choses qui se conçoivent en esprit ou se mettent en œuvre sur le champ de manœuvre ne sont pas forcément réalisables au combat, à cause de cet « instrument premier de la guerre » qu’est l’homme, et de l’émotion souveraine à la guerre, la peur.

Il analyse les guerres antiques, et notamment les formations tactiques des Romains, avant de décortiquer le combat du XIXe siècle.

Dans ses Études sur le combat (1880, posthume), le colonel Charles Ardant du Picq (1821 - 1870) se propose de partir du soldat et du combat réels, et non de conceptions théoriques pour déterminer ce qu’il est possible de faire à la guerre. En effet, les choses qui se conçoivent en esprit ou se réalisent sur le champ de manœuvre ne sont pas forcément réalisables au combat, à cause de « instrument premier de la guerre » : l'homme.

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Le moral est la dimension clef du combat

Pour Ardant du Picq, le moral est la dimension clef du combat. Dès lors, toutes les prétentions à aborder la guerre de façon mathématiques sont vaines.

Il remarque qu’au combat, le feu n’est pas efficace. Les études de l’époque montraient qu’il fallait environ 3000 cartouches pour blesser un adversaire, en raison des conditions du combat comme la fumée provoquée par les armes, et surtout de la peur. On tirait alors vite et sans viser, afin de construire l’illusion de la sécurité et oublier le danger. A bien des égards, cela n’a pas changé. Il note que le feu des tirailleurs, moins exposés au danger parce que dispersés, est beaucoup plus efficace que celui des bataillons.

Le feu, physique, a moins d’effet sur l’ennemi que le mouvement, qui apporte la perspective morale du choc qui fait lâcher le plus fébrile. Ardant du Picq analyse des combats de cavalerie et d’infanterie pour montrer que le choc, le corps à corps, ne se produit pour ainsi dire pas. Il démontre que l’unité dont le moral est le plus faible, souvent l’unité qui doit soutenir le choc, tournera les talons à la seule perspective du contact physique avec l’ennemi.

La discipline selon Ardant du Picq

Dans ces conditions, comment maintenir les hommes au combat ? Seule la discipline le permet. Dans Études sur le combat, elle peut s’apparenter à de la surveillance mutuelle entre soldats, ou à ce que l’on pourrait appeler la pression sociale de l’unité. Notons que l’auteur considère que les châtiments permis à l’époque n’étaient plus assez efficaces pour faire tenir la troupe en ligne et qu’il fallait un autre levier.

La discipline ne doit en effet pas être comprise comme le fait d’obéir aux ordres sans broncher, mais bien comme ce qui rend capable de rester avec et pour ses camarades dans une situation que l’instinct commande de fuir.

Finalement, les organisations militaires et les systèmes de commandement sont d’abord et avant tout des mécanismes de gestion de la peur.

« Le combattant est de chair et d’os, il est corps et âme, et, si forte que soit l’âme, elle ne peut dompter le corps à ce point qu’il n’y ait révolte de la chair et trouble de l’esprit en face de la destruction ».

Colonel Charles Ardant du Picq, Études sur le combat, PARIS, HACHETTE, 1880

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Études sur le combat sur Gallica

Voir aussi Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

Voir aussi L’Apparition du Soldat : La Bataille de Solférino, Sur le champ.

L’extraterritorialité du droit américain

Les amendes record infligées par la justice américaine à des entreprises étrangères sont une pratique qui ne manque pas d’interroger, d’autant que ces condamnations peuvent être suivies de la prise de contrôle par un concurrent américain. L’extraterritorialité du droit américain est-elle une arme économique ?

L’accès au marché américain est une nécessité pour les multinationales européennes. Or, cela les fait tomber sous la coupe du droit extraterritorial américain, que Washington utilise pour asseoir sa supériorité économique en neutralisant ses concurrents.

L'extraterritorialité du droit américain
L'extraterritorialité du droit américain

I. Un droit extraterritorial.

L’extraterritorialité du droit américain est l’application de lois votées aux États-Unis à des entreprises étrangères qui ont un lien quelconque avec eux, comme l’utilisation du dollar, des activités localisées aux USA ou l’utilisation de serveurs placés sur le territoire américain.

Toutes les entreprises du monde sont potentiellement concernées. Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), étendu aux entreprises étrangères en 1998, donne le droit au Department of Justice (DoJ) de poursuivre toute entreprise internationale s’adonnant à des activités frauduleuses, notamment en matière de corruption ou de non-respect d’un embargo décidé par les États-Unis, lorsque l’entreprise en question possède un lien quelconque avec les États-Unis.

Le moindre lien avec les États-Unis est exploité. En 2018, la Société Générale a été condamnée à 1,2 milliard de dollars d’amende pour violation des sanctions décidées par les États-Unis à l’encontre de Cuba, de l’Iran et du Soudan. Cela a été rendu possible parce qu’elle avait utilisé le dollar dans certaines de ses transactions. Le moindre mail transitant par un serveur américain rend une entreprise responsable devant la loi américaine.

Les amendes sont astronomiques. Rien qu’en France, les entreprises ont dû débourser 20 milliards d’euros d’amendes entre 2014 et 2016. BNP Paribas a reçu l’amende la plus importante, 8 milliards d’euros, somme sans précédent, en 2014.

L’extraterritorialité du droit ne peut être efficace que si l’accès au marché concerné est indispensable pour les entreprises.

II. L’extraterritorialité du droit américain : un « pistolet sur la tempe » des entreprises

C’est le poids des USA dans les affaires du monde qui rend possible cette domination.

Le DoJ est doté de moyens importants. Le DoJ possède d’énormes pouvoirs et d’importants moyens, aussi bien humains (plus de 110 000 employés, appui du FBI et du DEA) que financiers (plus de 30 milliards de dollars de budget). Il collabore également avec la National Security Agency (NSA) et échange directement des informations avec les multinationales américaines.

Les entreprises préfèrent payer les amendes plutôt que de renoncer à leurs activités aux États-Unis. En 2014, la BNP a payé l’amende de 8 milliards d’euros car elle était menacée de voir sa licence bancaire supprimée. Les cadres et dirigeants des entreprises poursuivies par la justice américaine peuvent aussi être détenus à tout moment s’ils se rendent sur le sol américain. C’est ce qui s’est passé pour un des cadres d’Alstom arrêté et emprisonné aux États-Unis en 2013.

Cette arme économique est utilisée pour parachever la domination économique américaine.

III. Un outil de guerre économique.

L’extraterritorialité du droit américain est bien une arme économique, qui vise particulièrement les entreprises européennes.

Les entreprises européennes sont particulièrement ciblées. 64 % du total des sommes récoltées par le trésor américain à la suite de l’action du DoJ provient d’entreprises européennes. En effet, elles sont des cibles de choix, puisqu’elles sont des concurrentes redoutables pour l’économie nord-américaine, tout en étant peu défendues par l’Union européenne qui a du mal à s’inscrire dans des logiques de puissances, ou par les États européens, qui n’ont pas les moyens de s’opposer au géant américain.

Les entreprises sanctionnées sont affaiblies et font des proies de choix pour leurs concurrents américains. En 2014, Alstom a été condamnée à une lourde amende et certains de ses dirigeants arrêtés pour corruption en Indonésie. General Electrics a ensuite racheté sa branche énergie pour seulement 13 millions d’euros, avec la promesse de payer l’amende et de faire cesser les poursuites. De même, en 2006, Alcatel a été obligée de fusionner avec Lucent et ne s’en est jamais relevée. Aujourd’hui l’entreprise n’existe plus, même si Nokia continue d’utiliser la marque Alcatel.

Cible de choix pour le droit américain, l’Europe peine à organiser la riposte.  

IV. Quelle réponse face au défi de l’extraterritorialité du droit américain?

Les États européens sont impuissants à défendre leurs entreprises, mais la Commission européenne s’est engagée dans une contre-attaque.

Les États européens sont impuissants à enrayer la menace. La loi Sapin II est entrée en vigueur le 11 juin 2017, établissant principalement l’extraterritorialité du droit français. Elle est en grande partie inspirée du FCPA américain et a pour but de se substituer à celui-ci. L’objectif final est d’empêcher les États-Unis de récupérer l’argent des entreprises françaises coupables. Il était grand temps de décider de lutter contre la corruption, même si des pratiques considérées comme frauduleuses en Occident peuvent être indispensables à l’accès de certains marchés, par exemple en Asie. Toutefois, l’imposition au reste du monde des embargos décidés par les États-Unis ne peut pas être contrée ainsi.

De plus, cette loi repose en grande partie sur l’adage « non bis in idem » (« nul ne peut payer deux fois pour les mêmes faits »), que le DoJ pourrait ne pas respecter, maintenant ses activités anticorruption auprès des entreprises françaises.

Une contre-attaque européenne ? La fiscalité est le point faible des entreprises américaines, habituées à l’optimisation fiscale. C’est là-dessus que l’Europe et les états européens peuvent centrer leur stratégie. La Commission européenne est l’acteur principal de cette politique. Elle a déjà infligé en 2016 une amende colossale de 13 milliards d’euros à Apple, reconnu coupable d’avoir bénéficié en Irlande d’avantages fiscaux, et de plus de 2 milliards d’euros à Google, pour un abus de position dominante.

Les stratégies d’évitement du droit américain ne sont pas véritablement envisagées. Les sanctions américaines pourraient les inciter à réduire leur dépendance, par exemple en se passant du dollar dans leurs transactions. Ainsi, Total conduit le projet Yammal NG en Russie sans utiliser la monnaie américaine. Il semble cependant que ce soit le mouvement inverse qui s’opère. Pour éviter les amendes et se conformer au droit américain, les grandes entreprises réalisent des audits grâce à de grands cabinets d’avocats américains. La puissance économique et culturelle américaine vient ainsi modeler les entreprises européennes selon ses propres normes.

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En définitive, l’extraterritorialité du droit américain est bien une arme économique et politique pointée sur l’Europe. Tant que les entreprises françaises et européennes auront besoin de se déployer sur le marché des États-Unis, elles seront à la merci du droit américain.

Cela démontre la nécessité d’être en mesure de se placer dans une logique de puissance dans les relations internationales. En effet celles-ci sont dominées par ce que le général Poirier appelait le « commerce compétitif » (le terme commerce est ici employé dans son sens de « relation » et non pas d’échange commercial). Se contenter de la promotion technique d’une idéologie comme le libéralisme, en soi nécessaire à la logique de puissance, reste très insuffisant si l’on ne dispose ni de moyens d’action, comme un réseau diplomatique ou des moyens militaires, ni d’une volonté de puissance. Sans cela, l’Europe ne peut être qu’un objet, et non un sujet, des relations internationales.

L’extraterritorialité du droit américain est-elle une arme économique ?
L’extraterritorialité du droit américain est-elle une arme économique ?

Voir aussi Comprendre la stratégie intégrale du général Poirier en 5 minutes.

Quand le général Poirier théorisait la guerre hybride avant la guerre hybride.

Dans Stratégie théorique II, le général Poirier décrit une conflictualité qui déborde du cadre de la guerre sous la pression des armes nucléaires. Cet état entre guerre et paix n’est pas sans rappeler ce que nous appelons aujourd’hui la « guerre hybride ». Qui d’ailleurs à toujours existé mais c’est un autre débat…

Dans Stratégie théorique II, le général Poirier décrit une conflictualité qui déborde du cadre de la guerre sous la pression des armes nucléaires, ce qui n'est pas sans rappeler ce que nous appelons aujourd'hui la « guerre hybride »

Commerce compétitif

Il introduit dans le champ théorique le concept de « Stratégie intégrale ». Afin de réaliser leur projet politique tout en contrant ceux de leurs adversaires, les acteurs sociopolitiques combinent des stratégies militaire, économique et culturelle.

L’état de tension conflictuel sans recours à la violence physique qui naît de l’opposition des projets politiques des différents acteurs est appelé « commerce compétitif ». Or, avec l’apparition des armes nucléaires, cet état de tension va évoluer vers ce que le général nomme « agressivité généralisée ».

Manœuvre des crises

En effet, à cause de la perspective d’un affrontement nucléaire, la réalisation du projet politique des États se retrouve en grande partie privée de la dimension militaire de leur stratégie intégrale. Cela entraîne un surcroît d’activité et d’agressivité dans les stratégies économiques et culturelles, mais avec pour obligation de rester « en deçà du seuil critique du conflit ouvert », brouillant la distinction entre paix et guerre dans une « manœuvre des crises ».

La stratégie militaire doit dans ce contexte utiliser des « formes infra-guerre ». Auparavant, la guerre englobait la stratégie militaire. Elle n’en est désormais que l’une des modalités.

Enfin, lisons la description que nous fait le général ce type de conflictualité, qui si elle exprime la réalité de la guerre froide, pourrait être à peu de choses près celle de la guerre hybride :

« Des interventions, très localisées et ponctuelles, d’une violence plus ou moins bien contrôlée (agitation, attentats, sabotages, coups d’État, piraterie, terrorisme, subversion, etc.), appuient des propagandes idéologiques et des pressions économiques qui tournent au défi, des marchandages qui ne se cachent plus d’être chantages. »

Lucien Poirier, Stratégie Théorique II

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Voir aussi Les métamorphoses de l’hybridité.

Comprendre la Stratégie intégrale du général Poirier en moins de 5 minutes

La stratégie intégrale combine les actions dans les champs économique, culturel et militaire en permanence pour réaliser un projet politique.

Dans Stratégie théorique II, compilation d’articles rédigés dans les années 1970, le général Lucien Poirier introduit le concept de « stratégie intégrale ».

Projet politique et stratégie

Pour commencer, le général Poirier s’interroge sur la nature de la stratégie. Il part de la politique, « science et art de gouverner les sociétés organisées » qui réalise son idéologie à travers un projet politique. C’est lui qui transcrit l’idéologie en actes.

Afin de réaliser son projet, le politique n’a que deux domaines d’action habituels : l’économie (tout ce qui est nécessaire à l’existence physique) et le culturel (tout ce qui concerne la connaissance et les idées). Le troisième domaine est extraordinaire, c’est celui de la violence physique. Le recours à la force physique peut avoir lieu si la liberté d’action dans les domaines économique et culturel est nulle, face à un projet concurrent inacceptable et si le rapport coût/bénéfice parait suffisant. 

Or, il y a stratégie dès qu’il y a conflit, c’est-à-dire opposition de projets politiques, donc en permanence, et pas uniquement en cas de guerre. Le général Poirier choisit de nommer « commerce compétitif » la conflictualité plus ou moins pacifique qui naît de l’opposition des projets politiques des différents acteurs.

La stratégie intégrale

Dans ce cadre, comme dans celui d’une guerre, les acteurs sociopolitiques combinent les stratégies militaire, économique et culturelle pour accomplir leur projet politique tout en contrant le projet politique adverse. C’est la « stratégie intégrale ».

Pour terminer, notons qu’à la différence de la « stratégie totale » du général Beaufre qui ne s’applique que dans une guerre, la « stratégie intégrale » est mise en œuvre en temps de paix comme de temps de guerre.

« Théorie et pratique de la manœuvre de l’ensemble des forces de toute nature, actuelle ou potentielle, résultant de l’activité nationale, elle [la stratégie intégrale] a pour but d’accomplir l’ensemble des fins définies par la politique générale ».

Lucien Poirier, Stratégie théorique II.

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Voir aussi Quand le général Poirier théorisait la guerre hybride avant la guerre hybride.

Voir aussi l’approche indirecte chez Liddell Hart en moins de cinq minutes.

L’euro sert-il les intérêts de l’Allemagne ?

L’adoption depuis 2002 de la monnaie unique a permis d’intégrer davantage les économies européennes. Cependant, on entend çà et là dire que l’Allemagne aurait besoin d’un euro fort, ou que la monnaie unique renforcerait l’économie allemande au détriment de celle de la France. D’ailleurs, la politique de gestion de la crise économique par la Banque Centrale Européenne (BCE), avec la mise en place d’un taux directeur très faible, a suscité l’opposition de Berlin. Alors, l’euro favorise-t-il vraiment l’Allemagne ?

L’euro sert les intérêts de l’Allemagne parce qu’il favorise son industrie, et tant qu’il est fort et stable, ses retraités.

NB : il n’est pas question de comparer ici les avantages et les inconvénients de l’euro pour la France. Cela n’aurait guère de sens. Il s’agit uniquement d’éclairer certaines prises de position.

L’euro favorise-t-il l’Allemagne, son excédant commercial et ses épargnants ?

I. L’euro favorise l’excédent commercial allemand

L’euro favorise les exportations industrielles allemandes en Europe.

Une grande partie de l’excédent commercial allemand provient de l’Europe. Elle réalise environ 60% de ses exportations en Europe.

L’euro favorise l’industrie allemande. Avec des monnaies nationales, plus l’Allemagne exporterait, plus sa monnaie prendrait de valeur. Ses exportations futures seraient alors moins concurrentielles, ce qui rééquilibrerait la balance commerciale entre pays européens. Avec l’euro, cet équilibrage ne se fait plus. La très puissante industrie allemande écrase donc ses concurrents au sein de l’UE. De même, ils provoquent une appréciation de l’euro à l’international, ce qui pénalise les exportations européennes à l’extérieur de l’UE (sauf Allemagne, voir plus bas).

Les excédents allemands se font au détriment des économies voisines, puisqu’il ne leur est pas possible de dévaluer leur monnaie. La seule solution pour rester compétitif est la « dévaluation interne » : baisser les coûts de production, donc les salaires, dans l’industrie. Et in fine délocaliser…

L’euro conduit donc à la divergence des économies. Les économies des pays du nord de l’Europe se consolident quand celles des pays du sud sont fragilisées.

L’euro favorise donc les exportations de l’industrie allemande en Europe, au détriment des autres (ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas par ailleurs favorable à la France).

II. Un euro fort et stable est une nécessité pour l’Allemagne.

En outre, l’Allemagne a besoin d’un euro fort et stable.

Les retraités allemands ont besoin d’un euro fort et stable. Les retraites en Allemagne sont plus faibles qu’en France (10% des retraités allemands sont sous le seuil de pauvreté, contre 5% en France). Les Allemands doivent donc épargner (sur des salaires bas) pour se constituer une retraite. Un euro faible leur est donc préjudiciable. En effet,  le taux directeur de la BCE influe sur les taux de l’épargne des particuliers si cette dernière est libellée en euros. De plus, l’investissement en devise étrangère est plus difficile avec un euro faible. Enfin, l’épargne individuelle a besoin d’un euro stable. Or l’une des missions de la BCE est précisément de juguler l’inflation.

Or, un euro fort n’est pas un handicap pour les exportations allemandes. En effet, elles sont majoritairement composées de produits à haute valeur ajoutée, comme les voitures de luxe ou les machines-outils, qui sont peu sensibles aux variations de coût. À l’inverse de la France dont les produits de moyenne gamme sont très sensibles aux évolutions même minimes de leur coût à la hausse.

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L’euro et les structures européennes bénéficient donc en grande partie à l’Allemagne qui a besoin d’un euro fort et stable. Toutefois, cet état de fait est remis en cause par l’adoption de taux directeurs très faibles par la BCE. Cela explique la levée de boucliers en Allemagne au sujet de cette politique monétaire menée en dehors de ses attributions par le banquier européen.  

La question de la sortie de l’euro est aujourd’hui une fausse problématique tant elle est irréaliste et suicidaire. La question est en fait la place de l’euro dans les rapports de force européens, et donc les rapports de force politiques entre ses membres. En outre, interroger le fonctionnement de l’euro c’est rappeler une question fondamentale : l’Union européenne, pour quoi faire ?

Voir aussi L’école française est-elle encore républicaine ?

L’école française est-elle encore républicaine ?

Accusée de perpétuer les inégalités sociales ou d’être impossible à réformer, l’école française subit un certain nombre d’attaques et de tensions. Or, elle est au centre du projet républicain.

Le modèle de l’école républicaine française est-elle à la hauteur des attentes que la nation met en elle ?

Malgré ses difficultés, l’école française demeure profondément républicaine.

Des perspectives aussi sombres qu’un tableau noir pour l’école républicaine ?

I. Un idéal : former le citoyen.

L’école possède une place fondatrice dans l’idéal républicain. Elle est régie par des principes clairs issus des lois scolaires de la fin du XIXe siècle (lois Ferry, 1881 – 82).

L’instruction est obligatoire, gratuite et universelle. Dans les lois Ferry, l’instruction est obligatoire de 6 à 13 ans, pour les garçons comme pour les filles. Ce n’est pas l’école qui est obligatoire, c’est l’instruction, qui peut être donnée au domicile ou à l’église. De fait, le jeudi était laissé libre pour que les enfants puissent aller au catéchisme. Mais l’école publique est devenue gratuite et universelle.

L’école est un instrument de l’unité de la république. Au XIXe siècle, elle était le principal facteur de nationalisation de la société. L’enseignement dans l’école publique est laïque et en langue française. L’usage des langues locales est interdit. Aujourd’hui, la mission de l’école est toujours de transmettre les connaissances, mais aussi les valeurs de la république. 

Plus récemment, l’école a reçu la mission de corriger les inégalités sociales, ou plutôt de favoriser l’égalité des chances. En 1981, le gouvernement créée les ZEP pour donner plus de moyens aux secteurs en difficulté (appellation de 2014 : REP, Réseaux d’Éducation Prioritaires, ou RAP, Réseaux Ambition Réussite, RRS, Réseaux de Réussite Scolaire).

Mais cet idéal républicain est aujourd’hui mis en tension parce que l’école ne parvient pas à diminuer les inégalités sociales.

II. La diminution des inégalités sociales : mission impossible.

Cette mission de réduction des inégalités sociales est une mission que l’école ne peut accomplir.

L’école française ne parvient pas à ne pas reproduire les inégalités sociales. Le classement PISA de 2016 révèle que l’école française est celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus dans les résultats. (Classement PISA : tous les 3 ans, mesure les résultats d’élèves de 15 ans dans 70 pays. La France est environ 26e). Selon une étude de l’INSEE menée entre 1982 et 1992, la création des ZEP n’a eu aucun effet.

En effet, le système français est très élitiste. Les grandes écoles ont l’ambition de former l’élite de la nation. On consacre aux étudiants des CPGE 15 000 euros par an et par élève, contre 10 000 pour l’université. On y retrouve une grande proportion d’étudiants venus des classes les plus favorisées. Les concours des grandes écoles valorisent les savoirs acquis hors milieu scolaire, par exemple avec les épreuves de culture générale qui favorisent la culture des classes dominantes. Enfin, les élèves doivent choisir leurs options de plus en plus tôt, ce qui contribue à la reproduction des inégalités sociales.

En dernière analyse, l’école est le moyen des classes dominantes pour pérenniser leur domination. Elle ne peut donc pas réduire les inégalités sociales — seule la loi le peut, lorsqu’elle agit dans la sphère économique, et par l’impôt. Les classes dominantes possèdent une connaissance intime du système. Elles l’ont pratiqué puis modelé. Elles peuvent donc mettre en œuvre des stratégies de réussite scolaire pour leurs enfants. Par exemple, les différentes couches de la société ont l’impression d’être « à leur place » dans les filières qui correspondent à la reproduction de leur statut. Enfin, tous les diplômes ne se valent pas. Un BAC +5 ne mène pas aux mêmes perspectives qu’il soit en arts ou de HEC (qui est privé). Ainsi la réussite scolaire n’est pas en soi un vecteur de réussite sociale.

En parallèle de l’incapacité de l’école à réduire les inégalités sociales, son universalisme est contesté.

III. Un universalisme en tension, mais toujours valide.

L’universalité de l’instruction est aujourd’hui mise en tension, par l’enseignement privé, les élèves déscolarisés, et les enseignements en langue locale, mais elle reste opérante.

S’il est incompatible avec la notion d’égalité, l’enseignement privé est compatible avec la laïcité et ne met donc pas en péril l’idéal républicain de l’école. Près de 20 % des élèves français sont scolarisés dans le privé. Le statut de l’école privée date des lois Debré de 1959. Les 7500 établissements privés sous contrat suivent les programmes de l’éducation nationale. Les établissements confessionnels doivent accepter les élèves de toutes religions. C’est l’État qui rémunère les enseignants. Des cours de religion peuvent être proposés en plus des cours obligatoires. Les 1300 établissements d’enseignement privés hors contrat (dont 300 établissements confessionnels) eux ne sont tenus d’enseigner qu’un socle de connaissance. L’enseignement privé répond à un besoin : il faut un besoin éducatif avéré pour ouvrir une école privée. En outre, en 1984, 2 millions de personnes sont descendues dans la rue pour défendre l’enseignement privé.

Si le nombre d’enfants non scolarisés est toujours trop important, cela ne signifie pas que l’école a failli à sa mission. Environ 100 000 enfants ne sont pas scolarisés. Il s’agit d’enfants de migrants ou d’exclus. Mais le fait que l’attention se porte sur eux montre une sensibilité plus grande de la société et une plus grande adaptation des pouvoirs publics.

Le développement des enseignements en langue locale, s’il se poursuit, pourra lui menacer l’idéal de l’école républicaine. Il s’agit des écoles en basque, breton, catalan, occitan, alsacien-mosellan, qui scolarisent 15 000 élèves et dont les enseignants sont payés par l’État au titre d’une convention. Ce nombre est en augmentation constante, et les demandes excèdent largement les places disponibles. Même si elles répondent à une demande particulièrement forte, elles pourront contribuer à faire renaître des revendications régionales, qui à l’heure où le rôle central de l’État et le modèle républicain sont contestés par la puissance des multinationales et le multiculturalisme, pourront à terme menacer l’unité de la république. Mais les mentalités en sont plus les mêmes qu’au XIXe siècle, et peut-être l’idéal républicain devra-t-il s’accommoder d’un multilinguisme.

Si l’idéal de l’école républicain est mis en tension, les pouvoirs publics s’efforcent véritablement de faire correspondre l’école à cet idéal.

IV. La poursuite de l’idéal républicain est une réalité.

Les réformes menées ces dernières années tendant à faire se rapprocher l’école de son idéal républicain.

L’État consent un effort important pour l’instruction publique. Le budget du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports est de 75 milliards d’euros (enseignement scolaire et supérieur). Il emploie 1 million de personnes, dont environ 800 000 enseignants. C’est le ministère le mieux doté.

L’école est toujours plus universelle, toujours obligatoire et toujours plus gratuite. Ainsi l’allocation de rentrée scolaire, d’environ 400 euros par enfant, permet d’acheter des fournitures. Depuis 2019, l’instruction est obligatoire de 3 (et non plus 6) à 16 ans. Au total, on compte 6 millions d’élèves dans le 1er degré, 6 millions dans le 2d degré.

L’école est toujours plus inclusive. Les Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS, créés en 2003) et la loi de 2013 sur l’école inclusive permettent aux élèves handicapés d’assister aux cours d’une classe ordinaire. Les enfants de migrants sont eux aussi scolarisés dans le système normal dès qu’ils ont un niveau en français suffisant.

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Si l’école fait face à des tensions quant à sa mission de réduction des inégalités sociales et à son universalisme, force est de constater qu’elle est toujours, et toujours plus républicaine.

La question est de savoir si elle saura le rester face à une idéologie néolibérale dominante qui tend à chercher à privatiser de plus en plus de secteurs de la société, et qui s’accompagne de fortes revendications identitaires comme le note Gilles Dorronsoro dans Le reniement démocratique.

Voir aussi La crise de l’autorité